L’affaire Matzneff. Ou comment depuis le livre de Vanessa Springora, Le consentement, un écrivain aux orientations pédophiles se trouve au centre de toutes les attentions. À chaque jour ne suffit plus sa peine : les informations se succèdent, chacune enfonçant un peu plus l’homme. À raison, finalement.
Ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent... pixabay licence
D’abord les éditions Gallimard et La Table ronde : enfin, un des éditeurs de Matzneff décidait de supprimer la commercialisation des ouvrages. Puis, tout fraîchement, on apprend que les éditions Léo Scheer, qui avaient fait paraître plusieurs de ses livres — quitte à les rééditer —, abandonnent le navire.
Dans un communiqué, Gallimard parlait de « mesure exceptionnelle », puisque depuis 140 ans, jamais cela ne s'était vu. Léo Scheer, de son côté, cesse de commercialiser Les carnets noirs 2007-2008 ainsi que Les moins de 16 ans — titre réédité justement en janvier 2005.
Mais il n’y a finalement rien d’exceptionnel à retirer des ouvrages : peut-être s’interrogera-t-on plus légitimement sur leur parution originelle. Et cela posé, aucune illusion à entretenir : cesser la commercialisation des ouvrages, officiellement, entraînera le développement du marché d'occasion, déjà florissant.
Comment et pourquoi avoir laissé du champ à ces écrits . Matzneff, lui, se drape dans une dignité bien malvenue : dans un courrier, il accuse la société contemporaine de lui faire un procès indu. Et plutôt que de renier des pratiques pédophiles, il évoque des « galipettes coupables post-soixante-huitardes ». Le mépris ajouté à la condescendance…
« Quousque tandem abutere, Matzneff, patientia nostra ? », s’exclamerait à juste titre un Cicéron moderne ! L’écrivain qui argue d’une « vague de néopuritanisme arrivée des États-Unis » n’a-t-il aucun doute ni aucune conscience de ses actes ?
Il est en effet facile pour certains de se sentir « morveux », comme l'affirme Beigbeder, tout en préservant une amitié avec un « indéfendable ». « Cloué au pilori », selon les propos de l'écrivain, Gabriel Matzneff n’en demeure pas moins désinvolte : les clous n’ont pas dû bien tenir…
L’association L’Ange bleu, qui a choisi de le faire citer à comparaître devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, entend changer la donne. En invoquant les articles 23 et 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, c’est tout à la fois pour apologie de crime et provocation à commettre des délits et des crimes que l’écrivain sera interrogé.
L’audience se tiendra le 12 février assure 20 Minutes. Latifa Bennari, présidente de l’association est convaincue : « Mais chacun de ses ouvrages fait l’apologie de ses pratiques pédophiles. Chaque livre est un aveu ! »
Sauf que la prescription existe, nuance Me Magaly Lhotel : « Dans le cas d’une incitation et d’une provocation à commettre des agressions sexuelles, le délai est de trois mois. » Ce qui ferait tout juste sortir le dernier ouvrage paru chez Gallimard dans la zone rouge. « Cependant, il est possible de s’appuyer sur les écrits antérieurs : si le dernier livre est plus atténué, les précédents peuvent alors servir à mieux contextualiser le propos. »
L’avocate reconnaît ne pas avoir lu ce dernier titre et s’en tient à une certaine prudence. « D’un point de vue strictement juridique, un éditeur serait responsable d’avoir publié des écrits incitant à des agressions sexuelles sur mineurs. Mais il faut encore prouver cette incitation. »
Car la marge est tenue, « sauf à considérer que la publication des écrits aurait eu des conséquences dans la commission d’agressions ». Le support écrit aura-t-il eu ce pouvoir ?
Mehana Mouhou, avocat de L’Ange Bleu, pense avoir la parade : la lettre ouverte du 2 janvier, publiée par L’Express « dans laquelle il n’y a pas de déni, dans laquelle il présente sa relation avec Vanessa Springora comme un amour passionné. Cela suffit à caractériser les faits d’apologie de crime pédophile ». Un document qui suffirait à tout prouver ?
« Le fait est qu’une œuvre d’art, avec une dimension fictionnelle, pourrait évoquer des sujets douloureux de ce type. Or, non seulement Matzneff revendiquait une certaine véracité à ses textes, ce qui gomme toute défense fictionnelle, mais surtout, il se vantait de commettre les actes dont il est question », reprend Magaly Lhotel.
