Quand on entend dans certains milieux, littéraires et parisiens, que Matzneff pourrait n’avoir pas fait autant de victimes qu’envisagé, on se contient d’exploser. Surtout quand l’argument déployé consiste à clamer que l’on aurait certainement entendu bien plus tôt la parole desdites victimes. À ce titre, les révélations du Parisien démangent autant que dérangent.

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Or, avant la loi Veil sur l’IVG de 1975, les méthodes relevaient plutôt de la boucherie expérimentale. Comme cela pouvait se produire, l’avortement se déroule mal, et l’adolescente en devient stérile.
Si Vanessa Springora assure dans son livre, Le consentement, être parvenue à dépasser ce qu’elle avait vécu, il en était allé autrement de l’autrice de l’ouvrage proposé à Grasset. Le Parisien affirme que Jean-Claude Fasquelle, alors à la tête de la maison aurait « renvoyé aux oubliettes » ledit livre.
Depuis 2000, c’est Olivier Nora qui a les commandes de cette filiale d’Hachette Livre, et a donc validé la parution du livre de Vanessa Springora.
La valeur littéraire qui fait la publication
Pourquoi pas jadis et naguère oui ? Surtout, insiste l’article, que le livre avait été accepté par une éditrice de Grasset. Olivier Nora, qui dans un premier temps avait refusé de s’exprimer, assure cependant à l’AFP qu’il ne lui est pas possible de confirmer ni infirmer l’information. Et ce parce qu’il ne possède pas « d’archives des comités de lecture de Grasset dans les années 90 ».
Par ailleurs, il préfère mettre en garde : tout refus n’est pas une tentative de censure, idée qui relèverait d’une « interprétation malveillante ». Selon lui seule la « qualité intrinsèque des textes » leur permet d’être publiés. Ainsi, « imaginer que chaque manuscrit aimé par un éditeur de la maison et néanmoins refusé par un comité de lecture ou par le patron ne peut l’avoir été que pour des raisons inavouables est tout à fait grotesque ».
Et d’évoquer sa propre expérience, qui le conduit à quotidiennement refuser des manuscrits, sans que l’on puisse parler de censure. « S’il suffisait de se voir refuser une publication pour avoir du talent, cela se saurait », conclut-il.
Encore faudrait-il savoir ce que contenait ledit ouvrage, évidemment, pour en tirer la moindre conclusion.
Gabriel Matzneff, qui fait l’objet d’une série de révélations dans le livre Le consentement, a été lâché progressivement par plusieurs de ses éditeurs – Gallimard, La Table ronde, Léo Scheer et dernièrement Stock, autre filiale d’Hachette Livre.
En parallèle, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour viol sur mineurs de moins de 15 ans, impliquant évidemment l’écrivain. À ce titre, les éditions Gallimard auraient eu la visite de la police, ce 8 janvier au matin, dans le cadre d’une perquisition. Il s’agissait pour les enquêteurs de récupérer des manuscrits, retirés de la vente par l’éditeur.
Non dénonciation de crime ?
Cependant, plusieurs juristes proches de la rédaction s’interrogent désormais sur l’idée de non-dénonciation de crimes, conformément à l’article 434 du Code pénal. « Il existe un délai de prescription, de trois ans, mais on peut s’interroger à double titre : d’une part sur la responsabilité juridique et morale d’un éditeur qui aurait publié récemment les écrits de Matzneff. » En effet, ayant présenté ses différents Journaux comme pétris de véracité, l’auteur relatait bel et bien des actes relevant de la pédophilie.
« Mais également sur celle d’une maison qui, alertée dans un texte sur des violences commises, n’aurait pas non plus réagi. La notion de lanceur d’alerte n’est pas bien loin. »
Un éditeur nous rétorque qu’il « n’est humainement pas possible de mener une enquête sur tout ouvrage, à clef — dont la réalité serait masquée, mais basée sur des faits démontrables — que nous recevrions ». Tout en reconnaissant qu’il se montrerait certainement plus vigilant aujourd’hui que l’édition n’a pu l’être à une autre époque. O tempora, ô mores, donc…
Pour autant, nous indique une avocate, la piste de la non-dénonciation se heurte à deux volets : « Encore faut-il démontrer qu’il y ait eu crime (viol) et non délit (agression sexuelle). Et la question du consentement revient encore. Dans le cas d’une mineure de 15 ans qui serait consentante, avec toute la prudence que cela implique, en l’absence de violence, ne serait retenue que l’atteinte sexuelle. »
Autrement dit, une infraction, qui relève bien du délit, tout de même passible de 7 ans d’emprisonnement et 100.000 € d’amende…
Au-dessus de la foule
On retrouvera avec un certain effroi ses écrits tirés de Le Taureau de Phalaris, livre paru en 1987, qui se présente comme un dictionnaire philosophique – allusion également au taureau d’airain, instrument de torture de la Grèce antique. Cette construction, creuse, permettait d’enferme un supplicié, et l’on portait alors au rouge le métal en allumant un feu… Ambiance.
À l’entrée Inflexible, voici ce que Matzneff raconte :
Un esprit libre s'attire nécessairement l'hostilité des plus médiocres d'entre ses contemporains. Il doit néanmoins tenir bon, et demeurer véridique, donc naturel. Il ne doit pas avoir peur de ses singularités, de ses passions, de ce qui fait de lui un suspect. Il doit oser être supérieur à l'approbation. Certes, cela peut se terminer par la prison, l'asile ou la balle dans la tête.
Mais comme, de toute manière, il lui faudra mourir un jour, il aurait bien tort, aussi longtemps qu'il est en vie, de ne pas vivre la vie qu'il a envie de vivre, de ne pas aimer les êtres qu'il a envie d'aimer, de ne pas écrire les livres qu'il a envie d'écrire. Sur tous ces points, et quels que soient les obstacles qu'il ait à surmonter, un libre esprit doit être inflexible.
Ambiance…