
El Idilio est accessible, en dehors des périodes trop pluvieuses, par la rivière : des bateaux font irrégulièrement le lien vers un ailleurs et en ramènent alors, notamment, le docteur Rubicondo Loachamin et son vieux fauteuil sur lequel s’assoient ceux qui ont fini par faire le choix d’avoir mal un bon coup entre les mains du docteur plutôt que de supporter indéfiniment leurs supplices dentaires. Après, les patients ont toujours la possibilité de négocier avec le praticien bourru et expéditif, le dentier qui leur ira le mieux.
El Idilio est donc une avancée de la « civilisation » à l’intérieur de la forêt. Mais quelle avancée ? Celle des chercheurs d’or ou de pierres précieuses ? Celle de quelques touristes que le patron du bateau a accepté de convoyer jusque-là et qui n’iront pas beaucoup plus loin ? Ou encore quelques chasseurs ? A El Idilio, la civilisation n’a pas encore eu le dessus !

José n’est pas l’ami du Maire. Mais il est l’ami des Shuars –les Jivaros – dont il a partagé l’existence pendant des années après la disparition de Dolorès Incarnatĭon.
Antonio José a aussi découvert, un jour, entre les mains d’un curé venu à El Idilio tenter de « recruter de nouvelles brebis », un livre et, en même temps, qu’il savait lire : avec difficulté, certes, mais assez bien pour comprendre. Même s’il n’est pas totalement évident de comprendre ce que sont les canaux et les gondoles de Venise quand on n’a jamais quitté l’immense forêt.
![]() |
Luis Sepulveda |
Mais ce jour-là, un Shuar est venu rapporter en pirogue le corps d’un chercheur d’or, mort. Contredisant les hypothèses du Maire qui attribuait aux Shuars la responsabilité de cet assassinat, Antonio José, après avoir observé le corps, est arrivé à la seule conclusion évidente : une femelle jaguar a attaqué cet homme que les chasseurs ont certainement rendue folle en tuant sa portée.
Son verdict énoncé et les Shuars innocentés, Antonio José est reparti lire la suite de son roman. Paru initialement en 1998, ce roman a reçu un accueil enthousiaste du public (il a été traduit en plus de 35 langues) et des esthètes qui lui ont attribué de nombreux prix dont le « Prix France Culture Etranger ». Devant un tel succès, il aurait pu m’arriver, comme souvent, de me laisser entraîner par une certaine réticence (je me méfie toujours de l’unanimisme). Rien de tel ! À la deuxième page, j’étais déjà conquis, prêt à joindre ma voix au concert des louanges.
Ce livre est une musique. Musique des mots, musique du langage. Luis SEPULVEDA a bénéficié d’une traduction remarquable de François Maspero qui a conservé au texte tout son charme exotique et toute la mystérieuse profondeur de la forêt. Ce livre est un roman d’amour. Amour de la forêt et de ses habitants. De tous ses habitants ! Des grands fauves aux redoutables fourmis sans oublier ces peuplades indigènes tellement fondues dans la nature redoutée, respectée, apprivoisée et parfaitement connue. Amour de la relation libre entre tous les partenaires du monde vivant. Amour aussi du livre et de l’esprit.

Mais ce livre est aussi un instant de rêve qui se déguste à petites gorgées afin de faire durer plus longtemps le nombre insuffisant de pages qu’il contient. Insuffisant, car on aimerait un tel délice ne finissant jamais. Parce que ce texte est complet, plein, fini, fabuleux. Ma petite voix ne fera certainement pas beaucoup de bruit aux côtés d’un succès largement confirmé à ce jour. Certes.
Mais si vous ne faites pas encore partie de ceux qui ont eu le bonheur de savourer ces cent trente pages de plaisir fort et entier, je ne peux que vous inviter à réparer cette lacune au plus vite. Vous ne le regretterez pas.
Retrouvez Le vieux qui lisait des romans d'amour de Luis Sepulveda, en librairie
Poster un commentaire