Victor Hugo, illustre poète, dramaturge et auteur français, est considéré depuis son vivant comme l’un des grands-pères de la Nation. On l’a connu homme politique, intellectuel engagé, ou encore prosateur romantique. Cependant, on parle trop peu du Victor Hugo dessinateur ou encore décorateur. Et encore moins de sa descendance — cinq générations — dont beaucoup furent, à l’image de l'auteur, des artistes.
L'arbre généalogique des artistes de la famille Hugo (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Autodictacte de nature, Victor Hugo apprend la rime et la mesure par lui-même dans ses jeunes années. Encouragé par sa mère et son frère, il continue dans cette voie et publie son premier recueil de poèmes, Odes, en 1821 alors qu’il n’a que 19 ans. L’année suivante, il épouse son ami d’enfance Adèle Foucher, avec qui il aura cinq enfants : Léopold (décédé à l’âge de 3 mois), Léopoldine (1824 - 1843), Charles (1826 - 1871), François-Victor (1828 - 1873) et Adèle (1830 - 1915).
Connu à l’international pour ses œuvres Odes et Ballades (1826), Les Contemplations (1856), Les Châtiments (1853), Notre-Dame de Paris (1841), Les Misérables (1862) ou L’Art d’être grand-père (1977), Victor Hugo s'est plus tard intéressé à la décoration, et au dessin, notamment lorsqu'il a emménagé à Hauteville House, située à Guernesey (Îles Anglo-Normandes). Là, il procède lui-même à la décoration complète de sa demeure, allant jusqu'à créer un mobilier unique, représentation de son imagination sans limites. Il aime jouer avec les matières, les matériaux, les couleurs, l'ombre et la lumière.
Une maison de poupées que Victor Hugo a réalisée pour ses enfants (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Ses tableaux reflètent, encore une fois, l'inventivité sans failles de l'artiste. « Victor Hugo est autodidacte, il ne suit pas de cours de dessin », explique Fabien le Borgne, intervenant culturel à la Maison Victor Hugo de Paris. « On pense qu’il glane des techniques dans les ateliers de ses connaissances. Mais ce qui l’intéresse plus que tout, c’est d’inventer ses propres techniques. Dans ses tableaux, l’on peut retrouver de la suie, de la terre, du café, dans un style de peinture souvent monochrome. Il peint souvent sur toutes sortes de supports, avec la plume avec laquelle il écrit ses ouvrages : les outils de l'écrivain deviennent ainsi les outils du dessinateur. D'ailleurs, les dessins de Victor Hugo sont souvent des dessins oniriques qui font appel à l’imagination du spectateur » poursuit-il.
Le château fantastique, dessiné par Victor Hugo (Musée Victor Hugo)
Parmi sa descendance, et dans son entourage très proche, nombreux sont ceux qui choisissent de suivre un chemin artistique. Peintres, photographes, dessinateurs, traducteurs... Aussi divers que variés, les parcours de tous les artistes de la famille Hugo sont révélés aux grand jour au cours de l'exposition « Les Hugo, une famille d'artistes ».
Buste de Victor Hugo (ActuaLitté, CC BY 2.0)
L'exposition « Les Hugo, une famille d'artistes » peut paraître inédite. Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’une exposition consacrée à Victor Hugo et à ses proches, pour la plupart artistes, voit le jour. En 2002, l’exposition « Victor Hugo et les siens : deux siècles d’art et d’artistes » mettait l’auteur et sa famille en avant. Organisée à Aix-en-Province, cette exposition présentait Victor Hugo et tous ses descendants qui ont, à divers titres, pratiqué les arts plastiques sur cinq générations.
Dans l'exposition « Les Hugo, une famille d'artistes », présentée à la Maison Victor Hugo de Paris jusqu'au 18 septembre prochain, le classement des oeuvres est chronologique. « Nous avons respecté le rythme des générations, avec quelques petites entorses à la chronographie, pour que l’exposition s’intègre au mieux à l’espace [l’exposition s’inscrit dans le parcours permanent, NdR], mais aussi quelques entorses thématiques, pour que les choses aient du sens, sans que l'ensemble soit trop rigide » explique Gérard Audinet, directeur des maisons Victor Hugo, à ActuaLitté.
