Pour l’année 2019, la Comédie du livre qui se déroule à Montpellier vient de lancer un appel à candidatures qui en fait rugir plus d’un. Il concerne les auteurs autoédités et se présente comme « une grande nouveauté » de la manifestation. Un stand leur est ouvert – avec un dépôt de dossier avant le 15 février. Si, si...

crédit Comédie du livre
« Vous avez écrit un roman, un recueil de poèmes ou des nouvelles au cours de ces deux dernières années ? Vous habitez Montpellier ou la Métropole ? N’attendez plus ! Envoyez-nous votre candidature », annonce le site de la manifestation.
Ils seront ainsi 36 à bénéficier d’un éclairage tout particulier, choisis par un jury composé de politiques, de la nouvelle directrice, Florence Bouchy et du directeur des médiathèques et du livre de Montpellier Méditerranée Métropole, Gilles Gudin de Vallerin. La succession de Régis Pénalva, ancien directeur, décidée par le maire Philippe Saurel, avait déjà fait des remous. L’apparition d’un espace pour auteurs indépendants crée des vagues...
Pour les auteurs, la condition est simple : résider dans la métropole montpelliéraine, et avoir publié roman, nouvelle ou recueil de poésie.
Un choix nuisible aux éditeurs et leur professionnalisme
Le moins que l’on puisse dire est que la décision n’emballe pas du tout l’association des éditeurs de la région Occitanie (ERO). Cette dernière, dans un communiqué, prend « fermement position contre une initiative, dont elle peine à comprendre toutes les motivations ». Pire, elle irait, selon l’association, « dans le sens de la désintermédiation systématique à l’œuvre dans de nombreux secteurs et que nous condamnons ».
Ainsi, à trois mois de la manifestation, et alors que l’événement a connu de multiples changements, ERO « s’étonne et s’inquiète de l’appel à candidatures d’auteurs autoédités dans le cadre d’un stand qui leur serait attribué ». Elle évoque ainsi la charte des salons en régions, datant de 2009, et conçue par l’ancienne agence du livre en Languedoc-Roussillon.
Cette dernière stipulait que les auteurs invités pour des manifestations littéraires « doivent être publiés à compte d’éditeur ». Elle fut alors signée par Philippe Saurel, actuel président de Montpellier-Méditerranée-Métropole, relève l’association.
Ce choix d’un espace destiné aux auteurs indépendants « nuit par ailleurs et de manière considérable à la reconnaissance du professionnalisme des éditeurs ». Et pire encore, elle favoriserait de « grands opérateurs de vente en ligne, en particulier Amazon », qui poussent allégrement l’essor de l’autoédition. Le tout en entretenant « une illusion intellectuelle tout en cherchant à exclure les éditeurs et les libraires de la chaîne du livre ».
Indépendants, oui, mais pas trop
Comme toujours sur ce sujet, la confusion est réelle, attribuant à Amazon seul les torts reprochés – oubliant également que des maisons parisiennes entre autres puisent volontiers dans le bassin des autopubliés de quoi alimenter par la suite leurs propres catalogues. Bien entendu, la machine de guerre de Jeff Bezos est loin d'être innocente, mais elle cristallise surtout les colères.
Par ailleurs, loin d’être l’apanage de grosses structures américaines – le sous-entendu est palpable — l’autopublication est également proposée par nombre de petites sociétés françaises. Dont certaines sont référencées en librairies et permettent aux lecteurs d’y acheter les livres des auteurs indépendants.
Le problème est par ailleurs qu’en 2016 les organisateurs avaient refusé la présence de ces auteurs, entraînant la création d’un espace Comédie Off, sur la place Charles de Gaulle. La question se posait alors : à qui les indépendants pouvaient-ils porter préjudice ?
Au cours des dernières années – depuis la signature de la Charte –, jamais la Comédie n’avait invité d’auteurs indépendants – et même, une certaine vigilance était réclamée aux libraires. Bien entendu, on en retrouvait sur certains stands, « mais jamais dans la programmation et jamais aussi officiellement », se souvient un éditeur local.
« Il n’y a rien dans l’aide du CNL qui s’oppose à la présence d’auteurs autoédités puisqu’elle repose sur la programmation officielle », indique par ailleurs Vincent Monadé, président du Centre national du livre. L'établissement compte en effet comme l'un des partenaires de la Comédie.
« En revanche, dans la liste d’auteurs qui nous est communiquée et sur laquelle se base la commission pour attribuer une subvention – la liste officielle donc des invités par la manifestation –, il ne peut y avoir que des auteurs à compte d’éditeur. Dans le cas contraire, le CNL serait obligé de prendre acte et de retirer son aide en totalité ou partiellement. »
2020 : odyssée municipale de l'espace
« On avait même vu des auteurs s’installer d’eux-mêmes, avec leur table – il s’en trouvait un qui revenait chaque année ! » Mais qui ne fut pour autant pas sorti manu militari de la Comédie. « Mais lui donner ce caractère solennel, c'est jouer avec les lignes et créer plus de confusion dans l'esprit des lecteurs. »
Pour autant, souligne-t-on à ActuaLitté, « il n’est électoralement pas neutre qu’un an avant les municipales de 2020, on voit apparaître cette offre. Il existe évidemment une véritable demande, mais aussi une vraie pression. Et dans l’esprit des politiques, le calcul s’effectue fort simplement : les auteurs locaux auront plus de poids que les éditeurs locaux – parce qu’ils représentent plus de votes potentiels ».
Certains regrettent dans cette nouvelle orientation de l’événement que la mairie n’ait repris les commandes, « dans un procédé électoraliste ». Car, en somme, « l’événement donnait un visage international à Montpellier, mais peut-être pas assez local », poursuit un éditeur. « On avait reproché une forme d’élitisme » : cette initiative viserait-elle à le compenser ? Nous ne sommes pas parvenus à joindre la mairie pour obtenir des précisions.