Juin pointe tranquillement le bout de son nez, et, avec, le début des vacances d’été ou, tout du moins, le début de ses préparatifs. Rien ne sert de s’envoler loin, la France regorge de lieux emplis d’histoire et de mémoire. Amoureux de la littérature, et si vous partiez sur les traces des plus grandes œuvres littéraires ? Pour une fois, oublions un peu Paris et (re) découvrons nos régions françaises. Que vous soyez un amateur du Sud, du Nord, de l’Est ou de l’Ouest, à chaque paysage est l’occasion pour vous de retrouver les romans qui vous ont fait vibrer.
Francisco Antunes, CC BY 2.0
Les cigales, le pastis et la mer. Quoi de plus inspirant ? L’emblème du sud de la France, Marseille, a une place de choix dans la littérature du XXe siècle. Le poète Jules Supervielle, dans son recueil Débarcadère, dresse un portrait élogieux d’une ville accueillante, chaleureuse et souriante. Il loue le bruit, l’agitation, la vivacité d’une ville « toujours en partance », il glorifie la mer méditerranée mêlée aux cafés qui « enfantent sur le trottoir hommes et femmes de maintenant avec leurs yeux de phosphore, Leurs verres, leurs tasses, leurs seaux à glace et leurs alcools, Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétillantes ».
Il fait de Marseille une femme dont il est amoureux et qui ne lui appartient pas : « Marseille, écoute-moi, je t’en prie, sois attentive, Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur, Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu ».
Émile Zola était également un grand amateur de Marseille. Alors que nous sommes plutôt habitués à l’entendre décrire l’enfer minier du Nord-Pas-de-Calais, Émile Zola était aussi un amateur de la côte bleue. Dans Naïs, il résume en une seule phrase son impression : « Le pays est superbe », avant de se lancer dans une description enchanteresse : « Lorsque le soleil tombe d’aplomb, la mer, presque noire, est comme endormie entre les deux promontoires de rochers, dont la blancheur se chauffe de jaune et de brun. Les pins tachent de vert sombre les terres rougeâtres. C’est un vaste tableau, un coin entrevu de l’Orient, s’enlevant dans la vibration aveuglante du jour. »
L’intérieur du pays a tout autant fait parler de lui. On pense bien sûr à Marcel Pagnol qui, dans La Gloire de mon Père et Le Château de ma Mère, a rendu célèbres les collines d’Aubagne. Un peu plus au Nord, c’est Giono avec, notamment, Le Hussard sur le toit qui a contribué à populariser le monde paysan provençal et à faire découvrir Manosque à l’ensemble de la France.
Mon œuvre préférée de la région restera toujours celle d’Elizabeth Barbier, Les Gens de Mogador. Ce feuilleton historique, le plus marquant de mon adolescence, relate les aventures de la famille de Julia sur trois générations, entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale. Si le domaine de Mogador est imaginaire, il s’inspire très fortement de la campagne avignonnaise et du Château du Martinet. Aujourd’hui, le domaine d’Estoublon, choisi pour l’adaptation de la saga littéraire en téléfilm, reste l’emblème de la saga. On peut y goûter la cuvée Mogador.
Autre mer, autres paysages, autres auteurs. Victor Hugo et Hippolyte Taine ont prêté attention au Pays basque. « Je ne sache pas d’endroit plus charmant et plus magnifique que Biarritz… Biarritz est un village tout blanc à toits roux et à contrevents verts posés sur des croupes de gazon et de bruyère dont il suit les ondulations… » confessait Hugo.
Plutôt visionnaire, sa pire crainte était que la ville devienne à la mode : « Déjà l’on y vient de Madrid ; bientôt on y viendra de Paris… Alors, Biarritz, ce village si agreste, si rustique et si honnête encore, sera pris du mauvais appétit de l’argent. Bientôt Biarritz mettra des rampes à ses dunes, des escaliers à ses précipices, des kiosques à ses rochers, des bancs à ses grottes. Alors Biarritz ne sera plus Biarritz ; ce sera quelque chose de décoloré et de bâtard comme Dieppe et Ostende ». Si la ville est en effet devenue une station balnéaire extrêmement prisée, elle reste tout de même très appréciable.
