Paru ce 25 novembre, le texte Ça n’arrivera pas préfigure un monde d’après, découlant « des dérives de la politique sanitaire actuelle », explique Nicolas Beuglet. Gratuitement offerte à la lecture, sa nouvelle a tout d’une crise existentielle profonde, exprimant doutes et craintes. Contemporaine et diaboliquement lucide…
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« Papa… Tu crois qu’un jour, tout redeviendra comme avant ? », demande Maïa à son père Jean, écrivain. Pourquoi cette interrogation d’adolescente ? Parce que Jean lui avait certifié : « Ça n’arrivera pas… » Et pourtant, c’est là.
Dans un monde bien trop proche du nôtre et bien trop ressemblant, nous voici plongés en 2022. Le Covax permet une vaccination contre le virus qui a sévi, mais avec un taux de protection de 70 % : le masque reste donc obligatoire. D’autant que les chiffres de contamination demeurent des variables durement scrutées par les pouvoirs publics. Toute hausse entraîne un renforcement des politiques sanitaires.
Et dans les rues, des sphères de surveillance s’attachent à vérifier que les citoyens s’y plient. Bon gré. Mal gré.
De toute manière, un système de reconnaissance faciale contrôle la population, et un processus d’identification électronique garantit la sécurité de l’État. 7 milliards de personnes sur la planète restent à scanner, ce qui ne devrait pas prendre trop de temps…
Dans ce monde, seuls les vaccinés peuvent accéder aux lieux d’échange et de convivialité (cinéma, grands magasins, restaurants, écoles…) — les non-vaccinés y sont interdits d’entrée — sinon, il y a toujours le laboratoire le plus proche, pour procéder à une vaccination rapide qui vous ouvrira les portes de la “normalité”.
Dans le cas contraire, ils resteront à l’écart et n’auront pas le droit de sortir plus de deux heures par jour. D’ailleurs, pour les étourdis, un message d’autorisation de sortie alerte quand on s’approche du temps imparti. Catastrophe économique, danger sanitaire mondial : fallait-il accepter une surveillance numérique de masse pour sauver l’humanité ?
Liberté, liberté chérie
« Je pense qu’on est vraiment à un carrefour civilisationnel de notre rapport à la liberté et que c’est en ce moment que se joue la démocratie du monde d’après. Vraiment. À ce titre, j’ai le sentiment que nous, auteurs, sommes très silencieux sur cette question qui est pourtant au cœur de notre métier », nous explique l’auteur, joint par téléphone, avec distance numérique de sécurité renforcée.
Mais le texte ne se contente pas des joies d’une fiction à peine extrapolée. « J’ai écrit cette nouvelle en une nuit après des mois de réflexion et de recherches. D’ailleurs, je pose, à la fin, les sources qui permettent de vérifier que cette “anticipation” n’est malheureusement pas sortie de mon imaginaire. »
Vaccin, cahin, caha
Avec l’idée que certains déroulent déjà le tapis rouge : « Quand on entend Christophe Barbier — pourtant journaliste, non ? – suggérer que l’on prive les gens de restaurants s’ils ne sont pas vaccinés, il y a quelque chose de terrifiant. »
Faut-il rendre la vaccination contre la Covid obligatoire ? Essayons d’être plus malins que brutaux! Mon édito vidéo du jour. pic.twitter.com/UWWJVj6Xqk
— Christophe Barbier (@C_Barbier) November 10, 2020
Mais plus encore, c’est la dérive économique qui préoccupe l’écrivain. « Si les entreprises voient qu’elles attirent plus de clients avec le label “n’entrent ici que ceux qui sont vaccinés”, alors elles joueront sur une vaccination obligatoire. Les exemples existent déjà : la compagnie aérienne australienne Quantas veut rendre la vaccination obligatoire pour ses passagers, par exemple. Et le site Ticketmaster, qui vend de la billetterie pour manifestations, y réfléchit également. »
L’entreprise a récemment expliqué qu’elle n’avait pas le pouvoir de l’imposer, mais qu’elle posait les options avec ses partenaires organisateurs d’événements. Glaçant.
