
À près de 40 ans, elle découvre une vie ignorée et vit de petits expédients, comme vendre des fleurs à l’étal de Frans près de la gare désaffectée de Hallensee.
Ce jour d’avril, en descendant du métro à l’arrêt de Nollendorfplatz, bien décidée à aller prendre un bain dans la baignoire de l’appartement communautaire dont Christoph lui a donné un jeu de clefs, elle est interpellée par deux beaux gosses qui l’invitent à boire un cacao dans un bar.
Invitation qu’elle refuse pour mieux en accepter une autre et un rendez-vous quelques heures plus tard. Rendez-vous auquel elle n’arrivera pas en retard tant les yeux de Harry l’ont accrochée, bien plus que ceux de Benno qui ne fait pas beaucoup plus que de la figuration à côté de Harry ! Et, quelques jours plus tard, à l’issue d’un repas aux asperges auquel elle les a invités, quand Benno disparaîtra définitivement sans rien dire, la laissant seule avec Harry, elle ne percevra pas tout de suite son départ, tout accaparée qu’elle est par les yeux de Harry.

Là, vous avez peut-être l’impression que je vous ai raconté tout le bouquin, que je vous ai gâché tout le plaisir de la découverte. Rassurez-vous, il n’en est rien ! Ce n’est vraiment que l’introduction. Et, même si voilà peu, il n'était pas trop de saison de parler d’autre chose que de réveillons ou de fêtes et de bombance, je vous recommande cet ouvrage de Katja LANGE-MÜLLER dans une traduction excellente de Barbara FONTAINE.
Car il y a là un vrai superbe roman où se « pêlent-mêlent » les addictions diverses aux drogues et à l’alcool, l’apparition du sida (on est en 1987) entouré de l’auréole diabolique du début de son identification et des réactions qu’il suscite, la marginalité de ces milieux et des gens qui y vivent, la partition d’un pays qui ne va pas tarder à faire tomber ce Mur de la honte, mais qui le subit encore et tant de choses encore.

Soja raconte. Quelques années plus tard, elle raconte ces années de vie « commune » qu’elle parsème de citations de Harry pour essayer de comprendre. De le comprendre, mais aussi de se comprendre. De faire la lumière sur cette cohabitation où elle s’est souvent trompée d’interprétation, car il n’y a pas plus malin qu’un accro à la drogue (ou à autre chose d’ailleurs) pour nier et cacher son travers. Il était, alors, de plus, bien aisé d’interpréter à tort les symptômes de la maladie, par manque d’information.
Malgré un sujet difficile, le texte n’est jamais lourd, ni jamais dur (même si l’ambiance n’est pas toute rose). Il est toujours juste, mais ne juge jamais. Il est extraordinairement serein même si aucun élan ni aucune passion ne sont refrénés. Il n’est pas non plus un hommage à ces dérives terribles. En revanche, il en est l’explorateur inquiet qui ne peut que faire le tour du problème sans jamais trouver la clef qui permettrait de le pénétrer ? Il n’y a pas de pourquoi, il n’y a pas de comment. Il y a simplement un combat éperdu et surtout un combat perdu.
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