Définitivement, le mouvement #PayeTonAuteur a de tristes, mais beaux jours devant lui. Après la confrontation pour imposer au salon Livre Paris de rémunérer les auteurs, certains pensaient que la visibilité ne serait plus brandie comme une cryptomonnaie. Dommage : pour la journée du droit d’auteur, c’est l’UNESCO qui s’essuie quelque peu les pieds sur les auteurs.
Audrey Azoulay – ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Quand la directrice générale nouvellement nommée, Audrey Azoulay, affirmait en novembre 2017 : « Nous sommes à un moment de vérité dans lequel notre responsabilité collective est engagée et alors que jamais l’UNESCO n’a été aussi nécessaire », personne n’osait croire que cette responsabilité puisse être de la sorte remise en cause.
La journée du 23 avril a été consacrée par l’UNESCO comme Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Un choix en hommage à Cervantes, Shakespeare et Inca Garcilaso de la Vega, tous trois morts en 1616, à cette date. Depuis 1995, la journée est ainsi ponctuée par l’UNESCO d’événements destinés à faire « découvrir le plaisir de la lecture ».
Pour ce faire, et comme chaque année, l’UNESCO organise des activités (ateliers, conférences, expositions, spectacles…), et plus spécifiquement pour « sensibiliser le grand public, et en particulier les plus jeunes au monde de l’édition ». Ainsi, le siège parisien de l’UNESCO accueille des centres de loisirs, notamment, et convie des professionnels à prendre part aux réjouissances.
L’an passé, l’ancienne directrice générale, Irina Brokova, soulignait que cette journée donnait « l’occasion de mettre en avant le pouvoir qu’ont les livres de promouvoir notre vision de sociétés du savoir inclusives, pluralistes, équitables, ouvertes et participatives pour tous les citoyens ».
Mais elle ajoutait : « On dit que l’on mesure le degré d’humanité d’une société à la manière dont elle traite les plus vulnérables de ses membres. Si nous appliquons cette maxime aux livres, et notamment à ceux qui sont disponibles pour les personnes malvoyantes ou celles souffrant de handicaps physiques ou de difficultés d’apprentissage (pour des causes différentes), force est de constater qu’il y existe dans ce domaine une “disette”. »
La place des auteurs en France relève incontestablement d’une situation de vulnérabilité, en regard des dossiers sociaux qui s’approchent. Et faut-il le rappeler ? Sans auteurs, pas de livres...
En 2018, l’édition s’est fixé pour thématique Lis-moi mes droits, profitant de l’occasion pour célébrer le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Pour tout cela, l’Organisation a sollicité des auteurs, jeunesse, notamment pour l’animation « d’ateliers ludiques et pédagogiques ». Et c’est pour « l’expertise et le savoir-faire de personnes qualifiées et d’institutions de renom » que, justement, on fait appel à des auteurs.
Sauf que, pour une journée consacrée au livre et au droit d’auteur, l’affaire tombe à plat. Aucune rémunération n’est prévue, indique l’UNESCO aux auteurs qu'elle a sollicités. Le fonctionnement repose strictement sur la base du volontariat. Si les ateliers sont réalisés à titre gracieux, l’UNESCO propose « en échange [d']offrir une large visibilité sur notre site internet et sur les réseaux sociaux ».
En fait je comprends pas #payetonauteur. En tant que graphiste, on m'a souvent proposé d'être payé en visibilité. Ce qui m'a permis de remplir mon frigo de visibilité pour me faire des gratins de visibilité et payé un loyer de visibilité pour un appart de visibilité
— Elessar (@ElessBomz) 5 mars 2018
Une position qui provoque, on s’en doute, la colère des auteurs, qui n’ont pas manqué de prendre attache avec l’UNESCO. Leur a été rétorqué que « les tarifs de la Charte étaient élevés » et que, de toute manière, c’est « du bénévolat pour tout le monde », nous indique une auteure. Magnanime, l’UNESCO prend en charge l'achat des fournitures pour les illustrateurs, « parce qu’elles leur permettent de faire des interventions ».
Mais aucun intervenant ne percevra le moindre euro, et s’ils refusent d’intervenir « libre à eux. Ils n’ont aucun problème à ce que les auteurs soient bénévoles, c’est tout de même un comble pour la Journée du droit d’auteur », déplore une illustratrice !
« Mon dentiste n’a pas été d’accord quand je lui ai proposé de parler de lui sur mon site plutôt que de le payer : c’est la même chose avec eux », indique également un illustrateur, passablement remonté. « C’est ridicule comme comportement... et même scandaleux : est-ce qu’ils considèrent que l’on a le temps, parce qu’on n’a pas un “vrai” métier ? »
Dans un courrier adressé à Audrey Azoulay, consulté par ActuaLitté, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse dénonce une schizophrénie manifeste. Ainsi, « les valeurs fondamentales de votre institution (respect des droits et de la dignité humaine, défense de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité, sont incompatibles avec le refus de considérer les auteurs intervenants comme des professionnels ayant droit de fait à une rémunération », peut lire Audrey Azoulay.
Remember #payetonauteur ? Cette fois-ci, c'est l'Unesco qui organise une Journée Mondiale du Livre et du Droit d'Auteur... sans payer les auteurs sollicités.
— Olivier GAY (@0liviergay) 20 avril 2018
Un peu comme si au prochain Sidaction on offrait des capotes trouées, quoi.https://t.co/K5JJfR3Sv0
À ce jour, en France, 40 % des auteurs vivent sous le seuil de pauvreté, indique également la Charte. Dans ce contexte, leur rétribution « est un acquis que ne devrait plus remplacer une offre de “visibilité”. La Charte espère que l’UNESCO sera en mesure de comprendre ces problématiques, et d’agir conformément aux valeurs humanistes qu’elle défend ».
« L’ironie est cinglante, et n’a échappé à personne : bien entendu, l’UNESCO est dans son droit que de refuser de payer les auteurs, mais pour le 23 avril, le message qui passe est contradictoire. On reconnaît les compétences des auteurs, pour lesquels ils sont sollicités, mais ce doit être gracieux. Où est le droit des auteurs, dans ce cas ? », déplore une auteure.
#payetonauteur reprend du service pour @UNESCO_fr qui paye les fournitures mais pas les interventions des auteurs pour la Journée du Livre et du droit d'auteur, fallait oser @AAzoulay @CharteAuteurs @SNACBD @Samanthabailly @sewarde @Bulledop @AdrienTomas pic.twitter.com/D2g4DMnCA9
— Elvire De Cock (@Lam_Lok) 21 avril 2018