En parallèle, le marché de la reconnaissance faciale (au cœur de la nouvelle) « représentait 4,9 milliards € en 2019, avec la perspective de 9 milliards € en 2024. Pour un État, c’est une aubaine : pas très cher à mettre en place, et tout un lobby est disposé à faire des efforts pour développer ce marché. Personne ne pensera plus alors à la question de la liberté : les gens préféreront la sécurité. D’ailleurs, à réécouter le discours d’Emmanuel Macron, et sa note finale sur la menace terroriste qui s’ajoute à la menace sanitaire, je sens bien que l’on est mûrs… ou que l’on nous y prépare. »
Obligation de souscrire
Dans la nouvelle, la dernière trace de liberté que Jean, le personnage, peut s’octroyer, réside dans le refus de la vaccination au Covax, lui qui a pourtant toujours fait tous ses autres vaccins classiques. Jean refuse le Covax parce qu’il sait que s’il l’accepte, il cautionne la surveillance globale qui contrôle que tout le monde est bien vacciné et qui de facto surveille les déplacements et agissements de tous les individus où qu’ils soient quoi qu’ils fassent. Ce refus de Jean est le symbole de l’éternel équilibre à trouver entre liberté et sécurité. Aujourd’hui on n’entend plus que la formule “par précaution”.

crédit photo : Nicolas Beuglet © Bruno Lévy
« Ce principe conjugué à l’injonction permanente de l’urgence endort toute forme de réflexion sur ce que l’on veut comme société à long terme. Il faut bien être conscient que les libertés que l’on décidera de perdre aujourd’hui ne se retrouveront jamais. Jamais. Est-ce que cette Covid 19 en vaut le coup ? »
Et de poursuivre : « J’aurais préféré que la France dise “on va rendre le vaccin Covax obligatoire”. Parce que là au moins, il y aurait eu un débat, une confrontation massive et publique. Comme au Danemark où les citoyens sont descendus par milliers dans les rues pendant plusieurs jours pour dire “non” à cette obligation. Le Danemark l’a envisagé, pour reculer, sans toutefois abandonner l’idée.
Le danger c’est justement de ne rien rendre obligatoire officiellement et donc de laisser un pouvoir de décision énorme aux acteurs économiques qui imposeront eux-mêmes des restrictions en fonction de leurs intérêts économiques. Si je vois que mes concurrents ont plus de clients parce qu’ils ont dit vaccin obligatoire dans mes magasins, je vais faire pareil… Et là, on est fichu, le combat devient trop disséminé pour être mené de front. »
Réfuser la résignation
Les premiers retours de lecteurs sont tout à la fois réjouissants… et terribles : « Quand je lis : “Mais que peut-on y faire ?” alors je me rends compte que nous avons accepté un certain renoncement, la résignation s’est installée. Moi, je ne suis qu’écrivain : je peux monter des fictions pour espérer créer un domino de réflexions et de prises de conscience. Plus on sera nombreux à refuser la résignation de la pensée, plus on gagnera en liberté : actuellement, nous marchons le long d’un précipice, et j’ignore de quel côté tournera le vent. »
Et, après une pause, de reprendre : « Je trouve que nous sommes entrés dans une négation globale de la politique : quand le candidat nous a dit “Ni de gauche, ni de droite”, il l’a clairement exprimé. Il n’existe plus de projet d’un côté ou de l’autre, ce qui aboutit à une impression de vide, d’absence d’alternatives ou l’on ne sait plus en quoi croire. Au cours de cette crise, qui a entendu un parti politique d’opposition proposer une autre voie de résolution que celle assénée par le gouvernement ? »
L'écrivain a le sentiment « que cette Covid-19 a achevé de faire rentrer dans la tête des gens qu’il n’y avait plus le choix sur rien. C’est ce qui me désole au fond dans tout ça, cette crise a terminé d’enfoncer le clou d’une idée mortifère qui gangrène l’Europe : celle de ne plus penser l’avenir comme un projet enthousiasmant, mais comme un moindre mal permanent, où l’on nous parle seulement d’efforts à fournir encore et encore, comme s’il fallait se contenter d’éviter à tout jamais une catastrophe. »
D'ailleurs, « on nous annonce déjà que cette crise sanitaire ne finira jamais vraiment, qu’il faudra aussi affronter la crise écologique, la crise migratoire, et la crise démographique. Ce ne sont pas des projets de société : ce sont des problèmes écrasants qui finissent par ronger les gens et détruire la pensée, là où il faudrait que les politiques injectent de l’énergie, du désir et de l’intelligence ».
La nouvelle est à retrouver sur le site de XO éditions (PDF, EPUB, MOBI et Calameo). Nicolas Beuglet vient de faire paraître Le Dernier Message chez XO.
crédit photo : PIRO4D CC 0