Le projet se nomme Eurovia 16 et doit s’implanter dans le Haut-Rhin, non loin de la commune d’Ensisheim (moins de 8000 habitants). Derrière ce monstre qui avoisine les 200.000 m2 se trouve le géant américain Amazon. Un permis de construire délivré le 24 juillet et une mise en œuvre qui s’approche dangereusement...
Un immense secret, qui aura rapidement basculé du côté Polichinel de la Force, entoure cette construction. Il n’aura pas fallu bien longtemps pour comprendre qu’Amazon était à l’origine de la demande. Or, ce 5 novembre, le préfet du département doit valider la construction du mastodonte.
Un monstre sorti de terre
Les chiffres présentés par l’association les amis de la Terre font frémir : près de 15 hectares de béton sur des terres agricoles, 200 millions de produits annuellement traités. Et surtout 4500 utilitaires qui s’ajouteront aux 1000 poids lourds : un impact carbone non négligeable.
« L’autorisation intervient alors que les commerces physiques connaissent une crise sans précédent. 150.000 à 300.000 emplois sont déjà menacés du fait du premier confinement et des réactions en chaîne provoquées par leur fermeture », affirme l’association dans un communiqué.
Une forme d’indécence, quand les commerces de proximité sont fermés, et que les grandes surfaces et enseignes se voient interdire la vente de certains produits. Pourtant, les pouvoirs publics tempêtent : Anne Hidalgo, maire de Paris, ou Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, furent parmi les premières à appeler au boycott d’Amazon.
« Oui, il [Amazon] se gave. À nous de ne pas les gaver », clamait la locataire de la rue de Valois. Mais pour Ensisheim, rien ne semble en mesure d’endiguer les appétits du géant.
Insulte à la démocratie locale
Manifestement peu à l’aise avec la question, le maire de la ville, Michel Habig, avait oublié de se rendre à une rencontre organisée ce 16 octobre pour débattre d’une implantation problématique. Les opposants ne manquaient pourtant pas, ce soir-là, pour apporter au débat des arguments de poids.
Yeliz Gencer, médecin et membre du collectif d’opposants le Chaudron des alternatives, souligne que durant le premier confinement, une enquête menée par les citoyens avait eu lieu. « Après avoir signé une clause de confidentialité leur interdisant de révéler qu’Amazon serait l’exploitant final, les élus ont refusé de répondre à la presse sur le projet. »
Et d’ajouter : « L’ensemble des contributions, toutes opposées au projet, ont été balayées d’un revers de main. L’autorisation de ce projet par le préfet en plein reconfinement est une nouvelle insulte à la démocratie locale. Nous avons donc décidé de nous mobiliser tout en respectant les consignes de sécurité. »
Si le Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques doit encore passer en revue l’arrêté qui autorise le projet, l’issue semble inéluctable.
La discrétion d'Amazon
Eurovia 16, société montée spécifiquement pour l’occasion, est bien une filiale de LCP Hold Co Lux, holding du groupe Luxembourgeois Logistics Capital Partners. Mais dans ce montage, Amazon n’apparaît pas ouvertement. De quoi éviter les attaques trop directes, et protéger l’entreprise américaine de la vindicte.
Pendant ce temps, Bruno Le Maire affirme qu’une aide verra le jour pour assurer une transition numérique des sociétés et commerces : « 100 millions d’euros du plan de relance seront débloqués pour accompagner les chefs d’entreprise dans leur digitalisation, via une aide directe ou un crédit d’impôt. Ce doit être le plus simple et le moins coûteux possible. »
Et une autre, à destination des TPE et PME, avec un fonds de 15 milliards €. « Le fonds de solidarité va être porté jusqu’à 10 000 € mensuel pour toutes les entreprises de moins de 50 salariés fermées administrativement. Chaque commerçant pourra cumuler cette somme avec l’aide sur les loyers et avec les exonérations de charges. L’État a toujours répondu présent et continuera de répondre présent. »
Pot de fer, pot de terre... pot pourri
Pas de quoi faire rêver ni garantir qu’une concurrence plus équilibrée verra le jour. Les associations Les Amis de la Terre et Alsace Nature, se disent prêtes à lancer un recours, si l’arrêté est validé par le préfet. ActuaLitté a demandé des précisions à la firme : nul doute que le silence sera de rigueur...
Un pis-aller se présente : durant le premier confinement, la justice avait interdit à Amazon de vendre autre chose que des biens de première nécessité. Vierge effarouchée, la société avait préféré fermer ses entrepôts plutôt que de céder au tribunal de Nanterre.
« L’astreinte, telle que précisée par la Cour d’appel, signifie que même avec un taux infime de traitement accidentel de produits non autorisés, de l’ordre de 0,1 %, le risque de contrevenir à la décision de la Cour d’appel pourrait entrainer une pénalité de plus d’un milliard d’euros par semaine », répondait Amazon.
Voilà qui n’empêche pas les constructions d’entrepôts, mais offre un lot de consolation.
via La relève et la peste, Reporterre, Rue89 Strasbourg, Alter presse 68, Le Parisien
crédit photo : Mike Mozart, CC BY SA 2,0
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