#ABF2018 – La politique culturelle d'Emmanuel Macron entend placer les bibliothèques au centre : depuis le début de son mandat, le ministère de la Culture s'est lancé dans un plan de transformation et de modernisation des établissements, pour qu'ils répondent plus aux besoins de la population. Mais l'un des principaux obstacles à la modernisation des bibliothèques reste la loi française, qui les considère encore comme des services de prêt réservés aux livres.

(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Depuis plusieurs années, le congrès de l'Association des Bibliothécaires de France (ABF) accueille des ateliers où les professionnels présentent et essayent des dispositifs dernier cri. Cette année, on y retrouve la dernière création de Nintendo, le Labo, des accessoires en carton à construire pour jouer avec la console Switch. « Je les ai testés en établissement avec des enfants, ce n'était pas toujours évident, mais cela peut vraiment être intéressant. Les usages en bibliothèques sont encore en train de se développer, mais sont prometteurs », explique Nicolas Perisse, membre de la commission Jeux vidéo de l'ABF.
Outre le Nintendo Labo et les Switch, on retrouve un casque de réalité virtuelle, des circuits imprimés et des kits Arduino pour créer et programmer ses propres machines ou encore des tablettes pour y découvrir des jeux d'éditeurs indépendants. Une bibliothèque près de chez vous pourra sans doute vous offrir une manette ou une tablette pour, à votre tour, essayer le jeu dont tout le monde parle ou, au contraire, qu'il faut absolument découvrir.
Cette offre, aussi attractive soit-elle, n'en est pas moins illégale. Ou, plutôt, les contours de ces usages n'y figurent pas, ce qui créé une zone d'inconfort juridique pour les bibliothécaires et les médiathécaires. Pour le prêt, inutile d'y compter : aucun jeu ne peut l'être sans l'accord de ses auteurs et il n'existe pas de droit de prêt pour le jeu vidéo. « Il conviendra alors de prendre contact avec l'ayant droit pour négocier les droits de prêt », rappellent Pierre Angot, Anthony Avila et Céline Méneghin dans leur livre Jeux vidéo en bibliothèque, publié par l'Agence Bibliothèques Information Services (ABIS) de l'ABF.
Pour la consultation dans les murs des établissements, la situation est tout aussi bancale : les bibliothécaires sont censés demander l'autorisation à tous les ayants droit, et donc contacter les éditeurs de jeux pour obtenir leur accord. Dans les faits, cette étape est rarement effectuée et une sorte de zone de tolérance s'est installée entre les éditeurs de logiciels, représentés par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, et les bibliothèques, qui entretiennent d'ailleurs un dialogue au long cours sur le sujet.
Aussi curieuse soit-elle, cette situation, qui s'explique par l'absence d'une prise en compte du jeu vidéo par la loi française, dans laquelle le droit de prêt n'est prévu que pour le livre imprimé, s'applique aussi à la musique, au livre audio et au livre numérique (malgré une tentative de rattrapage avec le système PNB), et ce, depuis des années. Pour les DVD, ce sont les grossistes qui ont négocié des droits avec les éditeurs, moyennant un prix d'achat bien plus élevé pour les bibliothèques (45 € le DVD, par exemple) et des conditions de prêt et d'usage strictes.
Si la tolérance des éditeurs vis-à-vis des prêts en bibliothèque pourrait a priori suffire — encore faudrait-il pouvoir s'assurer que tous les auteurs sont dûment rémunérés —, ces zones floues peuvent entraver la mission de médiation des bibliothèques.
Ainsi, l'association 3 Hit Combo, organisatrice du festival Stunfest de Rennes, consacré au jeu vidéo, s'est-elle vu refuser le droit de recevoir des dons par la Direction Régionale des Finances Publiques. Le motif du refus : « Le caractère culturel ne peut être reconnu à l’association 3 Hit combo puisque son activité n’est pas consacrée à la création, à la diffusion, ou à la protection d’œuvres de l’art et de l’esprit tel que défini par la doctrine administrative, qui exclut les activités ludiques et de loisir. » (voir sur leur site)
De fait, l'absence de prise en compte des nouvelles pratiques culturelles dans la loi peut avoir des conséquences fâcheuses : pour cette association, un déficit de plusieurs milliers d'euros qui menace son existence, et, pour les bibliothécaires, des conditions de travail incertaines et délicates. Aussi, avant de moderniser les bibliothèques, le gouvernement devrait commencer par appliquer une mise à jour aux textes...
Dossier : Congrès 2018 de l'ABF : À quoi servent les bibliothèques ?