Taine préférait quant à lui Saint-Jean-de-Luz. Dans son Voyage au Pays Basque, Taine décrivait ce village sauvage, petit port malheureux face à la tempête : « Contre la houle grondante amoncelée depuis l’Amérique, nul ouvrage d’homme ne tient. L’eau s’engouffrait dans le chenal et arrivait comme un cheval de course aussi haut que les quais, fouettant les ponts, secouant ses crêtes, creusant sa vague ; puis elle clapotait lourdement dans les bassins, quelquefois avec des bonds si brusques qu’elle retombait par-dessus les parapets comme une écluse, et noyait le pied des maisons. »
Un drôle de zèbre, CC BY ND 2.0
Plus au Nord, c’est évidemment à Mauriac que l’on pense quand on se figure Bordeaux. Le titulaire du fauteuil numéro 22 à l’Académie française, pourfendeur de la bourgeoisie bien-pensante provinciale a fait de Bordeaux le théâtre de ses œuvres. Dans Genitrix, il s’inspire directement de sa maison d’enfance pour réécrire l’histoire conflictuelle entre une mère et son fils. Dans Thérèse Desqueyroux, son autre œuvre célèbre, les personnages parcourent le territoire landais. Si les personnages de Mauriac sont souvent antipathiques, les paysages, quant à eux, sont superbes et valent le détour.
Balzac, dans les Illusions perdues, a dressé un siècle plus tôt un portrait incontournable du Sud-Ouest en dépeignant la ville d’Angoulême. La description de la ville ne se résume pas à une simple observation topographique : elle est déjà un prétexte pour une étude des mœurs. La Charente sépare la ville entre le Commerce et la Noblesse, le Pouvoir et l’Argent. L’écrivain était alors au sommet de son art et de ses analyses psychologiques.
Les territoires du nord de la France ont eux aussi donné lieu à de beaux passages de la littérature française. La Normandie est peut-être la région préférée de nos écrivains : on pense bien sûr à la description de ses falaises par Maupassant, notamment dans Le Saut du Berger, aux promenades proustiennes à Balbec, station balnéaire imaginée, mais inspirée de Cabourg et Trouville, à la ville de Dieppe, célébrée par Chateaubriand… Chaque recoin de Normandie est une occasion pour partir sur les traces des grands écrivains.
Le nord de la France a également été souvent traité en littérature, mais c’est vrai, il faut l’avouer, sur un ton bien moins élogieux. Bernanos, dans son Journal d’un Curé de Campagne évoquait avec horreur le village d’Ambricourt : « Le village m’est apparu brusquement, si tassé, si misérable sous le ciel hideux de novembre. L’eau fumait sur lui de toutes parts, et il avait l’air de s’être couché là, dans l’herbe ruisselante, comme une pauvre bête épuisée. Que c’est petit, un village ! »
Zola a quant à lui fait du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais le lieu le plus sordide du paysage français. Dans Germinal il présentait Lewarde comme la porte de l’enfer. La fosse du Voreux, représentée dans les premières pages de Germinal, donne un aperçu du quotidien du personnage principal, Étienne : « C’était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d’où se dressait la silhouette d’une cheminée d’usine ; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques ; et de cette apparition fantastique noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d’un échappement de vapeur qu’on ne voyait point. » Aujourd’hui le centre historique minier de Lewarde se visite.
Que se passe-t-il du côté du Rhin et de la frontière allemande ? Aragon, Victor Hugo, Alphonse Daudet, Marcel Aymé et Stendhal, pour ne citer qu’eux, ont une histoire à raconter sur les régions de l’Est. Aragon dans Le Con d’Irène ne garde pas de très bons souvenirs de la ville de Commercy : « De ma fenêtre, je n’apercevais qu’un morceau sinistre de rue vide, bordée de ces grises maisons qui portent au visage toute la maussaderie de l’est français. »
Stendhal, lui non plus, n’était pas un aficionado de l’Est français : « Sans ses vins admirables, je trouverais que rien au monde n’est plus laid que cette fameuse Côte-d’Or […] La Côte-d’Or n’est donc qu’une petite montagne bien sèche et bien laide ». Rien que ça !
Mais est-ce que l’Est se laissera résumer à cette vision déprimante ? Absolument pas ! En 1838, Victor Hugo s’est rendu au Château de Montmort, situé dans la Champagne. Il le décrit comme une « exquise forteresse », sortant de la plaine champenoise. Si vous êtes dans la région cet été, le château est ouvert à la visite.
Pour Marcel Aymé, c’est la gastronomie et le vin de Franche-Comté qui lui ont fait aimer l’Est : « On ne sait pas assez que la Franche-Comté est une région d’un pittoresque reposant, dont la cuisine et les vins n’ont pas de rivaux sérieux dans tout le reste du monde. »
L’amoureux le plus fou de la région de l’Est était certainement Alphonse Daudet. Dans sa nouvelle la plus connue, La Dernière classe, il témoigne de son affection pour l’Alsace-Lorraine, alors que celle-ci était occupée par les Allemands : « J’ai fait, il y a quelques années, un voyage en Alsace qui est un de mes meilleurs souvenirs... »
Où que vous décidiez de partir en vacances cet été, n’oubliez pas ces lieux de mémoire. Ce découpage géographique – un peu grossier je l’avoue, vous aura donné, je l’espère, un aperçu littéraire de nos régions françaises. Je vous recommande vivement le site cartographie-litteraire.net pour un Tour de France plus en détail.
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