Selon lui, « tous les artistes représentés ici ont des personnalités opposées. Ils sont différents les uns des autres dans leur travail, qui change selon les époques, mais aussi très différents de Victor Hugo. C’est cela qui fait tout l’intérêt de l’exposition, que l’on peut considérer comme un voyage : l’on passe d’une biographie à une autre ». Cependant, il est important de rappeler que Victor Hugo n'a pas « influencé » le travail artistique de ses proches. « Je pense que Victor Hugo était là comme une figure tutélaire. Son exemple a peut-être fait qu’il s’agissait d’un domaine naturel », précise Gérard Audinet. « L’envie de créer s’est principalement poursuivie du côté de la peinture, du dessin ou de la photographie, plutôt que de l’écriture, discipline où il est plus difficile de rivaliser avec l'oeuvre de Victor Hugo. »
Portrait d’Adèle Foucher réalisé par Julie Duvidal de Montferrier (Maison de Victor Hugo)
C'est Julie Duvidal de Montferrier, belle-soeur de Victor Hugo — elle est mariée à son frère aîné Abel Hugo —, qui commence à faire preuve d'un intérêt non dissimulé pour les arts. Elle étudie l'art de la peinture avec le baron Gérard dès 1813. Elle travaille aussi dans l'atelier de David à Bruxelles et pratiquera toute sa vie durant, la peinture d’histoire et le portrait, en tant que peintre professionnelle. Plus tard, elle enseigne le dessin à son amie d'enfance, Adèle Foucher, épouse de Victor Hugo. Julie Duvidal de Montferrier donne ensuite des cours à son propre fils, Léopold Hugo.
Oeuvre d'Adèle Hugo, la femme de Victor Hugo (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Très vite, Adèle Hugo commence à perfectionner sa technique en réalisant des portraits de son entourage au crayon. Pourtant, Victor Hugo désapprouve farouchement la nouvelle lubie de sa fiancée, qu'il juge inconvenante. Selon lui, une femme ne doit pas « descendre dans la classe des artistes ». Cependant, elle fait fit de ses remarques et poursuit son oeuvre. « Elle a une sensibilité dans le trait, avec un ombrage assez fort, le volume… » explique à ActuaLitté Fabien le Borgne. C'est à la mort de Léopoldine, sa fille aînée, qu'elle arrêtera presque complètement de peindre. Ici, elle représente sa fille, Adèle, à gauche. Elle réalise son autoportrait dans le cadre couleur bois, où elle apparaît les cheveux détachés.
Une partition écrite par Adèle Hugo, la fille cadette de Victor Hugo (ActuaLitté, CC BY 2.0)
La fille cadette de Victor Hugo, Adèle Hugo, « est une créatrice qui a beaucoup composé » précise Fabien le Borgne. Initiée à la musique par sa soeur Léopoldine, Adèle subit un traumatisme important à la suite de la mort de cette dernière. À cette même période, elle commence à souffrir de troubles mentaux, mais ne cesse pas pour autant sa pratique des arts. Elle compose des mélodies au piano, mais écrit aussi beaucoup. Entre les poèmes qu’elle écrit pour son père et l’ouvrage qu’elle projette d’écrire sur la libération des femmes, la jeune fille se montre très investie dans la pratique des arts.
Le neveu de Victor Hugo, Léopold Hugo, reçoit une formation artistique de sa mère, complétée auprès d'Horace Vernet, qui a fait ses classes à l'École nationale supérieure des beaux-arts (Paris). Léopold voue un amour pour la sculpture, la peinture, le dessin et la gravure. Plus tard, il s'essaiera néanmoins à l'écriture en publiant des ouvrages de géométrie, — son autre passion — sur les cristalloïdes entre 1866 et 1876.
Portrait d'Adèle Hugo, réalisé par Charles Hugo (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Deux autres fils de Victor Hugo, François-Victor (1828-1873) et Charles (1926-1971), suivent les traces de leur père en exerçant le métier de journaliste, lorsqu’ils fondent avec lui — et Auguste Vacquerie, un dramaturge et journaliste français, et Paul Meurice, romancier et dramaturge français — les journaux politiques Le Rappel et L’Événement. Ils sont cependant contraints de quitter leurs postes lorsque Charles publie un article contre la peine de mort en mai 1851. Condamnés à purger une peine de prison, ils rejoignent ensuite leur père à Bruxelles, puis à Jersey.
Charles Hugo s'initie alors à la photographie et réalise de très nombreux portraits de son père, dans des mises en scène inattendues. Il sera même l'auteur des quelque 500 paysages de Jersey, où il montre une très grande maîtrise du clair-obscur.
Dessin d'enfant réalisé par François-Victor Hugo (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Là, François-Victor entreprend la traduction et l’édition des Oeuvres complètes de William Shakespeare, publié en 18 volumes de 1859 à 1866. Il se passionne également pour la photographie et le dessin dès son plus jeune âge. Au cours de l'exposition, l'on peut admirer les crayonnés qu'il a réalisés, alors qu'il était enfant.
