Le procès se faisait attendre, mais l'édition mondiale est finalement sortie du bois. Des membres de l'association des éditeurs américains (Association of American Publishers, AAP) ont porté plainte contre le site Internet Archive, qui se qualifie de « bibliothèque du web » en l'accusant « de violation délibérée du droit d'auteur ». La « bibliothèque d'urgence » d'Internet Archive, mise en place pendant le confinement mondial, qui permettait d'accéder gratuitement à des ouvrages prêtés pour une période donnée, est particulièrement visée.

Un procès aux grands enjeux s'annonce dans le milieu de l'édition, après la plainte déposée par les groupes Hachette, Harpercollins, John Wiley et Penguin Random House, soutenue par l'association des éditeurs américains (AAP). Dans le document, porté à la connaissance de la Cour de district sud de New York, les plaignants accusent la plateforme Internet Archive d'être « impliquée dans une vaste violation délibérée du droit d'auteur ».
« Sans aucune licence ni paiement aux éditeurs et aux auteurs, [Internet Archive] scanne des ouvrages imprimés, stocke de manière illégale ces numérisations sur ses serveurs et distribue des exemplaires de ces copies par l'intermédiaire de sites publics », relève encore la plainte des éditeurs. D'après ces derniers, la plateforme aurait donné accès à près de 1,3 million d'ouvrages numérisés.
Une “bibliothèque d'urgence”, la goutte d'eau
La tension entre la plateforme Internet Archive, gérée par une organisation non gouvernementale, et les éditeurs de livres ne date pas d'hier. D'ailleurs, le conflit a débordé sur les voisins canadiens depuis le début de l'année. Au départ tourné vers le domaine public, le site propose depuis quelques mois une nouvelle fonctionnalité, le « prêt numérique contrôlé » ou « controlled digital lending » : un utilisateur inscrit à la plateforme peut réserver et accéder à certains titres sous droit d'auteur, gratuitement.
Internet Archive a toujours assuré que cette fonctionnalité était légale : d'abord parce que l'ouvrage imprimé, dont a été tiré la numérisation, fait partie des collections d'une bibliothèque partenaire, qui l'a acquis légalement. Ensuite, parce que le « prêt » de l'exemplaire numérique est encadré pour correspondre aux conditions de prêt de l'exemplaire imprimé : un seul exemplaire est disponible au prêt, protégé par un verrou numérique qui empêche sa lecture après la période de prêt (de deux semaines, généralement).
Ce « prêt numérique contrôlé » avait déjà fait l'objet de nombreuses critiques de la part des organisations d'auteurs et d'éditeurs, qui y voyaient une attaque directe à l'économie du livre et une extension un peu trop hardie du prêt en bibliothèques. Mais l'ouverture d'une “bibliothèque d'urgence”, en mars dernier, a poussé l'édition à attaquer en justice.
Cet établissement reprenait les principes du « prêt numérique contrôlé », mais en supprimant les listes d'attente et en rendant les livres disponibles au prêt à plusieurs personnes simultanément. Une nuance qui a incité les éditeurs à réagir, pour dénoncer le prêt numérique contrôlé, une « théorie inventée de toutes pièces », d'après la plainte mise à disposition par Torrent Freak.
Une bataille légale en vue
Les avocats spécialisés en propriété intellectuelle peuvent se frotter les mains, étant donnés les débats houleux qui s'annoncent. Internet Archive défendra une pratique du « prêt numérique contrôlé » qui s'appuie également sur le concept de fair use, ou usage loyal, qui autorise certaines exceptions au droit d'auteur pour des usages, notamment pédagogiques.
Le verdict du procès devrait autoriser ou définitivement interdire la pratique du « prêt numérique contrôlé », défendue par certaines organisations de bibliothécaires, en convoquant d'autres épisodes judiciaires récents en matière de propriété intellectuelle. Ainsi, la revente de livres numériques d'occasion, récemment jugée illégale, pourrait nourrir les analyses, tout comme le procès intenté par l'Authors Guild, organisation d'auteurs, à la plateforme HathiTrust, qui abrite et met à disposition des textes numérisés sous certaines conditions.
Dans ce dernier cas, l'initiative d'HathiTrust avait été défendue par la justice, ce qui avait sans doute encouragé Internet Archive à s'impliquer dans le « prêt numérique contrôlé ».
Dans un communiqué, l'organisation s'est dite « déçue » par la plainte : « En tant que bibliothèque, Internet Archive acquiert des livres et les prête, comme les bibliothèques l'ont toujours fait. Cela vient soutenir l'édition, les auteurs et les lecteurs. Un procès intenté par des éditeurs à l'encontre de bibliothèques pour avoir prêté des livres, en l'occurrence des versions numérisées protégées, alors que les écoles et les bibliothèques étaient fermées, n'a d'intérêt pour personne. »
Un autre précédent existe, en la matière : il s'appelle Google Books. Et la procédure a duré 10 années avant de donner raison au géant de la numérisation de livres...
La plainte est accessible ci-dessous.
Photographie : illustration, Rae Allen, CC BY 2.0
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