L’épineuse question des directeurs de collection provoque des remous : d’un côté, l’argument d’une « stratégie d’évasion de cotisations sociales » déployé par l’Agessa. De l’autre, une industrie, penaude, qui tente de trouver des alternatives pour rapidement remédier à une zone grise – longtemps exploitée. Et entre les deux, le lobbying se met en place pour apitoyer la ménagère.

si on regarde pas, c'est pas si sale... pixabay licence
Dans une tribune, René de Ceccatty, auteur, traducteur et… directeur de collection, dénonce dans Le Monde une tentative « d’inscrire l’édition dans la logique (ou plutôt l’absurdité) générale de la production commerciale et de l’entreprise ». Comme si les restructurations, les objectifs de rentabilité, les coupures budgétaires, les optimisations de marges (et d’autres), en somme, les questions économiques, ne concernaient pas l’édition. Et que seul Amazon pouvait être condamné quand il tente l’optimisation ou l’évasion, et être accusé « d'incivisme fiscal »…
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Le propos utile serait moins d’expliquer quelle est la fonction du directeur de collection au sein d’une maison d’édition, que de détailler son fonctionnement économique – et déplorer que son statut fiscal n’existe pas. Parce que le discours de René de Ceccatty, pour intelligible qu’il soit, omet tout de même de préciser comment sont rémunérés les directeurs de collection : sur l’à-valoir des auteurs (quand ce dernier existe) et sur leurs droits d’auteurs — quel qu’en soit le pourcentage. En effet, la rémunération du dircoll s’effectue dans la majorité des cas au détriment des auteurs eux-mêmes.
Ce dernier introduit certes « une famille littéraire, distincte de la maison d’édition dont il fait partie ». Et que son travail soit rémunéré va sans dire : que le modèle économique de cette rémunération impacte celle de l’auteur, c’est toute l’impasse qu’il convient d’examiner.
À ce titre, toute la réflexion de l’Agessa — pas très nette non plus d’avoir toléré cette rémunération en à-valoir et droits d’auteur pour les dircoll — tourne bien autour de cette notion non de rémunération, mais de mode de rémunération. À quel moment un directeur de collection est-il assimilable à un auteur ?
La Ligue des auteurs professionnels le rappelle sans détour : si le rôle est de produire une collection, celle-ci incarne une idée. Mais le droit d’auteur ne protège que les œuvres réalisées, pas les idées. Et de conclure : « Rémunérer en droits d’auteur un éditeur nécessiterait donc de considérer qu’en inventant sa collection, le directeur de collection est de fait co-auteur des livres qu’il y publie. »
Des exemples à faire frémir (et l'hiver n'y est pour rien)
Certaines maisons ne se privent d’ailleurs pas — nous en avons consulté plusieurs exemples — de faire apparaître en quatrième de couverture le nom du ou de la dircoll. Or, poursuit la Ligue « le SNE lui-même n’a jamais osé aller aussi loin, car il sait très bien que ce serait un abus manifeste, une atteinte aux droits moraux et patrimoniaux des auteurs sur leur œuvre ». Et que le Code de la propriété intellectuelle n’accepterait certainement pas ce type de comportement.
Pour exemple, voici l’extrait d’un contrat, proposé à un auteur en 2015 : il offrait 6 % de droit d’auteur, pour une avance de 2500 € — la directrice de collection allait percevoir 2 % de DA et 300 €. On parlait alors d’un ouvrage de 50.000 signes, et pour ce qui est des droits poche, la proposition fait sourire :

Reste que pour rémunérer les dircolls, quand ils sont auteurs, l’idée de s’appuyer sur la circulaire de 2011 fait son chemin. « Il paraît très légitime, sur ce principe, qu’un auteur puisse déclarer ses revenus de direction littéraire en “connexes” tant qu’ils restent dans des proportions raisonnables et que son statut d’auteur est clairement identifié », indique la Ligue — et la SGDL tient également la même ligne. La mission Bruno Racine devrait aussi apporter quelques précisions, vraisemblablement dans une direction similaire. Mais la Ligue ne s’arrête pas en si bon chemin :
Pourquoi, alors, les maisons d’édition ne les employaient-ils pas en tant que salariés ? Surtout quand ils travaillaient pour elles l’équivalent d’un mi-temps, voire bien plus ? Et qu’il y avait un lien de subordination avéré ? La raison principale est loin d’être reluisante : parce que cela a beaucoup plus d’avantages pour l’employeur de faire travailler un auteur plutôt qu’un salarié.
Un auteur ne signe pas de contrat de travail, et n’est pas du tout protégé par le droit du travail. Il est donc, entre autres, “licenciable” sans autre forme de procès. Ensuite, économiquement, il n’y a aucune rémunération minimum qui s’applique, aucun SMIC horaire. Enfin, socialement, l’employeur ne doit s’acquitter que de 1.1 % de « cotisation diffuseur », bien que la loi de 1975 qui avait créé le régime de sécurité sociale des auteurs ait prévu originellement que cette contribution devait compenser l’équivalent des cotisations patronales salariales (cf Loi n° 75-1348 du 31 décembre 1975, article III).
Que fera un patron, si on lui offre le choix entre embaucher en CDI et payer entre 25 % à 42 % de charges et ne pas avoir à embaucher et ne payer que 1 % de charges ? On comprend que le SNE défende bec et ongles cette liberté de choix...
Ubériser l'édition : work in progress
« Ce n’est pas conforme à l’esprit de la loi en tant que règlement, et on le comprend bien désormais : depuis le début ce modèle est biaisé, il aurait fallu le refuser dès qu’il fut proposé. Nous ne faisons qu’en payer les conséquences », déplorait une directrice chevronnée, dans nos colonnes. D'ailleurs, même le Syndicat national de l'édition avait, sur ces points, reconnu des abus par le passé.
Si l’ubérisation a frappé de multiples secteurs de notre société, le modèle de rémunération des dircoll en devient un nouvel exemple. Et aucun auteur ne souhaiterait que sa propre précarité soit étendue à d’autres acteurs de la chaîne du livre. Autrement dit : tant dans la forme que dans le fonds, ce mode de rémunération ne saurait convenir et « il y a vraiment urgence à ce que les maisons d’édition donnent les moyens à leurs employés de bien travailler », clame la Ligue.
Entre insécurité juridique, contrats désormais illégaux et fragilité économique, la solution du contrat de travail devient d’une part nécessaire, de même que ceux qui souhaitent demeurer indépendants doivent obtenir « une hausse de rémunération leur permettant de couvrir complètement celle de leurs cotisations sociales ».