Exclusif : Comme cela se dit actuellement, dans les milieux autorisés, c'est comme si l'on assistait « au déclin des librairies physiques ». Que ce soit avec la situation financière de Virgin, qui a conduit la société à entrer en redressement judiciaire, pour une période de quatre mois, ou les fermetures constatées de librairies en France, la situation va mal. Partout, en fait. Et les grands groupes ne sont pas épargnés.
Le 30/01/2013 à 18:17 par Antoine Oury
Publié le :
30/01/2013 à 18:17
dennis and aimee jonez, (CC BY-SA 2.0)
Il est amusant de noter qu'à l'occasion d'une allocution prononcée durant les voeux du Syndicat de la librairie, le directeur adjoint des services du livre et de la lecture au ministère, Nicolas Georges, s'est ouvert de cette question. Rencontrant des représentants de grandes surfaces spécialisées, ce dernier évoquait le discours actuel : « Nous sommes tous des indépendants », affirment les GSS. Et à raison. C'est une question de référentiel : face aux acteurs américains, quelle est la réelle différence entre un libraire indépendant et une grande surface comme Fnac ?
Réponse : aucune. Ou si peu...
Morne plaine, morne plaine...
Or, si le cas Virgin remue les hommes et les médias depuis plusieurs semaines, c'est justement vers Fnac que l'on peut se tourner, et plus particulièrement la filiale belge : la situation pourrait se corser doucement pour des dizaines de salariés. En effet, à compter de juin 2013, les Fnac belges seront approvisionnées depuis la France, ainsi que c'est déjà le cas pour les Fnac de Suisse. Les ouvrages de langue française arriveront donc depuis la France, de même que d'autres départements. Cependant, les textes en néerlandais ne seraient pour le moment pas concernés.
Une opération qui n'est en rien provoquée par le naufrage de Virgin, car « dans la stricte continuité du plan d'économie commencé l'année dernière, en janvier 2012, et qui comporte aussi des réductions de loyer, par exemple », assure la Fnac, en France. Évidemment, l'enjeu est économique, et la douloureuse règle des réductions budgétaires intervient, alors même qu'une pareille décision ne manquera pas de frapper plusieurs secteurs. Les éditeurs, en tête de ligne, les grossistes, et les plateformes de distributeurs seront toutes impactées, par ricochet.
« La logique et la pratique du pilotage central chères aux FNAC vont réduire sinon anéantir ce qui restait de l'âme des magasins belges, car malgré certains changements, les Fnac belges avaient réussi à préserver leur âme, à rester créatives, à garder leur esprit de curiosité, et à résister à une uniformisation galopante », commente, navré, un éditeur sollicité par ActuaLitté.
Le modèle suisse
Inédit ? Pas vraiment : depuis un an maintenant, les Fnac de Suisse sont régies par le même principe de centralisation. Un article de Le Temps, du 24 février 2012, évoquait cette situation, et ses conséquences.
Et si la Fnac décidait de se désengager en partie du territoire romand ? Si le géant français centralisait à Paris les achats des marchandises destinées à ses quatre magasins implantés en Suisse ? Une hypothèse sans fondement ? Pas tout à fait, du moins pour les acteurs indépendants de la scène romande. Un communiqué rendu public mardi passé – il a été signé par des dizaines d'artistes, par des distributeurs et des labels d'ici ainsi que par des organisateurs de festivals et de concerts – fait de ce scénario catastrophe une quasi-certitude.
Et pourtant, à cette époque, Julien Kervio, directeur marketing et communication, cité par nos confrères, assurait que la décision était encore loin d'être actée : « Nous sommes dans une phase d'élaboration, le processus est en route, mais personne ne peut dire de quoi il sera fait. Je regrette que nos partenaires, avec lesquels nous travaillons depuis dix ans, ne soient pas venus nous voir pour exposer leurs craintes. La démarche du communiqué signé nous a pris au dépourvu. Elle prétérite un dialogue auquel nous tenons beaucoup. »
Cette restructuration qui faisait peur en Suisse fait trembler en Belgique. « On nous dit que la direction de la Fnac en France est très contente de cette décision. Mais nous savons aussi que les collègues suisses, en dépit du soutien qu'ils ont reçu, ont été victimes de cette restructuration », nous explique-t-on depuis Fnac Belgium, où pourtant, la loi du silence frappe.
