Les jeux vidéo et les FabLabs (pour fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication ») sont des symboles de modernité même s'ils ont déjà acquis leurs places dans nos sociétés. Logique, donc, que le Congrès de l'ABF consacré aux innovations en bibliothèque réserve une place à ces nouveaux éléments d'une politique culturelle. Julien Devriendt, Benoît Vallauri, de la commission Labenbib de l'ABF, et Guillaume Dos Santos, de la commission Jeux vidéo en bibliothèque, ont évoqué avec nous les nouvelles pratiques et opportunités liées à ces objets culturels.
La Nuit des 4 jeudis, à Rennes en 2013 (Bibliothèque des Champs Libres, CC BY-NC-ND 2.0)
Le mariage de la bibliothèque et du numérique est déjà loin, puisque Julien Devriendt cite le Plan Jospin de 1998, qui visait à réduire la fracture numérique en équipant les établissements d'ordinateurs. Cependant, la flamme est toujours vive : « Ce travail sur la fracture numérique est très important, et il faut continuer à le faire. Mais à présent, il faut aussi montrer que nous sommes en présence d'un outil d'expression, de création », explique ce médiathécaire de Choisy-le-Roi.
« Si notre rôle est d'accompagner les citoyens et de favoriser la diffusion des cultures, des idées et de l'information, c'est aussi apprendre à s'exprimer, ce qui passe par la création, quelle que soit sa forme : l'écriture, l'expression orale ou graphique par exemple », complète-t-il. Évidemment, l'arrivée des FabLabs est l'opportunité idéale pour répondre à cet objectif, d'autant plus que le mot ne désigne pas que l'imprimante 3D, mais suppose un mode opératoire tourné vers la technique, les travaux manuels, l'artisanat, dans des créations qui vont de l'écriture créative aux installations interactives.
À travers ces nouveaux équipements et ces nouvelles politiques, la transversalité devient la règle du service public : « Les créations à travers les FabLabs en bibliothèque ont cet aspect culturel qui peut parfois manquer à des FabLabs tenus par des makers, auxquels on réclame souvent un modèle économique. Qui plus est, ils sont plus accessibles au grand public, contrairement aux FabLabs habituels. Nous pouvons être des portes d'entrée vers ces derniers », souligne Benoît Vallauri de la médiathèque départementale d'Ile-et-Vilaine.
Atelier de création d'une « machine à lire » animé par Benoît Vallauri et Julien Devriendt
au Congrès de l'ABF de Clermont-Ferrand
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Outre le fait de rassurer le grand public, le bibliothécaire peut également assumer une mission d'information utile dans un environnement où le numérique a une place prépondérante : « Il ne faut pas laisser la technique aux techniciens », souligne Julien Devriendt, avant que Benoît Vallauri ne complète : « Manipuler les technologies, notamment celles qui sont ouvertes, expliquer comment fonctionnent nos téléphones, l'utilisation des données personnelles... Il faut éduquer à la citoyenneté numérique, qui sera extrêmement importante quand il faudra aborder des débats éthiques, avec le transhumanisme par exemple. »
Une réflexion qui s'impose aussi dans le domaine des jeux vidéo : « Que ce soit pour le jeu vidéo comme pour d'autres supports classiques comme le livre, la musique ou le cinéma, nous sommes là pour mettre en avant la diversité culturelle. Pour le jeu vidéo, cela passe par les triple A [les blockbusters du jeu vidéo, NdR], mais aussi par la mise en avant du jeu indépendant ou au budget plus réduit sur consoles, tablettes ou ordinateurs, pour éviter l'habitude du FIFA, du Call of Duty, du GTA. »
Si les FabLabs peuvent s'installer en bibliothèque par certains aspects, les bibliothèques peuvent elles aussi proposer leur service aux laboratoires en leur proposant des documents, et « pas seulement des ouvrages techniques, mais aussi des romans, des essais pour encourager la réflexion autour des pratiques de ces maker ». Et ainsi instiller cette formation du citoyen numérique partout.
« Le numérique n'est pas là pour faire table rase, il s'agit d'un nouvel outil qui enrichit et permet de rendre plus vivantes les collections qu'on a pour mission de diffuser » souligne Julien Devriendt. Et, contrairement à ce que des pessimistes pouvaient prédire, les technologies favorisent aussi le vivre-ensemble, déjà au cœur de la bibliothèque : « Quand je fais un tournoi sur un jeu de foot interquartiers et que je fais venir des enfants de différents quartiers dans un lieu neutre comme la bibliothèque, cela signifie prendre le bus, sortir de son cadre habituel, ce que certains n'envisagent même pas », remarque Guillaume Dos Santos, référent multimédia à la médiathèque de Colombes. Avec la disparition des cybercafés, notamment, la bibliothèque redevient un espace de sociabilisation de premier ordre pour les joueurs.
