Reporter. Voilà certainement le mort d’ordre qui fleurira ces prochains jours, ces prochaines heures, dans l’industrie du livre. Durant la première salve de confinement, les titres reportés furent légion — autant que furent sacrifiées les nouveautés sorties juste avant le 16 mars. Or, en période de prix littéraires, quel sens prend une récompense, sans aucune librairie pour les vendre.
Didier Decoin, bien avant de prendre la présidence de l’Académie Goncourt, l’assurait à ActuaLitté : récompenser un éditeur qui ne publierait que des livres numériques était à peu près envisageable. Encore que… « Toutes les maisons ont leur place à l’Académie Goncourt, sauf une maison qui n’aurait pas la capacité d’assurer la diffusion nécessaire à l’obtention du prix. Après tout, c’est encore en librairie que l’on achète le plus de livres. Une maison qui ne pourrait pas assumer cette nécessaire diffusion ne serait pas retenue. »
Alors, saluer un pure-player — nous étions en février 2011 — « cela ne serait pas problématique. Ce qui l’est en revanche, c’est que l’on passerait les librairies de France à la guillotine. Le prix Goncourt, c’est avant tout une célébrité que l’on retrouve chez son libraire ».
Difficile de savoir si le Prix Malraux avait connaissance de ces propos avant que de lancer son initiative. Ce petit jeune des récompenses littéraires, qui salue tout à la fois essais sur l’art et fiction engagée, adresse un message à tous ses coreligionnaires.
Par solidarité avec les libraires, les auteurs et les éditeurs, le @MalrauxPrix ne sera proclamé qu’à la réouverture des librairies et invitons les autres #prixlittéraires à en faire de même @AcadGoncourt @InstitutFrance #interallié #renaudot #medicis @SLF_Librairie @R_Bachelot
— Prix André Malraux (@MalrauxPrix) October 28, 2020
Un effort de solidarité, pour ne pas décerner des prix dont la gloire profiterait peu aux libraires, et plus largement — du moins le craint-on — à un certain Amazon. C’est du moins ce que Valérie Pécresse clamait hier, demandant à que les librairies figurent dans la liste des commerces essentiels, afin de n’être pas « remplacées par les GAFAM ».
En choisissant de reporter la présentation de ses lauréats, le prix Malraux fait un beau geste et tend une honnête main vers ses confrères. Qui aurait intérêt à ce qu’en cette période, seule la vente en ligne progresse ?
Oh, mais : n’existe-t-il pas des sites internet de librairies indépendantes, voire des portails regroupant des librairies indépendantes, un peu partout sur le territoire ? Et lesdites librairies, n’auraient-elles pas malgré tout bien besoin de quelques best-sellers, pour mettre un peu de beurre dans les pâtes ? Faut-il reporter pour préserver les librairies, ou considérer qu’en reportant, le chiffre d’affaires des prix littéraires partira en fumée — sera différé.
Avec quel espoir véritable, si le 1er décembre la France sortait de ce second confinement (n’osons pas dire deuxième)? Que les clients se précipitent sauvagement en librairie ?
crédit photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0