Invité de France Inter, dans l’émission On n’arrête pas l’éco, Joann Sfar a eu des propos très forts. Évoquant la situation des auteurs en pleine crise Covid-19, le président d’honneur de la Ligue des auteurs professionnels a littéralement emplafonné la Société des Gens de Lettres. Laquelle réagit, avec une plainte pour diffamation.
Alexandra Bensaid n’imaginait certainement pas le franc-parler de Sfar, quand elle lui demandait d’expliquer la situation des auteurs. Dans un sérieux coup de gueule, le dessinateur du Chat du rabbin expliquait : « Personne ne sait trop où nous mettre, personne ne sait définir notre statut. On a le triste privilège d’être la seule profession qui n’élit pas ses représentants, parce qu’il y a des organisations cacochymes qui… » (réécouter ici à 1h19)
Le fléchage de l'argent
Sfar s’interrompt et reprend : « Tenez, il y a des éditeurs qui siègent au directoire d’organisations qui représentent les auteurs. C’est complètement absurde : c’est comme si des auteurs siégeaient au Syndicat national de l’édition… »
Et d’évoquer une profession « qui a été organisée il y a très longtemps, de façon extrêmement paternaliste ». Et le réveil des auteurs, désormais, provoque de véritables larsens. « Nous ce qu’on a vu, c’est que bizarrement le gouvernement actuel est celui qui nous a le plus écoutés depuis très longtemps, et celui qui en même temps a le moins agi. »
Des instances gouvernementales qui auraient tenté d’agir, et auraient été stoppées net par « les groupements qui sont censés nous représenter, et nous représentent bien mal ». Et puis, avec l’indépendance qu’on lui connait, Sfar reprend : « Il y a des organismes comme la Société des gens de lettres, qui sont censés représenter les auteurs et qui, en fait, parlent pour la filière livre dans son ensemble […]. Ils touchent parfois d’énormes sommes d’argent, qui ne vont pas aux auteurs et en fait, on n’est pas représentés. »
La suite est d’autant plus cinglante : « On nous a promis qu’on aurait droit à ceci, à cela. Les sommes ont été allouées aux organismes dont je viens de parler — c’est-à-dire des organismes qui sont censés les redistribuer aux auteurs et qui ne redistribuent rien du tout. Les organismes ont parfois des hôtels particuliers dans le centre de Paris… »
Et de conclure : « Je n’espère vraiment rien. »
Calimero, 2.0
Diffamation, donc. Voilà en tout cas le contenu du communiqué que la SGDL vient de dégainer, estimant les propos abusifs. Elle rappelle à ce titre que les sommes confiées par le Centre national du livre font l’objet de bilans hebdomadaires — avec 534.801 € reversés depuis le 20 avril, sur les 2 millions € aujourd’hui disponibles. [Ndlr : en réalité, depuis le 10 avril, date à laquelle le fonds CNL/SGDL a été mis en place]
La SGDL n’hésite d’ailleurs pas à déplorer que l’intervention radio s’inscrit « dans le contexte d’une campagne de diffusion de fausses informations menée depuis plusieurs mois, notamment sur les réseaux sociaux, par certains membres ou représentants de la “Ligue des auteurs professionnels”, association en quête de reconnaissance et de médiatisation. »
Et d’oublier certainement que son précédent président a été pris en flagrant délit d’infox, dans une tribune publiée une quinzaine de jours avant que la SGDL ne le débarque manu militari.
La structure s’époumone également à rappeler que la présidente de la Ligue avait été invitée à prendre part à la commission d’examen des dossiers pour le fonds CNL. Mais qu’elle « a décliné cette proposition au motif qu’elle ne serait pas rémunérée pour y siéger ».
De fait, aucune rémunération pour ce fastidieux travail n’a été envisagée — et ce sujet ne date pourtant pas d’hier. Or, ce point ainsi que d’autres avaient également conduit la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse à claquer la porte de la SGDL. Étaient alors déplorés l’absence de transparence dans la répartition et des critères d’éligibilité « qui rebutent même des auteurs qui pourraient y avoir accès. »
Gratuit, c'est toi le produit
Notons que le bénévolat — à commencer par celui des commissions du Centre national du livre — avait été déploré par le président du Conseil Permanent des Écrivains, Pascal Ory. S’adressant à Vincent Monadé, président de la structure, il sollicitait la création d’un forfait pour ce temps de présence. On lui avait alors expliqué, dans un courrier de réponse d'avril 2019, consulté par ActuaLitté, que cette demande serait « actuellement très difficile à mettre en place ».
D’un côté, parce que les auteurs n’étaient pas les seuls à n’être pas rémunérés. De l’autre parce que 200 personnes devraient alors l’être, « à raison effectivement de 3 à 6 jours par an ». Une surcharge budgétaire « que nous ne pourrons absorber sans prendre sur nos crédits d’intervention ».
Cachez-moi ce sein...
Dans tous les cas, drapée dans sa dignité, et revendiquant « la confraternité qui a toujours prévalu entre les associations d’auteurs », la SGDL indique qu’elle n’avait pas relevé les attaques « et allégations mensongères dont elle a fait l’objet ».
Mais désormais, elle s’apprête à saisir le procureur de la République et dénonce « avec fermeté des méthodes qui desservent les auteurs et les actions menées par des associations sérieuses œuvrant de longue date pour les défendre et leur porter assistance ».
Quel sera le fonds de la plainte ? Voilà tout le mystère. Sfar estime que des organisations perçoivent des sommes qui ne vont pas aux auteurs : un mensonge ? Probablement pas : la création du répertoire Balzac, construit pour identifier des ayants droit, était dotée de plusieurs dizaines de milliers d’euros d’investissement.
Ainsi, il a bénéficié de 170 k€ en 2016, 40 k€ en 2017 et 90 k€ de mieux en 2018 (voir Aides création). Cet argent, qui représente une belle somme, a-t-il été reversé aux auteurs ? D’autres aides et soutiens peuvent également être perçues, sans avoir de fléchage vers les auteurs. Est-ce diffamant que de déplorer que ces sommes n'aillent pas aux auteurs ? Difficile à imaginer.
Une association de défense des auteurs, pointée par l’un d’entre eux, parce qu’elle ne remplirait pas sa mission, et qui se retourne contre l’auteur pour attaquer en diffamation, si ce n’est pas une première, voici bien une situation inédite. Et un triste précédent…
mise à jour : 18 h 28
On pouvait s'en douter, la réaction de la Ligue des auteurs professionnels n'a pas tardé. Avec une petite note acidulée.
mise à jour 2, le 26/05 - 10h00 :
Une manifestation caractéristique de l'effet Streisand ?
Crédit photo : Joann Sfar, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Commentaires
Antoine, le 25/05/2020 à 16:15:46
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Jeannot, le 25/05/2020 à 16:40:27
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Jeannot, le 25/05/2020 à 16:47:02
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Antoine, le 25/05/2020 à 17:06:39
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Adelaide, le 31/05/2020 à 09:00:00
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Cyrus Hawk, le 25/05/2020 à 16:39:58
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zest, le 25/05/2020 à 18:57:26
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koinsky, le 26/05/2020 à 05:40:54
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Jean, le 26/05/2020 à 09:32:42
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Antoine, le 26/05/2020 à 09:49:36
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Lily, le 26/05/2020 à 11:13:15
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