« La colère, c’est un point de départ, indiquant qu’il faut agir. Tout en construisant des actions qui ne sont pas portées par la colère. » Cyril Pedrosa résume en quelques mots comment une trentaine de dessinateurs se sont regroupés pour dénoncer le vote de la loi Sécurité globale. Les 388 qui ont donné leur voix à un texte liberticide se retrouvent soudainement sur les réseaux, représentés en noir et blanc, avec le hashtag #DéputésdelaHonte.

Au commencement, Loïc Sécheresse, dessinateur : voilà deux ans, quand 55 élus américains avaient adopté un texte contre le droit à l’avortement, il s’était lancé dans l’exercice. Dessiner ceux qui avaient adopté cette position. « Un exercice intéressant, avec une belle brochette de winners », se souvient-il. « Avec le texte Sécurité globale, on a senti le même vent mauvais arriver. »
Une image en bon point aux 388 députés favorables
Un premier jet de l’idée intervient après la première adoption : 122 députés concernés. « J’ai contacté Cyril Pedrosa, mais nous avons préféré attendre le vote définitif. Quand on a découvert que 388 parlementaires avaient approuvé le texte, Terreur graphique nous a rejoint. » Et d’autres à leur suite. La liste n’a rien d’une réunion d’anciens combattants : Lewis Trondheim, Florence Dupré la Tour, Charles Berberian, Killoffer ou encore Cy., Quentin Faucompré et Thomas Cadène.
388 député·e·s LREM, MODEM, UDI, AGIR ENSEMBLE, LR, et RN ont voté pour la loi Sécurité Globale.
— Cyril Pedrosa (@pedrosa_cyril) November 27, 2020
30 auteurs et autrices de BD ont réalisé leurs portraits.#DéputésdelaHonte #StopLoiSécuritéGlobale pic.twitter.com/dnFx9MvGhv
Sur un site, monté rapidement, ils s’expliquent, et réunissent les dessins effectués de l’ensemble de ces « parlementaires de la honte » : « Alors que le gouvernement se veut le défenseur de la liberté d’expression, il restreint avec cette loi les libertés et l’expression journalistique et citoyenne. »
Terreur graphique raconte qu’au lendemain du vote, « nous nous sentions ulcérés. Pedrosa m’a appelé, en disant : “Puisqu’ils ne veulent pas que l’on montre les visages policiers, montrons ceux qui ont adopté cette législation.” Du mercredi au vendredi, on s’est organisé : pas de portrait insultant, juste un dessin réalisé à partir des photos officielles du site de l’Assemblée nationale ».
Et plus encore, pas de caricature. « Chacun garde son style, mais pas de dérision ni de satire — bien que pour certains, cette ligne de conduite s’est révélée difficile, voire douloureuse à tenir », en rigole-t-il encore. Pas de noms, mais certaines représentations parlent d’elles-mêmes.
Sécurité globale, ou résignation totale ?
« Quand on prend les articles, 21, 22 et le fameux 24 — qui n’est que l’arbre cachant la forêt — rien ne va dans cette loi. Elle aligne la généralisation de la vidéosurveillance, dont on sait qu’elle n’a aucun impact sur la baisse de la criminalité. En revanche, elle montre que les policiers savent très bien mentir », reprend Loïc Sécheresse.
Ce n'est pas l'article 24 qu'il faut retirer, mais la loi sécurité globale. Si cet article 24 est retiré, ce sera pour acheter les journalistes, comme le gouvernement a acheté les policiers en excluant leur statut spécial de la réforme des retraites. https://t.co/CzaOcUjlB1
— Loïc Sécheresse (@loicsecheresse) November 26, 2020
« De même, la surveillance par drones, l’exploitation immédiate des vidéos, avec une large porte ouverte à la reconnaissance faciale qui nous pend au nez… Je déplore vraiment tout cela d’autant que les textes surgissent quand le peuple est sous les verrous du confinement : on profite d’une population cadenassée pour instaurer des lois liberticides. »
Sans même parler de loi Séparatisme qui se prépare : « Une crasse en chasse une autre. » Et de poursuivre : « Imaginer que des députés LREM s’accordent avec des représentants Front national, c’est le monde à l’envers : on avait élu Macron pour faire barrage au FN, et désormais, Marine Le Pen se félicite de la législation approuvée ? »
La pente glissante de la dérive sécuritaire, au nom du sanitaire, voilà précisément ce que la nouvelle gratuitement publiée et diffusée de Nicolas Beuglet, Ça n’arrivera jamais, explorait. De l’anticipation, à peine surréelle, de la société française en 2022….
