Roman : Le Projet Morgenstern, de David S. Khara
Le 29/04/2013 à 09:45 par k-libre Julien Vedrenne
Publié le :
29/04/2013 à 09:45
Chaque semaine k-libre et ActuaLitté vous proposent par le biais d'une sombre collaboration une revue de presse croisée, qui filtre l'actualité des littératures policières et du monde qui les entoure. Vous aurez d'un côté des chroniques littéraires d'ouvrages très récents, et de l'autre des informations concernant cet étrange monde. Comment il vit, de quoi il est fait, et comment parfois il meurt. Le tout formant une ActuaLitté policière bien k-librée !
En quelques romans, David S. Khara s'est imposé comme l'une des figures montantes du thriller français. Avec Le Projet Morgenstern, censé clore une trilogie initiée par Le Projet Bleiberg et prolongée par Le Projet Shiro - y aura-t-il comme pour Star Wars une trilogie préquel ? -, il décide de dynamiter encore plus le genre, de le faire exploser et de nous en envoyer des débris encore fumants, rapides et virevoltants dans le coin de la figure. Eytan Morgenstern, le héros, doit faire face à un complot mondial, qui en cache un autre encore plus nauséabond géré par le Consortium, un groupe ultime qui entend diriger le monde, et ce depuis des siècles. Le leader actuel du consortium a réussi à convaincre des militaires que les amis de Morgenstern devaient être liquidés. On assiste dès lors à la première vague de sauvetage suivie évidemment d'une décision de vengeance.
Roman : Le Cœur et la raison, de Dorothy L. Sayers
Il ne s'agit pourtant pas de L'Anatomie de la mélancolie de Robert Burton (1621), mais bien d'un roman policier, Le Cœur et la raison (1935), le plus vanté des polars de Dorothy L. Sayers, inédit en français. Chacun de ses vingt-trois chapitres s'ouvre sur une perle littéraire très soigneusement pêchée. William Shakespeare, Pierre Erondell, Edmund Spencer, Michael Drayton etc. Robert Burton surtout, dont les extraits incitent déjà gravement à la méditation. Le polar lui-même est imprimé très petit. À croire que les universités françaises, et celle de Lille en l'espèce, qui a pressé ce précieux volume, se sont mises de mèche avec les oculistes pour former en série les presbytes progressifs de la nation. C'est donc par simple instinct de conservation qu'on croit d'abord pouvoir se passer des innombrables notes de bas de page pour suivre cette intrigue, détaillée, lascive, glauque et décontractée à souhait, dont le personnage principal est Oxford.
Roman : Ta mort sera la mienne, de Fabrice Colin
Avec ses romans de fantasy, Fabrice Colin s'avérait être l'un des plus anglo-saxons écrivains français contemporains, réanimant les mânes de Shakespeare, mais il lorgnait aussi du côté des États-Unis et avait perpétré quelques romans de qualité sur cette partie du monde, à tel point que l'on pouvait croire qu'il s'agissait de traductions d'un auteur américain. S'inscrivant maintenant dans le cadre du thriller, il décide de jouer sa partition à partir de thèmes connus comme le tueur de masse, la fascination pour les armes, les motos et les grands espaces, la redécouverte de ce gang primordial que forment les Hell's Angels, les policiers obnubilés par leurs fautes passées et désireux de se racheter, la quête des origines familiales, et la secte pédophile. Tout cela pourrait sembler un peu "too much" mais dans un style maîtrisé, froid (et qui paradoxalement crée une empathie très forte avec l'ensemble des personnages, comme dans un tableau de Hopper), servi par un présent de narration et différents choix d'apostrophes du lecteur (le récit passe du "il" au "tu") qui atteint ici un maximum d'efficacité et de logique interne, Ta mort sera la mienne représente une réussite littéraire.
Roman : À la fin d'un jour ennuyeux, de Massimo Carlotto
Italie, Vénétie. Giorgio Pellegrini est ravi, il tient un grand restaurant classieux, la Nena. Avec son ami Sante Brianese, avocat et député de la République, il a fait de la Nena LE repaire de la ville, LE lieu où se retrouvent les gens qui comptent au gré des accointances politiques. L'argent coule à flot – même si le restaurant équilibre ses comptes grâce à un juteux réseau d'escort-girls pour hommes politiques stressés par leur réputation : une habile combine qui fait que jamais, au grand jamais, ils ne verront leurs turpitudes étalées dans les journaux. Tout a un prix. La nuit est très chère, mais la tranquillité assurée... Et Pellegrini coule des jours heureux, tout comme Brianese avec qui il est associé pour son commerce de prostituées. Sauf qu'au début de ce jour ennuyeux, Pellegrini apprend une mauvaise nouvelle : il s'est fait estamper de deux millions selon la bonne vieille escroquerie dite de la pyramide de Madoff. Il avait confié l'argent à Brianese qui lui ramène la méchante nouvelle. Pellegrini l'a mauvaise, mais ce n'est que le début de ce que lui réserve Brianese, qui n'est pas du tout un ami. Sauf que Pellegrini n'est pas non plus un tendre. À requin, requin et demi, qui l'emportera ?
