Lola Mirabail, responsable du département des services au public à la bibliothèque de l’université de Paris 8 a, dans le cadre de ses études, réalisé un mémoire de conservateur Enssib Lecture publique et immigration(s). Intitulé L’accueil des primoarrivants dans les bibliothèques françaises (2015), elle a présenté les résultats de ses recherches lors de la journée d’étude organisée le 16 juin dernier par l’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis, la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et le Musée national de l’histoire de l’immigration.
Lola Mirabail lors de son intervention à la journée d'étude « L'accueil des publics migrants en bibliothèque ». (ActuaLitté, CC BY 2.0)
« Même s’il y a une affirmation de principe, les bibliothèques ne s’impliquent pas de la même manière dans l’accueil des publics migrants. 26 % des bibliothèques que j’ai interrogées accueillent des publics migrants. 63 % d’entre elles mettent principalement l’accent principalement sur les collections spécifiques [les fonds FLE et fonds pour apprendre le français sont prédominants, NdR], tandis que 48 % d’entres elles tablent sur des services spécifiques » engage Lola Mirabail.
En se lançant dans ce travail de recherche, la jeune femme a voulu faire un état des lieux pour voir comment aujourd’hui en France, les bibliothèques de lecture publiques accueillaient le public migrant. Pour ce faire, elle a envoyé deux questionnaires à toutes les bibliothèques municipales situées dans les communes de plus de 30.000 habitants, et également à toutes les bibliothèques départementales de prêts. Lola Mirabail a aussi mené des entretiens auprès de plusieurs bibliothécaires développant des initiatives assez innovantes pour en savoir plus par rapport aux actions concrètes menées dans les bibliothèques proposant ces services.
« Cette légitimité est liée au rôle de la bibliothèque qui doit répondre aux besoins de son territoire. Si ce dernier est peuplé par des migrants, il est normal de penser des actions pour pouvoir les accueillir correctement, c’est également en lien avec le rôle social, civique et éducatif des bibliothèques » explique-t-elle.
Concernant l’offre de services de médiation, les bibliothèques font majoritairement des mises à disposition d’espaces, et reçoivent des groupes pour des visites. L’offre de services est souvent assez peu ambitieuse. Malgré tout, certaines bibliothèques sont innovantes, à l’image de la médiathèque de Béziers qui est associée avec une plateforme d’accueil des élèves allophones, qui organise un festival de cinéma pour ces élèves. Les actions sont principalement tournées vers l’apprentissage du français, à 64 %. 11 % des services favorisent le dialogue interculturel. La réflexion sur la médiation est souvent aboutie au cas par cas.
Ces disparités sont dues à un manque de politique globale de l’établissement, qui permettrait une réflexion d’ensemble qui soit menée pour penser l’accueil des migrants. Mais ces actions demandent des moyens financiers. Cependant, des possibilités sont offertes aux bibliothèques pour disposer de ces moyens. Bobigny et Montreuil ont par exemple bénéficié de subventions de l’agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale.
Certains professionnels refusent de cibler, pour servir de manière égale tout le public, car ils craignent de renforcer des discriminations. « La grande diversité des profils et des parcours va entraîner des besoins très différents, et des rapports à la bibliothèque distincts », précise Lola Mirabail. Cependant, le plus simple serait de faciliter leur intégration. « Par exemple, on peut les aider via des ressources pour les accompagner dans l’apprentissage de la langue française, grâce aux espaces d’autoformation, ou les ateliers de conversation », ajoute-t-elle.
Pour éviter de ne voir en l’autre que l’autre, il est nécessaire de bien connaître ses publics. Il n’y a pas qu’un seul public migrant. Chacun a des diversités de parcours et d’origines. Il faut reconnaître leurs besoins, qui dépendent bien souvent de leur parcours migratoire, pour pouvoir adapter l’offre à leurs attentes. Par exemple, certaines personnes veulent se rendre au Royaume-Uni. Ils n’auront donc pas les mêmes attentes que ceux qui souhaitent rester en France, notamment au niveau de l’apprentissage de la langue.
« Il est aussi important de pouvoir dessiner une bibliothèque et des espaces à leur image, c’est-à-dire un espace qui correspondrait à leurs attentes, comme c’en est déjà le cas dans l’espace télévisé de la Bpi. Les démarches actives menées vers les publics migrants comme celles qui ont été créées par La Plaine Commune sont aussi les bienvenues » indique la jeune femme.
Parmi les points mis en avant par Lola Mirabail lors de son étude, il serait primordial de développer sept axes, qui pourraient nettement améliorer les conditions d’accueil des migrants en bibliothèque. Il faudrait commencer par construire une politique documentaire via des fonds, pour leur apprendre le français à partir d’une variété de ressources. Comme leur permettre d’avoir accès à des manuels de préparation aux diplômes français, mettre à leur disposition des ouvrages pouvant être lus facilement, des films en français sous-titrés en français et promouvoir davantage les espaces d’autoformation.
Proposer des ressources pour que les migrants se familiarisent avec le système français, comme les informer et les accompagner dans l’apprentissage de leurs droits, ou des ressources audiovisuelles pour favoriser le dialogue interculturel constituerait une avancée incroyable. Comme évoqué à maintes reprises lors de la journée d’étude du 16 juin, les fonds disponibles en langues étrangères sont encore trop minoritaires pour répondre à la demande croissante émanent à ces publics. Parmi les documents les plus demandés : ceux portant sur les immigrations, et les histoires des pays dont les migrants sont originaires.
À retrouver : L'accueil des migrants en bibliothèque
« Autre point crucial : il faut mettre le dialogue interculturel à l’honneur des animations proposées par les bibliothèques », insiste la responsable du département des services au public à la bibliothèque de l’université de Paris 8. « Par exemple en organisant des événements en rapport avec la culture d’origine de ces publics, comme pour l’Asian Heritage Month ou encore le Black History Month », précise-t-elle.
Il faudrait aussi imaginer des services autour de la langue et de l’intégration, à l’image des ateliers de conversation organisés à la Bpi ou à Montreuil, prévoir des animations autour de la langue, mener des actions culturelles pour les allophones ou mettre en avant des ateliers multimédias leur permettant de s’autoformer, comme le logiciel Rosetta Stone, qui leur permet d’approfondir l’apprentissage de la langue française en autoformation.
« Le développement des stratégies de communication vers le public migrant est aussi crucial, sans quoi ils ne sauraient pas que des actions sont mises en place à leur intention. Les flyers distribués par La Plaine Commune en sont un bon exemple », présente Lola Mirabail. « Mais surtout, la formation des personnels de la bibliothèque est une démarche primordiale. En leur proposant une offre de formation développée, en favorisant les échanges et/ou partenariats entre les bibliothèques et/ou associations, et en développant les compétences de chacun, toutes les actions menées à destination des publics migrants ne seront qu’optimisées, et plus efficaces », termine-t-elle.
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