Mettre en lumière ce qui resterait caché
Cyril Pedrosa reprend : « Selon moi, Sécurité globale aménage les outils par lesquels toute forme de contestation sera rendue quasi impossible. Avec un impact sur nos vies qui ne vient pas de nulle part : l’usage de la force publique pour contenir le peuple, c’est une solution de répression générale. Depuis deux ans, ce gouvernement, traversé par des crises sociales profondes, fait un usage de la loi qui n’est pas supportable. »
#DeputésdelaHonte
— lewistrondheim (@lewistrondheim) November 27, 2020
#StopLoiSécuritéGlobale pic.twitter.com/dLaOlSbpiW
Alors, cette exposition des députés devient l’évidence, dans la continuité de cette marche pour les libertés qui se déroule ce 28 novembre. « La plupart du temps, les citoyens ignorent qui sont leurs représentants dans les chambres. Or, le vote et son résultat relèvent de l’information publique », revendique Terreur graphique. Représenter les députés devient autant un projet pédagogique qu’une mise en exergue. « Nous n’avons opéré qu’une mise en lumière, pour que ces gens assument ouvertement leurs choix. »
Avec le sentiment partagé que le texte prépare « une potentielle explosion sociale post-Covid, agrémenté d’arguments qui agissent comme des anesthésiants de la pensée », rajoute Sécheresse. « Comment l’histoire d’un quinquennat qui a débuté dans une opposition au Rassemblement national se prolonge avec une loi qui les réunit ? Que l’on vienne me raconter que #DéputésdelaHonte est excessif, mais que voter un texte qui a l’assentiment du RN ne pose pas de problème ! »

« Ce ne sont pas des attaques personnelles : ces gens, élus de circonscriptions, on voté une loi. Nous, citoyens et dessinateurs, estimons qu’elle est mauvaise. Très mauvaise. Pour leur signifier, nous les avons mis devant leurs actions. »
Témoigner d'un temps politique
Quant à l’avenir de ces dessins, qui peut le prédire ? « Nous ne sommes pas un collectif : on a monté cela en trois jours, avec des dessins dont chacun pourra s’emparer, pour des manifestations, des diffusions sur les réseaux, partout où il sera nécessaire de rappeler ce qui a été fait et qui l’a fait. Pourquoi pas un livre, qui laisserait une marque, celle d’un temps politique… »
Thomas Rudigoz, LREM, #DeputésdelaHonte. #StopLoiSécuritéGlobale pic.twitter.com/sC9aLpZJGR
— Cy. (@YeahCy) November 27, 2020
D’ailleurs, les consciences s’agitent déjà, sourit Loïc Sécheresse : « J’ai vu un commentaire, sous l’un des dessins que j’ai effectués. La fille d’une députée LR nous a remerciés, parce que sa mère a voté le texte et qu’elles sont manifestement en profond désaccord sur le sujet. Et elle s’amuse de la “petite revanche” que lui procure ces représentations. »
Pedrosa conclut : « Ce que nous avons réalisé, c’est un tour de force. Tout le monde nous a répondu : “J’ai pas le temps, mais je vais le faire.” Le résultat est contrôlé, maitrisé, avec un objectif précis. Personnellement, je continuerai de mener une opposition à la politique de ce gouvernement : les moyens sont modestes, peut-être, mais ils existent. »
À ce titre, le dessinateur avait dernièrement refusé de se rendre à la villa Kujoyama, projet porté par le ministère de la Culture. « Ça n’avait aucun sens. Et le risque d’être instrumentalisé existe. Notre capital sympathie d’auteurs, nous devons rester lucides sur la manière dont il sert. »
De quoi rappeler ces auteurs devenus parrains de l’année BD 2020, qui devant « l’incohérence et les contradictions des choix politiques à l’égard de la culture et des métiers du livre en ce temps de pandémie [ont décidé] de démissionner immédiatement de cette responsabilité ». Signé Florence Cestac, Catherine Meurisse, Régis Loisel et Jul.
Les 388 dessins peuvent être téléchargés depuis cette adresse.
Pour une meilleure compréhension de la loi Sécurité globale, voir l'article de La Quadrature du net.
mise à jour 15h :
Au coeur de maanifestation, les vidéos fleurissent pour exposer plus encore les visages des 388 députés (ou dépités ?), qui peuvent, désormais, se poser légitimement la question : ont-ils vraiment pris conscience de ce qu'ils faisaient ?
Sur les murs de mon ennui, je n'écris plus liberté, j'affiche les dessins des 30 auteurs qui dévoilent les 388 “députés de la honte” https://t.co/i4nwf5Ic8f#deputésdelahonte#StopLoiSecuriteGlobale#libertedexpression#marchesdeslibertes,#Violencepolicieres#LoiSecuriteGlobale pic.twitter.com/nwPuedh9lw
— ActuaLitté (@ActuaLitte) November 28, 2020