Les coups de crayon rapides de Georges Hugo remportent un grand succès (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Georges Hugo, fils de Charles Hugo, marchera dans les pas de son père puisqu'il se montrera très intéressé par la peinture. Il se formera chez Ernest Duez et réalisera des dessins, grâce auxquels il captera des scènes de sociabilité, précieux témoignage de la vie parisienne, de ses divertissements et de son art de vivre. En 1917, il s'engage dans la Première Guerre mondiale et réalise de nombreux dessins du front, oeuvres désormais exposées au musée des Arts décoratifs de Paris. Il y représente l'horreur des tranchées et des poilus dans leur vie quotidienne. « J’aime beaucoup la personnalité de Georges Hugo, car c’est un peintre d’un réel talent pour saisir toutes les scènes de sociabilité, de cafés, de bars. Il en fait quelque chose de très pétillant, presque proustien », confesse Gérard Audinet.
Une des maquettes de costumes que Jean Hugo a réalisée (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Jean Hugo, le fils de Georges Hugo, a quant à lui « une oeuvre de peintre, de décorateur. Il est aussi un grand passeur puisqu’il transmet le souvenir d’Hugo à sa famille. Il a d’ailleurs emmené certains de ses enfants à Hauteville House, dont Marie et Jean-Baptiste [ils ont réalisé l’ouvrage Hauteville House avec Gérard Audinet, NdR], qui sont restés fascinés par cette maison si particulière » explique le commissaire de l'exposition. Durant sa carrière, Jean Hugo conçoit cinq cents maquettes de costumes sur lesquelles il passe des heures entières, consacrées à des recherches approfondies sur chacun des personnages qu’il doit habiller.
Hauteville House, l'ouvrage rédigé par Marie, Jean-Baptiste, Laura Hugo et Gérard Audinet
(ActuaLitté, CC BY 2.0)
L'ouvrage Hauteville House est en réalité le point de départ et la raison même de cette nouvelle exposition consacrée à la famille des Hugo. À l'origine, Marie et Jean-Baptiste Hugo, les arrières-arrières-petits-enfants de Victor Hugo, ont contacté Gérard Audinet pour lui proposer de réaliser un ouvrage portant sur leur propre perception de l'ex-maison familiale de Guernesey, située dans les îles Anglo-Normandes. Ils avaient pour idée de réaliser une série de photographies et de peintures donnant un aperçu plus intime et personnel de cette maison au fort patrimoine culturel. La fille de Marie, Laura Hugo, a également participé au projet en sélectionnant des extraits de textes des ouvrages de Charles Hugo, mais aussi des écrits intimes de la famille Hugo pour mettre « en mots » la maison.
Dans cet ouvrage de 160 pages paru en avril aux éditions Paris Musées, les arrières-arrières-petits-enfants de Victor Hugo « offrent une vision sensible et poétique d'une maison que leur père, Jean, a habitée et dont il leur a beaucoup parlé. Leurs regards d'artistes nous font entrer, de manière intime, dans les méandres de cette création hugolienne » est-il écrit dans le communiqué de la Maison Victor Hugo.
Selon Gérard Audinet, « c’était intéressant d’avoir cette confrontation, puisque la photo et le dessin ne racontent pas la même chose. Les photos de Jean-Baptiste sont très fascinantes. Il a réussi à naviguer dans l’entre-deux, car la maison n’était pas qu’un lieu esthétique, mais aussi un lieu à vivre, et il fallait que ça se sente dans ses photos. Marie, elle, rentre plus dans le procédé de Victor Hugo, en utilisant ses techniques de découpe et de collage, pour rassembler des textures différentes ».
La série de photographies réalisée par Jean-Baptiste Hugo à Hauteville House (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Peintures réalisées par Marie Hugo pour l'ouvrage Hauteville House (ActuaLitté, CC BY 2.0)
La visite de l'exposition ne demande que 1h30, voire 2 heures pour les grands curieux qui aiment s'attarder devant les œuvres. Il n'est pas nécessaire de connaître la vie de Victor Hugo sur le bout des doigts pour profiter de l'exposition, mais il est tout de même préférable d'avoir une vague idée de son œuvre pour apprécier davantage la visite. Si les supports interactifs sont bel et bien présents au cours de l'exposition, ils ne sont malheureusement pas suffisamment mis en avant : il est facile de passer à côté ! Cependant, amateurs de l'œuvre de Victor Hugo ou non, il reste tout de même très intéressant d'apprendre à connaître ses proches, qui ont eu une vie tout aussi marquée par les arts.
Pour ceux qui souhaitent bénéficier d'informations complémentaires concernant les œuvres exposées, ou tout simplement profiter d'une visite simplifiée, il est possible de s'inscrire aux visites guidées organisées à 16 h pendant la quasi-totalité du mois d'août. Pour y participer, il faut s'inscrire auprès de l'accueil de l'établissement. Autre point important : l'entrée du musée est exceptionnellement payante pour toute la durée de l'exposition.
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