L’apologie de même que l’incitation ne seront pas des plus simples à traiter : « Le juge aura à trancher sur un point délicat : Gabriel Matzneff a-t-il ou non le droit d’écrire qu’il aime les mineurs. Et en écrivant cela, a-t-il pu inciter des tiers ? »
Auprès de l'AFP, Latifa Bennari de L’Ange bleu, tranche : « Depuis des années, nous recevons des appels de pédophiles nous confiant que Gabriel Matzneff leur servait de guide, et ses ouvrages, de mode d’emploi de la pédophilie. »
La juriste Laure Dourgnon, spécialiste des droits de l’enfant et du droit de la dignité estime pour sa part que la question du consentement, avancée par le titre du livre, serait une mauvaise piste.
« On a un adulte qui sait très bien ce qu’est une relation sexuelle face à une petite fille qui en ignore tout, qui a été donnée en pâture. Tout le monde savait… L’affaire Vanessa Springora est une question de société. Rappelons-nous qu’elle a été présentée à Gabriel Matzneff lors d’un dîner mondain », indique-t-elle. Autrement dit, un comportement de prédateur avéré, mais là encore cela suffira-t-il pour que les écrits deviennent des apologies et des incitations ?
Dans le même ordre, le réveil soudain du parquet de Paris qui enquête pour viols commis sur mineurs… Ses investigations « s’attacheront à identifier toutes autres victimes éventuelles ayant pu subir des infractions de même nature sur le territoire national ou à l’étranger » précisait Rémy Heitz, le procureur de la République de Paris.
Et l’on reparlera évidemment de la plainte avec constitution de partie civile, qu’Innocence en danger avait déposée en février 2014. Mais qui fut classée sans suite, après un cafouillage administratif, résume Le Point.
Le Monde rappelle aussi que l’intéressé avait fait l’objet de plusieurs convocations par la police – ce que détaille le récit de Vanessa Springora, et qu’il était connu des services de la brigade de protection des mineurs.
La valeur n’attend pas le nombre des années, faisait dire Corneille à son Cid : l’opportunité de condamner un pédophile, même après tant d’années, aurait une fameuse saveur. Sans complaisance.
La complaisance, c’est bien là ce que condamnait d’ailleurs la députée Aurore Bergé (LREM, Yvelines) dans le JDD. « On plaide en faveur de ce “vieil homme de 83 ans” dont on n’aurait pas le droit de troubler le repos. Peu importe qu’il ait pu saccager la vie de petites filles et de petits garçons. On condamne celle qui ose révéler ce qu’ils étaient si nombreux à savoir et à cautionner. »
Ce qui devient en revanche exceptionnel, c’est la ferveur avec laquelle ses anciens proches décident tour à tour de le lâcher. L’affaire prenant une ampleur peut-être inattendue — l’autrice elle-même avouait au Quotidien qu’elle n’attendait pas « un tel retentissement » —, sur des affaires de mœurs impliquant des mineurs, les soutiens se raréfient. Et pourtant ils n’ont pas manqué.
Une proche des milieux germanopratins conclut : « Et l’on parle d’un comportement qui a perduré jusque récemment. Concrètement tout ce petit monde connaît les autres victimes potentielles et l’ampleur de l’emprise. Qu’ont-ils à gagner à défendre Matzneff aujourd’hui ? »
D'ailleurs, l’affaire a pris un volet international inattendu : on apprend en effet que la Grande Bibliothèque de Montréal a retiré les œuvres de Gabriel Matzneff, suite aux allégations de viols. Dans un communiqué, diffusé en même temps que celui des éditions Gallimard, elle explique que « pour les mêmes raisons [que l'éditeur], la Direction générale de la Grande Bibliothèque a décidé de retirer ces ouvrages de sa Collection universelle. Cette décision a été prise en considérant les particularités de la situation ».
1 Commentaire
Wargentin
21/01/2020 à 16:18
"L'affaire a pris un volet international", n'exagérons pas. C'est au Québec, autant dire au Groenland. Par contre, la censure d'Amazon protège le monde entier, à l'époque du pornoclic pour tous, y compris les moins de 16 ans, contre les excès du décadent plumitif aux tomes duquel Vanessa S. a redonné une actualité – sinon une jeunesse – inattendue.