Pas de pointeuse ni de machine à café, dans cet étrange bureau : simplement un site internet qui ressemblerait à un grand catalogue d'auteurs. Et pour cause. Au sortir du confinement qui a entraîné l'annulation de nombreuses manifestations, alors que pèsent encore des contraintes sanitaires fortes, comment apporter aux auteurs de nouvelles sources de revenus ? Le groupe Editis avance une idée – ouvre une porte, même : bienvenue au Bureau des auteurs.
Le 05/10/2020 à 10:57 par Nicolas Gary
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Publié le :
05/10/2020 à 10:57
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Une étude de la Ligue des auteurs professionnels pointait une perte de revenus de l’ordre de 700 €, pour la période de juin à septembre. En cause, l’arrêt brutal des manifestations littéraires, les interventions en secteur scolaire — et toute autre activité découlant de ce que l’on appelle les revenus annexes. Autrement dit, ce qui ne relève pas de la vente de livres et des droits d’auteurs alors perçus.
Cette question de la rémunération est cruciale : les États Généraux de la bande dessinée en 2016 indiquaient déjà que 50 % des auteurs de ce secteur vivaient avec moins que le SMIC, et 30 % sous le seuil de pauvreté — 67 % et 50 % pour les femmes créatrices.
Le baromètre auteurs-éditeurs de la SCAM, en 2018, pointait également qu’un quart des auteurs ne perçoit pas d’avance sur droit, contre 30 % qui reçoivent moins de 3000 €. Et les droits d’auteurs se chiffrent à 7,2 % en moyenne — contre 5,2 % en jeunesse et 3 % pour deux coauteurs.
Le rapport Racine s’ouvrait également sur ce constat : « L’État ne peut assister sans réagir à la paupérisation des artistes auteurs. » On sait que la réaction du cabinet de Franck Riester fut très éloignée de celle attendue — ou espérée — et que les regards se tournent maintenant vers Roselyne Bachelot-Narquin, avec impatience. Mais dans l’intervalle ?
Les constats posés, la réaction se fait attendre : elle vient du groupe Editis, qui inaugure un service en gestation depuis quelque temps, doucement évoqué lors d’une conférence de presse en février dernier. « Faire rayonner l’auteur à 360°, sur tous les supports, cela signifie qu’il faut élargir l’assiette des revenus, en suggérant des pistes qui correspondent. Certains préféreront intervenir lors de conférences, d’autres pour des master class », indiquait Michèle Benbunan, directrice générale d’Editis.
Les revenus complémentaires étaient placés au cœur du débat, car « tout commence avec les créateurs, dont la problématique des revenus est essentielle », soulignait-elle.
Voici donc le Bureau des auteurs, solution imaginée pour que les écrivains du groupe explorent « de nouveaux territoires » à travers des événements qu’organiseraient entreprises ou collectivités. Au départ, un site, afin de « donner du sens et de remettre l’expertise au cœur des débats, celle des auteurs ».
« Dans cette période particulière, il est essentiel pour Editis de soutenir les auteurs en expérimentant avec eux de nouvelles collaborations. S’engager sur ce chemin, c’est ouvrir le livre sur le monde et nous sommes impatients d’associer les auteurs à cette grande aventure » note Michèle Benbunan.
Avec des coûts de 5000 à 10.000 €, suivant le format, un panel de 400 thématiques abordées par quelque 200 auteurs, le projet fait envie.
Clément Pelletier, directeur du développement chez Editis, en charge du projet indique être parti « de la nécessité d’apporter des revenus additionnels aux auteurs, et plus de visibilité. De même, nous avons considéré que le métier d’éditeur consistait à offrir aux auteurs de nouvelles formes de collaboration et de nouveaux horizons créatifs , avec un travail auprès de publics différents ». Pas nécessairement coutumiers des maisons d’édition donc.
Concrètement, 90 % des revenus issus de la conférence sont reversés aux auteurs — les 10 % reviennent à la maison pour le travail d’intermédiaire. « Avec ce dispositif, nous espérons faire porter la voix des auteurs. Nous avons d’ailleurs obtenu un accord de principe auprès de six entreprises pour des interventions, avant même que le Bureau n’existe officiellement. »
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Fiction, histoire, sociologie, développement personnel, management bienveillant : la pluralité des maisons, donc des auteurs, du groupe ouvre un champ large. Auquel pourrait évidemment « s’ajouter des dédicaces avec vente de livres, en fin d’intervention ». Ou, en amont, fournir des exemplaires afin que les auditeurs prennent plus activement part à l’intervention.