Selon Benoît Vallauri, les bibliothèques doivent même effectuer la bascule entre une politique d'établissement et de collections à une politique de territoire et de projets, lesquels sollicitent plusieurs acteurs de ce même territoire. « À la fin du mois, nous accueillions le festival Pas Sage en Seine : nous travaillons depuis un moment avec le /tmp/lab, hébergé dans une de nos médiathèques, et nous allons faire se rencontrer leur communauté avec le grand public » indique ainsi Julien Devriendt, responsable du développement des services numériques pour les médiathèques de Choisy-le-Roi.
Les connections se font... (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
En tant que lieu neutre, accessible à tous, la bibliothèque constitue un carrefour où talents, compétences, centres d'intérêt et savoirs-faires pourront se croiser et s'entraider. À Rennes, Benoit Vallauri l'a expérimenté avec des CryptoParty, organisé autour de la notion de vie privée dans un environnement numérique : une communauté spécialisée a pu rencontrer, ici aussi, le grand public, qui a découvert tout l'intérêt de ces sujets et de ces questions.
Les jeux vidéo et les contenus numériques en général permettent d'attirer des usagers plus jeunes (si bien que certains élus en ont fait un argument de campagne), mais aussi de renforcer le lien avec les bibliothécaires eux-mêmes : « Ce qui est intéressant, c'est qu'un public ado va nous parler de ses techniques de jeu, nous on va leur parler des nôtres, nous ne jouons pas aux mêmes jeux, mais cela génère de la discussion », remarque Julien Devriendt. À tel point que les bibliothécaires sont désormais « des membres à part entière de différentes communautés, et ne sont plus seulement là pour les animer », selon Benoît Vallauri.
Animateurs lors d'ateliers proposés au Congrès de l'Association des Bibliothécaires de France, les 3 larrons ont fait leurs démonstrations devant des salles combles. Guillaume Dos Santo détaille : « Nous avons eu des curieux, des professionnels qui se demandent ce qu'est Minecraft ou les kits Makey Makey, et d'autres qui ont commencé une politique numérique, mais cherchent des idées ou des confirmations. »
Les commissions de l'ABF ont aidé à légitimer l'idée de jeu vidéo ou d'espaces de création au sein des bibliothèques, même si quelques résistances se sont encore sentir dans l'approche du jeu vidéo, par exemple : « Il est parfois entré “par la petite porte”, et il faut vraiment que les bibliothécaires qui souhaitent le proposer dans leur établissement le considèrent comme un objet culturel à part entière, à défendre comme tel », insiste Benoît Vallauri. Si des liens sont possibles, il ne doit pas être question de “justifier” le jeu vidéo avec un autre objet culturel pour lui donner de la valeur.
Pour un établissement qui souhaite mettre en place une offre de jeu vidéo ou de FabLab, Benoît Vallauri conseille de « commencer petit » : « Les établissements ont souvent des PC ou des ordinateurs portables, il suffit alors d'acheter des manettes et de les brancher dessus, car il y a beaucoup de jeux vidéo indépendants sur PC, qui demandent peu de ressources », explique Julien Devriendt. Les tablettes pourront aussi être utilisées sans problème.
Atelier consacré à l'impression 3D au Congrès de l'ABF de Clermont-Ferrand (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Si les consoles et jeux récents sont souvent achetés par les établissements, car simples d'accès, Guillaume Dos Santos suggère de se tourner vers une association locale de jeu vidéo, par exemple pour mettre en place une rétrospective : cette dernière est alors susceptible d'attirer parents et enfants, les premiers faisant partager leurs expériences de joueurs aux seconds. Dans tous les cas, précise-t-il, « les finances ne doivent pas être un frein. Des subventions existent pour les bibliothèques qui veulent se lancer dans le numérique, que ce soient les jeux vidéo, les ordinateurs, les FabLabs. Il faut se renseigner auprès de sa tutelle, département, région ou DRAC. »
Alice Bernard, chargée du numérique à la Médiathèque de Saint-Avertin, nous rejoint pour témoigner : depuis décembre 2012, son établissement a mis en place une offre de jeux vidéo destinée à faire revenir les jeunes dans l'établissement. « Nous avons eu recours au mécénat, qui demande pas mal de travail mais nous a permis de recevoir 14.000 € de la part des centres commerciaux Carrefour et Auchan », au prix « peu intrusif » d'une petite étiquette apposée sur les tablettes que l'établissement a acheté. Depuis, l'équipe mène une politique de démocratisation et d'information sur le jeu vidéo, qui ont grandement participé au dynamisme de la bibliothèque.
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