« Nous demandons à la Fnac France de conserver en Suisse une partie significative des antennes actuelles avec les responsabilités régionales », avaient en effet réclamé les auteurs d'un communiqué diffusé alors en février 2012. On y retrouvait des distributeurs, des organisateurs de concerts, plus de 200 artistes, mais également 80 labels de musique...
Economies massives en perspective
Il faut pourtant revenir en arrière, et se souvenir qu'en janvier 2012, Fnac avait décidé d'un plan d'économies massives, avec 80 millions € à épargner, et la suppression par conséquent de 500 postes, dont 310 concernaient la France. Déjà, à l'époque, l'idée d'une centralisation des commandes pour la Suisse était dans l'air du temps. Et les problématiques étaient les mêmes : quelle cohérence pouvait avoir le fait de faire acheter les livres depuis Paris, et de décider de la sorte des ouvrages que l'on trouverait donc sur le marché des Fnac suisses ?
La conséquence en Suisse fut immédiate : en mars 42 personnes allaient être licenciées sur les 380 employées, dont 300 dans les quatre magasins. Christophe Deshayes, directeur pour le Sud de l'Europe, expliquait à Le Temps : « Il s'agit d'un copilotage depuis la Suisse et la France. Les postes supports que nous avons en commun avec la France (comptabilité, référencement, informatique) devraient être mutualisés. Les fonctions qui permettent l'adaptation de l'offre aux spécificités suisses resteront en Suisse. »
Chez Fnac Belgium, on redoute la situation qui d'ailleurs ne date pas d'hier. Depuis septembre 2012, les rumeurs, déjà vives en janvier 2012, sont devenues des réalités. « C'est simplement que désormais, on s'attaque au livre », commente-t-on. La direction, selon nos informations, tenterait d'ailleurs d'éviter à tout prix le licenciement collectif, sous peine de voir les syndicats monter au créneau pour réclamer des indemnités plus importantes. C'est qu'on se plaindrait presque des lois sociales...
Des conséquences pour la chaîne du livre
Dans le cas des acheteurs de livres francophones, puisque les ouvrages en néerlandais ne seraient pas concernés, les licenciements concerneraient près d'une dizaine de personnes, selon nos informations, « 8 postes au maximum » d'après la GSS. On proposerait à des personnes travaillant à la Centrale et en magasin d'espérer garder une place dans les boutiques, mais cela même semble peu probable.
« Alexandre Bompard avait manifestement dans l'idée de centraliser toutes les Fnac de tous les pays, nous avait-on rapporté. Manifestement, c'est en cours », déplore un autre interlocuteur. Et la direction de la Fnac n'infirme pas ce constat : « Il n'y a pas que le livre qui est concerné, mais aussi la musique » nous précise-t-on en interne en soulignant bien que cette suppression n'est qu'une « piste de réflexion, présentée la semaine dernière aux employés ».
En parallèle, il semble que les différents diffuseurs de groupes français soient en négociations : Dilibel pour Hachette Livres, Interforum pour Editis et MDS pour les acteurs de la BD, entre autres, subiraient de fortes pressions, pour proposer des conditions commerciales plus avantageuses, sous peine de perdre le marché Fnac, ce que la Fnac présente comme « un objectif possible ». Une situation qui engendrerait alors d'autres licenciements « au moins une quinzaine de personnes », nous confie-t-on. Du côté Sodis et Volumen, les représentants venaient de France directement pour rencontrer les acheteurs, mais ces derniers se montrent également sceptiques sur la situation.
« On raconte que les achats, centralisés à Paris, seraient réalisés par les acheteurs de Paris, qui sont déjà complètement débordés. Et pour les aider, il pourrait alors y avoir des recrutements, parce qu'il n'est pas légal de licencier en Belgique et de recruter pour un même poste. En revanche, licencier en Belgique et ouvrir un poste en France, c'est possible. C'est la magie de l'Europe... »
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