« La logique d’Editis, aujourd’hui, passe par cette offre de services différenciant, pour garantir un autre rayonnement de nos auteurs. » Et répondre aux autres problématiques : assurer la promotion des ouvrages et faire connaître le travail des auteurs, que ce soit en présentiel, dès que cela sera rendu possible ou, pour l'heure, en distanciel.
« La plateforme se veut simple et accessible », indique Erwan Scoarnec, directeur adjoint développement. « Quelque 200 auteurs, pour le moment, y figurent, avec une biographie, une bibliographie et les thèmes qu’ils maîtrisent. » Une porte d’entrée qui se double d’une seconde : la vingtaine de thématiques qui cette fois va se centrer sur les intervenants possibles.
Le Bureau s’ouvre ainsi pour les entreprises sur un ensemble de conférenciers à même d’animer différents types de rencontres. « Nous nous chargeons d’établir le lien entre les sociétés, les institutions ou les acteurs publics qui nous sollicitent, et les auteurs et éditeurs, pour élaborer un programme ciselé et personnalisé. »
Une manière de transformer l’expérience connue des écrivains, qui participent à des tables rondes lors de salons. Dans un tout autre contexte. Les sujets, pas nécessairement axés sur l’actualité — pourquoi ne pas envisager des temps plus légers, voire distrayants ? – permettront aussi de développer la curiosité suscitée par le milieu de l’édition.
Stéphane Watelet, fondateur des éditions Télémaque, se souvient : voilà quelques années, un auteur de sa maison avait été sollicité pour une conférence d’une heure, sur un sujet napoléonien. « Cétait le thème de son dernier livre : on lui proposait 3000 € pour cette intervention, soit pile le montant de l’à-valoir que la maison lui avait versé. »
Le Bureau se retrouve ainsi à la croisée de trois idées : prendre en compte la précarité des auteurs, les difficultés à vivre de son écriture, mais également le besoin fondamental de transmettre et communiquer sur son sujet d’écriture (parler de ce que l’on publie). « Grâce à cette offre, il devient possible de pallier le manque de revenus, trouver des compléments, et offrir des occasions de (d’assurer une présence avec une) prises de parole devant de nouveaux publics. »
Il faut imaginer que disposer d’un auditoire attentif représente tout de même une chance et une opportunité pour un auteur.
Les auteurs et les éditeurs sollicités ont tous répondu très favorablement. « Ils ont, de toute manière, le droit de nous répondre qu’ils ne sont pas intéressés. En revanche, pour nous, éditeurs, le Bureau est un vrai argument pour convaincre d’autres écrivains de nous rejoindre. C’est aussi une nouvelle façon, indispensable aujourd’hui, d’exercer notre métier à leurs côtés. »
Évidemment, certains des auteurs dont les livres font écho aux problématiques d’entreprises pourraient se tailler la part du lion pour ce type de conférence. Un ouvrage sur « Comment faire un pitch en 5 minutes » exercerait plus d’attrait immédiat qu’une historienne sur la Grèce antique. Pour autant, l’un des premiers clients, dans le secteur du cosmétique, a sollicité une autrice pour évoquer des questions de diversité… C’est le défi du Bureau : faire entrer le sens dans les entreprises grâce aux auteurs.
Le Bureau réunit, pour l’instant des spécialistes de l’éducation, des linguistes, journalistes d’investigation, ou encore historiens de l’art. Les auteurs de littérature sont présents, mais se verront proposer par la suite une place à part. « Ce qui importe, c’est que le groupe est dans son rôle : investir et développer un outil pour ses auteurs, inenvisageable pour un éditeur indépendant », conclut Stéphane Watelet.
Le projet ne règle pas des enjeux plus fondamentaux, comme le pourcentage de droit d’auteur ou la reddition de compte. « La transparence des communications auprès des auteurs, pour les ventes, les tirages, est dans les tuyaux, nous présenterons un outil prochainement », assure le groupe. Du reste, le Bureau ouvre la piste pour une autre forme de rémunération — et mérite d’être salué au moins sur ce point.
illustration : Free-Photos CC 0
2 Commentaires
koinsky
06/10/2020 à 06:12
et bla-bla-bla at blablabla... Comment tourner autour du pot et foutre sous le tapis le sujet des droits d'auteur.
Lise Boell
07/10/2020 à 17:55
Bravo ! Belle initiative ??