Chronique suivie de Petites pages pour un petit page, de Léo Barthe. Tout commence par un échange. Deux regards. D’un côté, Nœud de Paille, un tableau de Jacques Abeille qui serait l’envers de L’Origine du monde de Courbet. De l’autre, L’Œuf, une photo, nu(e) vue de dos, qui s’avère être le corps d’un(e) Anne.
Quelle Léona Delcourt se cache derrière cet (te) Anne, dont seul le prénom est livré ? Cette ville, L., citée par Abeille, est-elle la même qu’évoque Marguerite Bonnet, en note de Nadja, dans le volume de la Pléiade consacré à Breton ? Tout se ferme et s’ouvre par un coffret à deux battants. Un diptyque. Deux signatures. Un auteur et son double : Jacques Abeille, Léo Barthe.
D’un côté, Tombeau pour un amour dans la lumière de sa perte. De l’autre, Petites pages pour un petit page. Littéralement et dans tous les sens, la formule « Le verbe s’est fait chair » pèse ici de tout son poids de lumière. « S’il vous plaît, enculez-moi. » J’ai entendu aussi ce murmure de source dans une nuit de fougère, écrit Jacques Abeille. Précise et précieuse, la langue ciselée de l’écrivain met le feu aux joues.
Tête et cul, rêve et réalité, se retrouvent sens dessus dessous.
On pense à La Poupée de Bellmer. Le corps : lieux de tous les possibles. Abeille a-t-il atteint ce point de l’esprit où féminin et masculin cessent d’être perçus contradictoirement ? Par un dialogue du Tombeau, on pénètre dans Petites pages. Je lui dis que sous son béret elle semblait un page de la cour de Bourgogne.
« Imagines-tu ta vie de petit page dans le faste princier ?
– Ah, oui : je me serais fait enculer par tous ces beaux princes. » Avec Léo Barthe, la pornographie au cœur d’une littérature courtoise proclame la victoire du verbe sur la douleur de la perte. Jouissance et plaisir des formes.
Dans leurs choix, les éditeurs Anne Letoré et Christoph Bruneel renversent les valeurs. Tout se passe ici comme si le livre choisissait son lecteur. Lecteur élu, lecteur-voyeur qui, par-delà la vie réelle, assouvit les désirs les plus fous de l’auteur et de sa partenaire. Ils nous offrent un livre rare qui a toute sa place dans l’Enfer des bibliothèques.
Hervé Leroy
en partenariat avec le CRLL Nord Pas de Calais
Jacques Abeille – Tombeau pour un amour dans la lumière de sa perte | Léo Barthe – Petites pages pour un petit page suivi de Libres masques d’Arnaud Laimé – Editions L’Ane qui butine – 9782919712168 — 47,30 €
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