Le 16 juin s’est tenue la journée d’étude portant sur la problématique de l’accueil des publics migrants en bibliothèque. Proposée par l’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis, cette manifestation a réuni des professionnels tels que des bibliothécaires, des adjoints du patrimoine, des animateurs d’ateliers FLE (français en langue étrangère) ou encore des conservateurs. Avec la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée — le Musée national de l’histoire de l’Immigration — la journée d’étude de l’accueil des publics migrants en bibliothèque a permis d’évaluer les réflexions et les pratiques que fait naître l’arrivée en bibliothèques de ces publics, parfois nouveaux.
De gauche à droite : Hervé Adami, Jessica Hermand, Dominique Tabah, Cécile Denier, Pascal Leray (ActuaLitté, CC BY 2.0)
L’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis a vu le jour en 1997, afin de permettre aux bibliothécaires de « développer une réflexion commune sur les pratiques, les évolutions et les nouveaux enjeux de la profession, par l’organisation de rencontres professionnelles et de journées d’étude ». (via Association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis)
Cette organisation qui fête cette année ses 19 ans d’existence, réunit désormais une grande majorité des établissements de lecture publique du département de Seine-Saint-Denis. Leurs autres missions sont décrites comme ceci sur le site de l’association : « Mutualiser et échanger autour de groupes de travail, des compétences et des moyens logistiques » et « mettre en œuvre des projets culturels et littéraires à l’échelle départementale, comme le Festival Hors limites ».
La Bibliothèque publique d’information (Bpi), représentée hier par Cécile Denier, responsable du service d’Autoformation, met également en œuvre « un outil participatif permettant de contribuer à l’animation du débat professionnel sur le rôle social des bibliothèques ». Intitulé Bibliothèques dans la cité, l’outil permet de répondre aux questions « Comment les bibliothèques peuvent-elles contribuer à tisser du lien social, être de véritables lieux d’inclusion et de citoyenneté ? » ou encore « Comment peuvent-elles concourir à la démocratisation de l’accès à l’information, au savoir, à la culture ? »
Depuis 2012, cette organisation met en place des cycles de journées d’études, menées en partenariat avec des bibliothèques territoriales, des structures régionales du livre et des organismes de formation continue. En septembre 2015, Bibliothèques dans la cité avaient organisé une journée d’étude intitulée « Les migrants : un public de bibliothèques ? Quels besoins, quels accueils, quels services ? », à l’occasion de laquelle les professionnels des bibliothèques, du social, de la formation et de l’insertion ont pu souligner l’importance de la question de l’accès à la lecture et à la culture pour ces publics.
Au cours de la journée d’hier, l’accompagnement à l’apprentissage du français en bibliothèque a été largement évoqué, notamment parce qu’il s’agissait de la première demande émise par les migrants. Ces derniers souhaitent en effet se rendre dans les bibliothèques pour avoir accès à des ouvrages leur permettant de perfectionner l’apprentissage de leur langage d’accueil, mais aussi pour être mis en contact et en relation avec d’autres migrants se trouvant dans la même situation qu’eux. Cependant, les ouvrages en langues étrangères ne sont pas ou sont peu présents dans toutes les bibliothèques françaises, et les collections, souvent peu représentatives de ces publics, sont de plus en plus réclamées.
Hier, le projet de cette association s’est déroulé à Porte Dorée, et a ainsi réuni le personnel des bibliothécaires et en charge de la promotion de la culture, autour de la thématique de l’accueil des migrants en bibliothèques. Tout au long de la journée, près d’une quinzaine d’intervenants se sont relayés pour tenter d’apporter le plus d’éléments de réponse possible.
Parmi eux, l’on retrouvait Yvan Gastaut, historien de l’époque contemporaine et commissaire de l’exposition Frontières (présentée actuellement au Musée national de l’histoire de l’immigration) ; Émilie Guillemain, adjointe à la délégation nationale en Île-de-France de la Cimade (Comité intermouvement auprès des évacués, crée en 1939 et œuvrant, depuis, pour la dignité et les droits des personnes réfugiées et migrantes, quelles que soient leurs origines, leurs opinions politiques ou leurs convictions) ; ou encore Dominique Tabah, conservateur en chef des bibliothèques.
L’ouverture de cette journée d’étude a été assurée dès 9 h par Hélène Orain, directrice générale de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée, par Christine Carrier, directrice de la Bpi, et par Fabrice Chambon, vice-président de l’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis. Une première table ronde a été modérée par Marie Poinsot, rédactrice en chef de la revue « Hommes et migrations » et responsable du département Éditions du Musée national de l’histoire de l’immigration, dont le thème était « L’enjeu des cultures d’origine et de la diversité culturelle en bibliothèques ».
Elle réunissait la linguiste et psychosociologue Barbara Abdelilah Bauer, la responsable de la médiathèque Ulysse de Saint-Denis (qui fait partie du réseau des médiathèques de Plaine Commune, celle-ci comptant 25 médiathèques et trois bibliobus qui ont transféré leurs compétences en matière de lecture publique à la communauté d’agglomération). Penda Diouf, ainsi que Naïma Yahi, historienne et déléguée générale de Pangée Network (un organisme de création culturelle contribuant à la promotion du dialogue entre les peuples).
