Dans une communication, le Syndicat national de l’édition demandait à ses membres de « porter une attention particulière » aux auteurs. Autrement dit, de respecter les dates de redditions de comptes et de paiements des droits, ainsi que des à-valoir. Mais le message n’est pas forcément applicable partout.

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« [S]i vous le pouvez, il serait souhaitable que ceux-ci puissent être réglés en fonction de la date de publication initiale sans tenir compte du report éventuel des ouvrages que vous auriez décidé », préconisait dernièrement le SNE. Mais en la matière, l’organisme n’a pas le pouvoir de contraindre ses membres. Pas plus que de régler les problèmes que les membres peuvent rencontrer.
Le confinement, le télétravail... et ses conséquences
« [N]ous serons malheureusement dans l’incapacité d’établir les relevés de droits dans les délais habituels. Il nous est à ce jour impossible de prévoir quel sera précisément leur montant ni à quelle date nous pourrons effectuer les virements », indique la maison Bragelonne dans un courrier consulté par ActuaLitté. « Recevez l’assurance que tout ce qui doit être payé le sera. On en a vu d’autres et on s’en sort toujours », poursuit le courriel.
Et de conclure : « Le livre numérique constitue la seule source de revenus des auteurs pendant ce black-out commercial. Forts de notre puissance dans ce domaine, et avec l’aide de notre diffuseur qui continue son travail, nous poursuivons par ce biais l’exploitation des œuvres et constituons ainsi un capital pour demain. »
Le directeur éditorial, Stéphane Marsan, joint par ActuaLitté apporte d'importantes précisions : « D’abord, nous avons un devoir d’information essentiel et c'est là toute la raison de cet email : nous sommes tous dans une situation effarante, mais il vaut mieux parler franchement que de se planquer. » Ainsi, tous les collaborateurs, auteurs, traducteurs, correcteurs, agents français — et prochainement étrangers — ont été tenus au courant par ledit mail.
L’autre point relève d’une vilaine réalité technique. « Le confinement a été immédiat, et notre personnel comptable a été mis en chômage partiel. Tout cela n’a rien à voir avec des problèmes économiques ni une manque de chiffre d'affaires : la réalité est que notre logiciel comptable n’est pas utilisable dans le cadre d’un travail à distance, malheureusement. »
Et de poursuivre : « Nous allons tous au-devant de plusieurs mois sans écoulement en librairie, nous sommes tous dans le même bateau. Mais dès la fin du confinement, on fera les 3 x 8 pour payer tout le monde. »
Gallimard, des messages pour rassurer
Or, un message similaire émane d’une autre structure. « Face à l’accélération de l’épidémie, le Groupe Madrigall a décidé que les collaborateurs relevant des métiers de la comptabilité auteurs seront en suspension totale d’activité à compter de ce jour jusqu’à la reprise d’une activité normale. »
Et d’ajouter : « Nous allons traverser, ensemble, cette période particulièrement difficile en faisant preuve d’esprit de solidarité. » Solidarité bien ordonnée, qui commence par couper les revenus des auteurs ?
Dans un récent entretien, Antoine Gallimard assurait : « Mais, contrairement à certains, je n’ai pas accepté la gratuité totale : il faut que les auteurs et la chaîne soient rémunérés. » Il redoutait des faillites dans le secteur de la librairie et de l’édition, réclamant « un dispositif de soutien fort ». Pour autant, les auteurs de Flammarion, Gallimard et Casterman, pour ne citer que les trois grandes maisons, accueilleront le message avec une grimace. Manifestement préoccupé par la question, Antoine Gallimard a souhaité anticiper les questionnements et adresse à ActuaLitté ce communiqué :
Suite aux inquiétudes exprimées par certains auteurs, le groupe Madrigall tient à confirmer que l’intégralité des versements dus aux auteurs se sont poursuivis en mars sans aucune discontinuité, et ce depuis le début du confinement. Ils le seront également dans les semaines et mois qui viennent de façon inchangée, comme le groupe s’y est naturellement engagé au premier jour de cette crise pour chacune de ses maisons d’édition.
Dans ces circonstances exceptionnelles, Madrigall a mis en place une organisation de crise permettant un contact direct des auteurs à la direction de la comptabilité auteurs ainsi qu’à l’équipe restreinte qui l’accompagne pour le bon traitement des redditions et règlements. La continuité est ainsi garantie.
Un message qui s'inscrit dans la continuité de ce que Charlotte Gallimard, à la tête de Casterman, précisait récemment : « Très concrètement également, notre équipe comptable est à même d'assurer le versement des avances et la clôture des relevés semestriels. Je tiens particulièrement à vous rassurer sur cette question des paiements que nous devons effectuer, que je sais de première importance pour vous. » Elle invitait également à prendre contact avec la maison si le relevé droits n'est pas encore pas arrivé.
Du côté du groupe Editis, la directrice Michèle Benbunan nous assure qu'il n'y aura aucun différé : « Non, certainement pas ! On paiera les auteurs comme prévu. » Même son de cloche pour le groupe Hachette Livre, où les consignes ont été passées.
« Les retours que nous avons sur les grandes maisons annoncent que les redditions de comptes et les versements assortis vont avoir lieu comme d'habitude. Après, chez les moyens et petits éditeurs, la situation doit être toute différente, c'est sûr », nous précisait une organisation d'auteurs. Et pourtant, l'intuition est infirmée : « Curieusement, sur ce qui nous a été remonté, il semblerait que les moyennes boîtes soient plus attentionnées que les grosses. Sauf en jeunesse où les éditeurs seraient plutôt aux abonnés absents. »
Privilégier les auteurs québécois
Chose intéressante, outre-Atlantique, l’Association nationale des éditeurs de livres invite les libraires à payer en priorité les auteurs québécois. Arnaud Foulon, président de l’ANEL, en témoigne : « Quand on a des libraires qui nous disent : “Nous on ferme le robinet et on ne paie pas”, on met une pression très importante sur les éditeurs pour payer leurs auteurs. »
Et d’encourager les libraires à ce qu’ils « honorent au moins une partie de ces factures pour pouvoir réalimenter tranquillement la chaîne du livre ». En privilégiant les éditeurs et les auteurs du Québec, parce que les maisons françaises disposeraient de ressources externes, là où les Québécoises n’auront « aucun autre revenu ».
Comme le note Radio Canada, le gouvernement n’aurait pas fait de la filière livre l’une de ses priorités dans les opérations de soutien financier. Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec le souligne : « Rappelons que les librairies, avec une marge de profit très mince, doivent comme tous les détaillants préserver leur fonds de roulement afin de s’assurer de rester ouvertes après la crise, sans quoi la chaîne du livre n’existera plus. »
Dans un billet paru sur Médiapart, Benoît Virot, patron du Nouvel Attila, pose d’ailleurs quelques réflexions à méditer : « Il ne faudrait pas croire que la crise, c’est maintenant. La crise est un état permanent du monde du livre depuis le XIXe siècle, qui menace chaque année avec plus d’acuité. Ce que révèle le confinement, c’est l’absurdité généralisée du fonctionnement de la chaîne. »
Reste qu’ici ou là-bas, une des problématiques dont font part nombre d’éditeurs se résume simplement : « Aura-t-on encore une maison d’édition dans un mois et demi ? »