Roman : Mademoiselle Chance, d'Éric Cherrière
On avait déjà remarqué Je ne vous aime pas, le premier et très noir roman d'Éric Cherrière, qui présentait une véritable voix d'auteur dans le ronron consensuel ambiant, mais là... on ne regrette pas d'avoir attendu trois ans pour ouvrir son nouveau roman ! Le point de départ est déjà excitant : un tueur en série s'en prend aux gosses de riches, à ceux qui sont nés du "bon" côté de la barrière, du moins en apparence, le tout avec une violence inimaginable et une connaissance parfaite du terrain. De préférence aux alentours de la famille de Jacques Dragan, l'un des rares politiciens intègres qui restent, laissant croire qu'il ne choisit pas ses victimes au hasard. Le policier Chance Doyen enquête, accompagné de sa fille surnommée Mademoiselle Chance, elle-même née d'un traumatisme : sa mère enceinte, qui n'était autre que la fille de Dragan, fut enlevée et torturée par un dément qui semblait vouloir faire souffrir le fœtus ! Mademoiselle Chance est donc une miraculée qui n'aurait pas dû naître... Mais qu'est-ce qui peut justifier tant de haine et de souffrance ? Qu'est-ce qui peut motiver cet assassin dont, même après sa capture, on échoue à trouver l'identité ?
Roman jeunesse : Go, just go, de Joe Schreiber
Go, just go fait suite à Bye bye crazy girl, paru aux mêmes éditions en 2012. Nous retrouvons Perry, jeune musicien de dix-huit ans, et son groupe, les Inchworm, en tournée en Europe. Ils ont en effet convaincu une maison de disque mondialement reconnue qui leur offre cette superbe opportunité de se produire sur le vieux continent. Inespéré ? Vous ne croyez pas si bien dire. Et parce que le hasard fait bien les choses, Perry retrouve à Venise sa comparse Gobija, tueuse à gages à laquelle il doit ses premières aventures... Cousu de fils blancs ? Ce n'est cependant que le début. Car si Go, just go se lit très bien, ce qui s'explique probablement par le style très dynamique de Joe Schreiber, l'intrigue n'a absolument rien d'original, et se plie avec complaisance aux besoins de rebondissements de l'auteur. Il est des héros comme cela pour lesquels les balles sont déviées, les plus flagrants pièges ne sont pas évidents, les plus périlleuses situations donnent lieu à des fins heureuses et, disons-le, improbables. Il en est ainsi pour Perry et Gobija, par ailleurs jeunes gens bien sympathiques – tout est relatif concernant évidemment la jeune femme, tueuse professionnelle.
BD : Canicule, de Baru
Aniello observe planqué dans un champ de blé Bogart enterrer une pleine valise de billets avant de croiser la route d'Al Capone filochant Bogart à bord d'une décapotable blanche. Nous sommes en pleine Beauce sous une chaleur caniculaire et tous ces personnages ne sont pas des mirages mais des surnoms distribués allègrement par Chim, jeune adolescent battu par son beau-père dans une ferme où tous sont d'étranges personnes. Ceux qui ont lu le roman de Jean Vautrin savent qu'il a écrit un texte dense et touffu avec de longs monologues introspectifs dans un langage fleuri, et des dialogues savoureux et inventifs. La grande force de Baru, c'est d'offrir une bande dessinée graphique où le texte tend vers l'épure, le dessin s'accaparant le fleuri, le savoureux et l'inventif. Les deux hommes ont leur propres univers, et dans ce Canicule, ils s'autoalimentent avec un certain plaisir. Les planches sont à la fois claires, chaleureuses et étouffantes. Étrangement, il y a du Hugo Pratt dans certains profils, surtout lorsque les traits de personnages meurtris par leurs proches se tendent.
Essai : Du polar : entretiens avec Philippe Blanchet, de François Guérif
À Bertrand Tavernier qui lui demandait pourquoi au lieu de raconter des faits il ne cessait d'ouvrir et d'ouvrir des parenthèses - qu'il n'oubliait cependant pas de refermer -, le grand réalisateur américain Samuel Fuller rétorqua que sans ça il n'y aurait pas d'histoire. C'est une leçon bien assimilée par Français Guérif à l'heure de nous confier en un entretien avec Philippe Blanchet, une richesse d'anecdotes et de confidences littéraires savoureuses. Il faut dire que l'homme et son parcours fascinent. Libraire, écrivains de documents cinématographiques, cinéphiles, directeur de collection, éditeur, spécialiste des littératures policières, révélateur d'un genre : il est passé par tous ces états alternativement ou simultanément. Et il a surtout rencontré des gens en plus de quarante années d'une vie prompte à défendre des goûts littéraires sûrs. Aucune révélation ne vient perturber une discussion si ce n'est une double figure tutélaire pressentie. François Guérif est marqué à jamais par deux auteurs inévitables : Robin Cook et James Ellroy. Il narre la naissance d'une amitié, il tente d'expliquer les rapports qu'il a eus avec ces deux grands auteurs, il explicite leur influence, il décline leur filiation, il s'offre un regard sur le paysage éditorial français, survole avec élégance la grande histoire du polar, et l'on se dit que l'on part un peu avec cet éclaireur chevronné à la conquête du Noir.
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