La seconde table ronde de la journée avait quant à elle pour thème « L’accompagnement à l’apprentissage du français en bibliothèques ». Modérée par Dominique Tabah, elle réunissait Hervé Adami, maître de conférences HDR en sciences du langage à l’université de Lorraine, Pascal Leray, directeur de la Bibliothèque d’Études et d’informations (BEI) de la communauté d’agglomérations de Cergy-Pontoise, Jessica Hermand, formatrice de linguistique professionnelle et intervenante à la BEI, ainsi que Cécile Denier, responsable du service d’Autoinformation à la Bpi.
L'historienne et déléguée générale de Pangée Network, Naïma Yahi, a tablé sur le fait que les outils pour promouvoir la culture française abordée dans d'autres langues étaient encore trop peu disponibles. « La médiation interculturelle s’appuie sur des repères visuels linguistiques qui ne sont pas toujours opérants pour les publics étrangers. Ils ont peu ou n'ont pas assez accès à la communication culturelle, qui est pourtant primordiale pour leur intégration », explique-t-elle. De plus, selon elle, il serait primordial de « sensibiliser les personnels d'accueil des bibliothèques aux dispositifs de connaissance des outils de médiations, afin qu'elles sachent comment prendre en charge les publics qui ne sont pas habitués à fréquenter les bibliothèques. Il faudrait aussi savoir remettre en cause nos médiations et savoir partir des publics pour adapter nos discours ». Car comme le précise une personne à l'assemblée, « ces publics ont tellement à nous apprendre, en retour ! »
Lors de son intervention, Barbara Abdelilah Bauer a quant à elle insisté sur l’importance de promouvoir le plurilinguisme. Elle qui a fait paraître deux ouvrages — Guide à l’usage des parents d’enfants bilingues (2012) et Le défi des enfants bilingues (2014) aux éditions La Découverte —, explique que le fait de travailler avec les enfants dans leur langue d’origine permet de faciliter l’interprétation et l’apprentissage d’une autre langue. C’est pour cette raison que la linguiste et psychosociologue souligne qu'« il est important, dans un processus de socialisation, de bien gérer ce double héritage, afin que le contact de ces langues soit une expérience positive et non un handicap. Introduire des livres en langues étrangères en bibliothèque permettrait aux enfants d’avoir une véritable passerelle entre leur langue maternelle et leur langue d’accueil. Par ce biais, il y aurait ainsi une valorisation culturelle des langues et cultures familiales des migrants ».
Elle est rejointe dans son discours par Penda Diouf, qui représentait hier le réseau Plaine Commune lors de cette journée d'étude. « Ce réseau réfléchit à l'accueil des migrants en bibliothèque depuis plus de 10 ans. » Créée en 2005, cette communauté d'agglomérations accueille 29 % d'étrangers, 14 % de Français par acquisitions et 57 % de Français de naissance, et vise « l’égalité d’accès pour tous les habitants qui sont placés au cœur du projet. Avec un catalogue jeunesse comptant 5.428 imprimés [données mars 2016, NdR] disponibles en grec, tamoul, anglais ou encore arabe, le réseau promeut une riche diversité culturelle ». Les adultes ont quant à eux accès à quelque 6 901 imprimés, répartis selon les trois critères liés à la cartographie. Sont pris en compte : les langues enseignées sur le territoire, les statistiques sur la population d'une ville et des fonds préexistants à la création du réseau.
Pour inviter les publics migrants à se rendre en bibliothèques, le réseau Plaine Commune propose également des modes d'emploi et des flyers explicatifs, incluant les programmes et les services proposés par les infrastructures, disponibles en plusieurs langues (espagnol, chinois, tamoul, anglais...).
Les supports dématérialisés tels que la médi@tic (la plateforme de ressources numériques des médiathèques de Plaine Commune qui permet d’accéder gratuitement et légalement à une offre de contenus en ligne répartis en 5 grands espaces : musique, cinéma, savoirs, presse et enfants) et le logiciel Rosetta Stone sont très demandés par les publics migrants. La raison : cela leur permet d’approfondir l’apprentissage de la langue française en passant par l’autoformation, très populaire chez ces publics, au même titre que les ateliers de conversations mis en place par les bibliothèques.
Ces activités animées le plus souvent par des bibliothécaires, mettent en relation plusieurs migrants, qui sont invités à prendre la parole comme lors de conversations, pour qu’ils puissent pratiquer la langue à l’oral, améliorer leur locution et enrichir leur vocabulaire. Cécile Denier, qui est responsable du service d’autoformation à la Bpi, explique que « l’autoformation à l’apprentissage du français existe depuis 1977 à Pompidou. La structure dispose de cabines de langues, où les publics peuvent se rendre d’eux-mêmes et travailler de façon autonome, même si deux à trois bibliothécaires sont là pour les aiguiller, en cas de besoin. La Bpi dispose de 2 000 méthodes de langues dans ses collections, et la moitié de ses consultations concernent la langue française, qui se place ainsi en tête des demandes ».
Les ateliers de conversations existent quant à eux depuis six ans à la Bpi et rencontrent un succès immense depuis qu’ils ont été mis en place. Avec trois sessions prévues le vendredi (14 h, 16 h, et 18 h), ces ateliers ne nécessitent pas d’inscription, ni de suivi, mais sont conçus en complémentarité des collections proposées par la Bpi. « Bien sûr, nous avons notre noyau de fidèle qui vient plusieurs semaines de suite, mais nous comptabilisons surtout beaucoup de nouveaux arrivants, en quête d’apprentissage de la langue française, le plus souvent », complète Cécile Denier.
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