
Bob Fernando est le propriétaire d’une immense estancia au sud de Punta Arenas, à deux pas du Cap Horn, où il élève un non moins immense troupeau de moutons. C’est lors de la somptueuse fête annuelle que don Pablo Antofagasta organise pour chaque arrivée du printemps qu’il a fait la connaissance de John Longworth, un scientifique (!?!) américain. L’ennuyeux, avec ce dernier, c’est qu’il ne cesse d’amener quelque discussion que ce soit sur ses élucubrations à propos d’un trou dans le ciel, au dessus de leurs têtes, qui serait à l’origine de la cécité du chien de la maison et de celle des lapins du ranch de don Pablo ou encore de ces tâches apparaissant sur les zones de peau exposées au soleil des gens de l’estancia : un oiseau de mauvais augure.
Le jour où son patron lui a recommandé de faire la fête, de se trouver une fille ou d’aller se soûler dans un bar jusqu’à ce qu’il le rappelle parce que, pour cette fin de semaine, il n’avait pas de travail pour l’occuper, James Turner Junior aurait certainement mieux fait de ne pas l’écouter. Sauf pour ce qui concerne les filles, et Daria notamment !… Parce que s’il ne s’était pas trouvé dans un bar de la côte californienne, ce soir-là, il n’y aurait pas croisé un dénommé Ludwig, n’aurait pas joué aux dés avec lui et n’aurait pas gagné une cage dans laquelle étaient tapis trente-cinq kilos de muscles bandés et à l’état brut : un serval.

Mais si vous êtes amateur du genre, ne boudez pas votre plaisir, car cette petite quinzaine d’histoires a, comme bien souvent dans le genre, quelques éclairs et ce recueil n’y fait pas exception : certaines situations sont abordées et traitées avec beaucoup d’originalité tant dans le ton que dans l’écriture (tout au moins est-ce ce qui ressort de la traduction).
Il y a, en particulier, quelques ébauches de pépites que je vous recommande comme la rencontre impossible entre Jenny et Robbie ou celle d’Ontario et de Zachs ou encore la nuit sinistre de Maureen et Ted dans les couloirs d’un hôpital. (Mais n’allez pas croire que je suis converti : j’ai toujours ce même sentiment de plaisir mêlé à celui du gâchis, à la lecture de ces histoires terminées trop vite).
N’attendez pas de la cruauté physique, de la torture ou encore de l’hémoglobine ! Non ! Le propos est beaucoup plus subtil que cela et c’est bien plus dans les situations elles-mêmes ou dans les points de suspension qui terminent chaque histoire que se développe la cruauté du texte.
Plus dans les brutaux coups d’arrêt infligés à des situations tellement normales ou encore dans le dérapage de ces dernières que s’instille la perception d’une injustice ou de la dureté de la réalité quotidienne.
Car c’est souvent dans le quotidien banal que T.C. Boyle débute les situations qu’il va détricoter pour en déclencher la dérive et nous entraîner tranquillement dans leur dégradation. Mais dans un quotidien marginal, celui qui se situe notamment à la frange de cette Amérique bien propre sur elle, bien-pensante et donneuse de leçons. Celle qui nous apprend – et nous sommes bons élèves – comment laisser un tas de gens sur le bord du chemin, dans le fossé.

Allez, finalement je ne suis certes pas devenu subitement amateur, mais, dans l’ensemble, je suis loin d’avoir détesté.
Et puis, l’avantage du genre, c’est que vous pouvez abandonner votre lecture un moment puis la reprendre plus tard sans avoir à faire un gros effort pour retrouver le fil de l’histoire en cours : un vrai « plus » pour une période de l’année où le but essentiel n’est pas de se compliquer la vie des neurones.
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