Voilà plusieurs mois que le sujet circule dans les couloirs de la rue de Valois : le projet est simple, tracer une nouvelle voie pour la Direction générale des médias et des industries culturelles. Et plus spécifiquement encore, pour la Direction du service du livre et de la lecture. Avec le confinement, les choses n’auraient que pris un peu de retard…
La bombe tombait début janvier : le ministère de la Culture préparait une refonte de sa branche armée, la DGMIC. Onze organisations professionnelles dégainaient alors une lettre ouverte, pour demander une consultation en bonne et due forme. Et des détails sur ce projet de réorganisation, dont on redoutait qu’il démantèle « l’actuelle unité administrative en charge des politiques relatives aux secteurs de l’économie du livre et des bibliothèques, pour en disperser les missions au sein de différentes entités » du ministère.
Un ver bien installé dans le fruit
Non sans fondements : déjà, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2020, le 24 octobre 2019, Franck Riester présentait à la Commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale les transformations à venir. Dans le cadre de son objectif 100 % EAC, l’idée du locataire était de généraliser l’Education Artistique et Culturelle pour les jeunes de 3 à 18 ans.
Mais l’émancipation artistique et culturelle ne commence pas à trois ans — nous avons eu l’occasion d’échanger récemment avec certains d’entre vous sur la question de l’éveil par la culture — et ne s’arrête pas à 18 ans ; elle s’étend tout au long de la vie. Elle concerne l’ensemble des personnes, quels que soient leur situation, leur âge ou leur lieu de vie. C’est pourquoi nous créerons une nouvelle direction au sein du ministère de la Culture, dédiée au pilotage de la politique de transmission et d’émancipation par les arts et la culture. Cette direction se verra également confier des missions de démocratisation culturelle pour avoir une vraie compréhension des publics, de l’évolution de leurs attentes et de leurs usages.
La députée Aurore Bergé s’était vu confier une mission par Édouard Philippe, le Premier ministre, pour en définir les contours et principes d’action. Une semaine plus tard, même son de cloche au Sénat : auditionné, le ministre servait les mêmes propos, et aux mêmes causes revenaient donc les mêmes conséquences.
Modernisation et restructuration
D’ailleurs, on en rajoutait une couche dans le plan exposant les transformations prévues à l’horizon 2022 pour le ministère de la Culture. Un exercice de modernisation, avec, entre autres, la perspective de réformer la rue de Valois, « l’administration territoriale, [d’]adapter les administrations centrales, [de] déconcentrer ».
En janvier dernier, trois jours à peine après que ActuaLitté levait le voile sur le sujet, la réorganisation était actée, par un arrêté publié le 18 janvier. Pour la DGMIC, restait à savoir à quelle sauce on serait mangé. Mais la suppression du Service du livre et de la lecture semblait alors écartée.
Et puis voilà que le rapport d’Aurore Bergé arrivé, accueilli par les services de Matignon avec un communiqué de presse. Et aucun accès au document. La volonté d’émancipation du jeune citoyen par les arts et la culture allait passer par un ministère « au service des créateurs, des arts et des droits humains ».
Près de 450 entretiens et des déplacements dans 25 départements ont nourri les 60 propositions de mon rapport #culturepourtous remis au Premier Ministre et au ministre de la Culture : "pour un ministère de la Culture au service des créateurs, des arts et des droits humains". pic.twitter.com/TOXQMbOPpF
— Aurore Bergé (@auroreberge) February 17, 2020
Le document présentait alors une soixantaine de recommandations, dont l’expertise est encore à attendre, « afin d’enrichir la feuille de route de la nouvelle direction que le ministre de la Culture souhaite créer d’ici l’été 2020 pour porter cette ambition et le renforcement des politiques territoriales du ministère actuellement en cours ».
Et le Premier ministre de souligner que le « rôle des pouvoirs publics consiste à faire en sorte que chaque Français, quels que soient son territoire ou ses origines, puisse accéder à la vie culturelle de notre pays ». Avec dans les mains un rapport qui servira d’inspiration au gouvernement – que l'on consultera à cette adresse.
RGPP, MAP : faut tout refaire
On y comprend qu’en l’état, la DGMIC répond à une structure découlant de la Révision générale des politiques publiques, entamée en 2007 — devenue entre-temps la Modernisation de l’action publique en 2012, sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.
La députée écrit que l’administration du ministère « a été profondément réorganisée et même brutalisée ». Passée de 10 directions à 3, elle a abouti à un renforcement des missions « de coordination des politiques culturelles transversales du secrétariat général ».
Or, si l’on entrait dans une logique d’accès aux œuvres à cette époque, la modernité entend basculer sur une « logique de participation des citoyens [qui] impose de mettre en résonance la culture dont chacun est porteur et les ressources culturelles qui peuvent venir l’enrichir ».
Et l’administration centrale, telle qu’aujourd’hui fonctionnant, « ne semble pas à même d’y répondre avec la plus grande efficacité ». Conclusion : il faut tout repenser.
Les craintes sans réponse
Or, peu avant le confinement, une note relative « au positionnement de la politique du livre et de la lecture au sein du ministère de la Culture », a été diffusée par une intersyndicale auprès de la rue de Valois, pour tenter d’obtenir des réponses. On y lit en filigrane l’ensemble des difficultés et problématiques que la refonte globale de l’organigramme et des rôles de chacun impliquerait.
« Alors que toute la chaine livre est encadrée, avec un interlocuteur privilégié, cette perspective interroge. D’autant que toutes les négociations avant le confinement sont reprises par le MCC au point où il les avait laissées », nous indique-t-on.
On peut y lire cette alarme : « Séparer aujourd’hui, dans l’organisation du Ministère, la lecture publique et le patrimoine des bibliothèques conduirait à faire exploser l’unité d’un secteur professionnel constitutif du Ministère, au même titre que les Musées, les Archives... Non seulement il n’y aurait plus de politique du livre, mais il n’y aurait plus non plus de politique des bibliothèques au ministère de la Culture. Et bien sûr, aucune évaluation, aucune étude d’impact n’a été réalisée sur les conséquences d’une telle décision ! Quelle sera la plus-value pour les personnels du service du livre et de la lecture et pour les usagers des bibliothèques ? »
À suivre...
photo : ministère de la Culture - ActuaLitté, CC BY SA 2.0