Parce que cette opération classe, catégorise et ordonne, le catalogage répond à un certain nombre de normes et de règles, qu'il peut être salutaire d'interroger. L'autrice Bessora, par ailleurs présidente du Conseil permanent des écrivains et vice-présidente du Syndicat national des auteurs et des compositeurs, signale ainsi plusieurs anomalies au sein des notices d'autorité de la Bibliothèque nationale de France. Des auteurs nés en France sont classés sous le pays « France », ceux originaires de Guadeloupe sous le pays « Guadeloupe »...

Sur son blog, l'autrice Bessora s'étonne : « [S]elon la BnF, institution tout ce qu’il y a de républicain, un écrivain français est de nationalité française s’il est blanc. Sinon, il est de nationalité martiniquaise (ou francophone) », relève-t-elle. Bessora tire cette conclusion des notices d'autorité de la Bibliothèque nationale de France, des fiches bibliographiques dont les informations sont réputées très fiables, utilisées notamment par les chercheurs lors de leurs travaux.
Citant plusieurs exemples, l'autrice remarque que de nombreux auteurs blancs, pourtant nés hors de la métropole comme Michel Houellebecq (La Réunion), trouvent « France » à la ligne « Pays » de leur fiche, contrairement à plusieurs auteurs noirs comme Fabienne Kanor (« Guadeloupe »), Maryse Condé (« Guadeloupe ») ou encore Daniel Maximin (« Guadeloupe »).
Légitimement, l'autrice s'interroge sur les différences qui apparaissent à la ligne « Pays » : « La BnF ne devrait pas ignorer, je crois, que la Martinique et la Guadeloupe ne sont pas plus des pays que la Bretagne, la Corse, ou le Val-d'Oise », nous indique Bessora par email.
Une histoire de normes et de catalogue
Contactés, les services de la Bibliothèque nationale de France tiennent avant tout à rappeler la finalité du catalogage : « L'objectif de la notice d'autorité est de retrouver les œuvres liées à un auteur et de pouvoir faire des recherches à partir de cette fiche, sans risquer de confusion en raison d'un homonyme, par exemple. »
Aussi, les notices d'autorités, parce qu'elles sont consultées et utilisées par de nombreux chercheurs et services, se doivent de répondre à certaines normes. La BnF se plie ainsi au RDA, un code de catalogage à vocation internationale. À propos des fiches d'autorité, et en particulier de la ligne « Pays [associé] » pointée du doigt par Bessora, ce code indique (page 74) :
Est considéré comme pays associé à la personne le pays dont les règles nationales sont suivies pour construire le point d’accès autorisé identifiant la personne.
S’appuyer sur, dans cet ordre :
a) le pays dont la personne possède la nationalité ;
b) le pays où la personne réside de manière permanente ;
c) le pays auquel est associée la langue dans laquelle la personne produit ;
d) le pays de publication des œuvres originales de la personne.
« D'un point de vue RDA strict, la question est légitime, mais le code se croise avec la norme utilisée pour le catalogage, qui est la norme ISO 3166 fixée, notamment, par l'ONU : au sein de celle-ci, les entités normées ne sont pas nationales, mais géographiques », nous explique-t-on. Or, au sein de cette norme se trouvent des références pour la Guadeloupe, Mayotte ou la Martinique, mais pas pour la Corse, par exemple.
Par ailleurs, souligne-t-on du côté du catalogage, « un bibliothécaire utilisera toujours la liste qui lui offre le plus de précision possible », raison pour laquelle la mention de la Guadeloupe, de la Martinique ou de Mayotte se retrouve à la ligne correspondant au « Pays [associé] » : « Enregistrer le nom du pays selon les préconisations de la norme ISO 3166 quand cela est possible », souligne bien le code RDA.
Le pays associé, une notion floue
Le respect d'un code et la recherche d'une certaine précision n'expliquent toutefois pas certains choix relatifs au fameux pays associé. Les services de la BnF mettent en avant la mention d'un « pays de résidence », et non d'un pays de naissance ou d'une nationalité, à cette ligne. Le code pays permet en effet de comprendre dans quel ordre s'appréhendent le nom et le prénom de l'auteur.
Bessora soulève ainsi un intéressant paradoxe : « Pierre Cornuel, auteur jeunesse. Il est sarthois. Il est référencé “France” à la BnF. L'est-il pour mieux refléter l'apport des auteurs sarthois à la littérature française ? Alain Mabanckou, franco-congolais. Il est référencé “Congo” à la BnF. Charlotte Gainsbourg, franco-anglaise. Elle est référencée “France” à la BnF. La BnF ne se préoccupe pas de la nationalité anglaise de Charlotte Gainsbourg. La BnF ne se préoccupe pas de la région d'origine de Pierre Cornuel. Il en va autrement pour Alain Mabanckou, Fabienne Kanor et beaucoup d'autres. Pourquoi ? »
Selon la BnF, ces choix sont des « éléments significatifs » permettant, une nouvelle fois, d'éviter des homonymes. « Quand un ouvrage rentre au dépôt légal, une fiche est créée, qui sera ensuite enrichie par différents départements de la BnF, c'est une matière vivante », nous explique-t-on. « Les éléments ajoutés dans les fiches proviennent des éditeurs, car nous sommes sûrs que l'auteur les a validés, et des auteurs eux-mêmes. Et nous partons du principe que les auteurs et les ayants droit pourront demander une modification, si besoin. »
Or, ce pays de résidence s'avère souvent erroné pour les auteurs : « Alain Mabanckou ne réside pas au Congo, Fabienne Kanor ne réside pas en Martinique », relève par exemple Bessora. Maryse Condé, également, réside en France, et non en Guadeloupe.
Une réflexion collective nécessaire ?
Selon la Bibliothèque nationale de France, de tels « effets de bord » [conflits entre le pays associé et la nationalité ou le lieu de résidence] concerneraient 397 notices sur les 5 millions présentes dans la base de données. Et le sujet soulevé par Bessora ferait partie des nombreuses questions posées dans le cadre de la mise à jour permanente du Catalogue collectif de France (CCFr), géré par la BnF, qui réunit les catalogues de plusieurs établissements français.
Pour Bessora, « ce catalogage illustre le fait qu'on joue sur deux tableaux à la fois, en France, qui se contredisent. Le tableau universaliste : un écrivain français, c'est un écrivain de nationalité française. Pour cette raison, y compris à la BnF, vous trouverez dans cette catégorie des écrivains qui ne sont pas (perçus comme) blancs. Le tableau différentialiste : un écrivain francophone (à la BnF, à l'université, et ailleurs), c'est un écrivain étranger qui écrit en français, ou un écrivain français qui a une gueule d'étranger », explique-t-elle.
de la littérature africaine
La question de la France présentée comme séparée de la francophonie, déjà évoquée par Alain Mabanckou, justement, devrait faire l'objet d'une « réflexion collective », selon Bessora. « La France est perçue (ou se perçoit) comme extérieure à l'espace francophone. »
Et, d'un point de vue institutionnel, « [l]a BnF étant une institution nationale, et dès lors que ses fiches n'admettent qu'un seul pays, ce pays devrait être la France quelque soit la région d'origine, la couleur de peau, ou les autres nationalités, de Charlotte Gainsbourg, d'Alain Mabanckou et de bien d'autres », termine Bessora.
Photographie : photo d'illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0