La désinformation, les fake news, l’infox… Ou comment un incendie durant une manifestation a dégénéré, dans les médias, en histoire de manifestants brûlant des bibles. L’autodafé soulève facilement les foules, et en appuyant sur les bons boutons, internet a tôt fait de s’embraser. Surtout quand les politiques s’en mêlent.

La profanation de textes sacrés compte parmi les sujets les plus abrasifs : rien de tel qu’un autodafé pour susciter une – légitime – indignation auprès du public. L’histoire, telle que racontée finalement, en était « trop belle pour être vérifiée », raconte le New York Times.
Politique, infox et internet
Tout commence à Portland, dans l’Oregon, avec des manifestants venus soutenir le mouvement Black Lives Matter. Ils sont accusés, vidéo à l’appui, d’avoir brûlé une pile de bibles, puis étouffé le feu avec des drapeaux américains. Le tout devant la cour fédérale. Terrible, terrifiant, insupportable.
De quoi alimenter la propagande de Trump concernant le désordre ambiant, et il n’aura fallu que quelques heures pour la vidéo devienne virale. Même le fils de Donald, Junior, s’était fendu d’un message pour dénoncer la véritable identité de ces manifestants.
Sauf que, dans les faits, quelques-uns des manifestants ont manifestement brûlé une bible, et peut-être une seconde, s’en servant pour le départ d’un feu. Et personne ne s’en est réellement préoccupé durant le rassemblement de début août. D’où venait cette déformation si grossière de la réalité ? D’une agence de presse qui oeuvre manifestement pour le compte de la Russie. Encore un coup des Russes, donc.
Mais plus encore, l’un des premiers succès viraux dans les tentatives de désinformations russes, autour de la campagne présidentielle de 2020, estime le NYT. Selon plusieurs responsables du renseignement américain, la Russie déploierait actuellement toute une variété de méthodes, pour dénigrer Joseph Biden, le candidat démocrate présumé.
Allégations démenties par les Russes, mais les services secrets n’en démordent pas : l’époque n’est plus aux faux comptes Twitter ni aux fake news de 2016.
La course politique aux mensonges
Désormais, il suffit d’influer sur les sites en langue anglaise, pour capter l’attention des médias américains. Une forme de blanchiment d’info, comme on blanchirait de l’argent : les nouvelles proviennent de sites soutenus par la Russie, dont certains seraient directement liés aux agences d’espionnage de Moscou, affirment les experts en sécurité.
Elles sont reprises par les Américains sur les réseaux sociaux, l’effet chambre d’écho, avant de devenir des infos dans les médias – et le travail de source se perd dans l’obscurité.
Certaines de ces agences médias sont bien connues : RT, financé par le Kremlin, ou encore Ruptly, qui a diffusé la fameuse vidéo de la bible brûlée. D’autres sont moins officielles, et plus difficiles à identifier : l’important est que les histoires plaisent aux conservateurs ou à la gauche alternative, suivant les besoins. Il suffit d’ailleurs d’un fond de vérité pour que l’affaire devienne plus crédible encore – permettant de bien mesurer le fonctionnement de ces procédés par ailleurs.
A contrario, certaines infos sont de véritables et pures fictions : elles perdent en utilité ce qu’elles gagnent en invraisemblance. Plus aucune autre limite que l’imagination et la crédibilité, pour jouer sur la crédulité…
Comme le montre la vidéo, on est loin d’un autodafé spectaculaire, tel que vendu par la presse. D’ailleurs, un journaliste de la presse locale avait évoqué, sur une ligne de son article, cette anecdote. Ici, Ruptly a focalisé l’attention sur le livre brûlé, et laissé patiemment monter la pression : les internautes y ont ajouté leur grain de sel, leur analyse, leur commentaire. Puis, de retweets en partages, le feu prend…
Tout cela parce qu’une bible a servi comme petit bois pour l’allumage d’un feu.
Le sénateur Richard Blumenthal, démocrate du Connecticut, cite un récent rapport du Département d’État sur la désinformation russe : « Les services de renseignement russes sont devenus plus sophistiqués, plus riches et mieux équipés en ressources, dans leur recours à l’infox en ligne. Les méthodes de 2016 semblent presque rudimentaires et pittoresques. »
Au risque de retomber dans les travers de l’histoire du berger qui criait « Au loup » !
Commentaires
Toinou, le 12/08/2020 à 12:03:47
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Letellier, le 17/08/2020 à 20:06:15
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letellier, le 17/08/2020 à 20:14:57
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Toutdememe, le 30/08/2020 à 18:57:10
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