Rappelant que c’est Philippe Sollers — celui-là même qui défendait l’écrivain dans l’émission Apostrophes de Pivot — qui fit entrer Gabriel Matzneff dans la maison d'édition, Antoine Gallimard s’exprime enfin. Évidemment, être l’éditeur de celui qui attire désormais la vindicte avait quelque chose de gênant. « Bien sûr, j’ai eu des doutes », explique le PDG de la maison. Et donc ?
Dans un entretien au JDD, Antoine Gallimard se lance : « Je sentais bien que le lien, la tension entre ses écrits et la vie réelle devenait de plus en plus problématiques et que l’esprit de transgression ne pouvait seul en justifier la programmation. » D’autant qu’en fait de transgressions, poursuit-il, son Journal fait « état de faits réels concernant des personnes vivantes ». Loin, très loin, de toute forme de fiction, donc.
Ne pas bouger, avant que...
Pourtant, à la sortie de Le consentement, livre de Vanessa Springora qui a mis le feu aux poudres, le patron de Madrigall ne « pensai[t] pas bouger », prétextant un refus catégorique de la censure. Gênant, mais pas tant ? C’est finalement en lisant l’ouvrage que la lumière se fait : « Elle m’a fait prendre la mesure des effets dévastateurs de la manipulation d’un adulte sur une toute jeune fille. » L'euphémisme est entendu : mais plus que de la manipulation, on parle bien de pédophilie...
L’arrêt de commercialisation s’imposait, et non la déferlante de ces dernières semaines. « C’est vraiment le texte de Vanessa Springora qui a motivé ma décision. Être contre la vox populi ne m’aurait pas déplu. » Quitte à encourir d’être attaqué pour non-dénonciation de crime ?
Rappelons en effet que l’article 434 du Code pénal concernant les entraves à la saisine de la justice pourrait s’appliquer sur les dernières publications de Matzneff — le délai de prescription est en effet de trois années…
En revanche, assure-t-il, aucune descente de police à la maison, comme l’avait rapporté le Parisien. Et la maison restera fidèle à l’héritage qui a conduit Jean Paulhan à soutenir Jean-Jacques Pauvert, dans la réédition des œuvres de Sade. Sur le domaine de la fiction, l’éditeur entend conserver un rôle de « conquête pour la liberté d’expression » – de la fiction, qui autorise plus que le témoignage ne permet.
L'impunité par-dessus tout
Tout le problème Matzneff reste que les écrits plongent dans une véracité écœurante, où l’auteur lui-même n’a aucune pudeur à reconnaître ses actes pédophiles. Ici, extrait de Séraphin c’est la fin, paru en 2013 à La table ronde : « Je n’ai vécu qu’une seule fois une grande et durable passion avec une adolescente qui, lorsque nous étions amants, n’avait pas l’âge légal de quinze ans ; qui n’en avait que quatorze. »
Il s’agit justement de Vanessa Springora, expressément citée. Et plus loin : « Si vous appelez pédophile le cinglé qui viole un enfant à la mamelle […], vous ne pouvez pas raisonnablement utiliser ce même mot pour désigner l’amant d’une lycéenne de quinze ou seize ans qui, depuis l’âge de treize, est autorisée par la loi à prendre la pilule, qui en classe étudie Les amours de Ronsard, La princesse de Clèves de Mme de La Fayette et Les liaisons dangereuses de Laclos. »
Impudence d’une époque où Matzneff pouvait pérorer et revendiquer ce qui verse soit dans le délit, soit dans le crime, sans vergogne. Doublée d'une manipulation de la parole : dans tous les cas, la justice condamne pour pédophilie, laquelle peut être aggravée...
Matzneff est innocent ? Un affabulateur ? Ok : texte prononcé en 2007 à Bordeaux les 13 et 14 décembre, repris dans Séraphin c’est la fin.#ohwait #aveux #ilenfautplus pic.twitter.com/3wUqeNtTsn
— Nicolas Gary (@Gehenne1) January 13, 2020
Objet artistique et hauteur de voix
Antoine Gallimard estime pour sa part que sa responsabilité « d’homme et d’éditeur est aussi d’entendre la souffrance des autres ». Tout en revendiquant de « contrevenir à l’opinion commune », le respect de la loi n’en demeure pas moins crucial. « MeToo est un progrès, même avec ses débordements. »
Et plus encore, comme nous l’écrivions dans la chronique du livre de Springora : « Par quelles autres circonvolutions faudrait-il que les éditeurs, les animateurs d’émissions littéraires se soustraient à leurs devoirs de ne pas contribuer à l’apologie d’un crime ? Si tout peut devenir un objet artistique, encore est-il indispensable de savoir d’où émane la voix et ce qu’elle veut nous dire. »
Commentaires
NAUWELAERS, le 14/01/2020 à 03:46:51
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Aleph, le 14/01/2020 à 11:36:31
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NAUWELAERS, le 14/01/2020 à 20:58:07
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NAUWELAERS, le 14/01/2020 à 22:34:37
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