ROMAN ÉTRANGER – Complexe, soutenu, le dernier ouvrage de Paolo Giordano est celui du sens de la vie, que l’on quête au détour de tout instant. Ce qui obsède, à en devenir une nécessité absolue. On pourrait s’imaginer dans un conte de fées, dans les rêves éveillés que Corto Maltese affirme souvent faire. Et bien plus vrais que la réalité…Initialement publié aux éditions Seuil, l'ouvrage est désormais disponible en poche.

Tout démarre avec une forme de sensualité, celle de trois jeunes garçons, de loin observés par une fille, alors qu’ils plongent dans une piscine. La nuit est totale. Des personnages que l’on a pu découvrir dans La solitude des nombres premiers — devenu un film en 2010, réalisé par Saverio Costanzo. Traduit par Nathalie Bauer, en 2009, l’année suivant sa parution en Italien, l’ouvrage avait obtenu le prix Strega, couronnant son plus jeune lauréat.
Tout portait alors sur une splendide symbolique, faite de traumatisme, de chair et de nombres. Mais surtout de solitude. Et ce ne sont plus Alice, ni Fabio, ni Mattia que Dévorer le ciel nous présente : si l’adieu à l’innocence et l’enfance est plus fort, c’est qu’il faut choisir, cette fois. Sur quoi miser sa vie ?
Tout commence dans les Pouilles, région au croisement de la mer Ionienne et de la mer Adriatique. Teresa s’y retrouve chaque année, chez sa grand-mère, dans ce hameau de Speziale. Pour elle, ce sont des journées sans fin, à observer son aïeule qui lit, des journées interminables, abominables d’ennui. Son père, sa mère — qui retrouve ses racines…
Et soudain, ces trois garçons, ceux qui viennent des terres, des bouseux en quelque sorte. Ils ne vont pas à l’école, mais ont appris bien d’autres choses. Ils croient en Dieu, peut-être, mais pas que. Berne, Nicola et Tommaso se feront prendre, et contraints d’aller présenter des excuses pour ce bain nocturne non autorisé.
Chacun porte en lui une douloureuse histoire familiale, où échecs, abandons et mépris sont coutumiers. Et bien entendu, entre Teresa et l’un d’eux, quelque chose va se tisser. Doit se tisser.
C’est toute la magie d’une écriture qui se déroule avec langueur, prodiguant un effrayant sentiment d’angoisse, constamment distillée, omniprésente comme pour ne jamais laisser la tension redescendre. La tragédie peut survenir à tout instant.
D’autant qu’en toile de fond, une autre lutte que celles des Hommes pour trouver leur place : celle de la nature que l’humain menace, détruit. Où trouver les lieux encore purs, protégés du pas dévastateur de l’Homme ? Partant d’une ferme sauvage qui sent la terre sèche, la brûlure du soleil et les olives, on parle de permaculture et de protection de l’environnement.
Alors, oui, une histoire d’amour, mais certainement pas une passade d’adolescents : c’est le combat pour l’existence qui se mène ici, avec une place toujours aussi spéciale accordée aux femmes. Des êtres imprégnés de sentiments forts, que l’on jugerait indomptables, et dont le tempérament n’est fragile que pour les apparences.
Servis par un style que le français parvient à préserver, les personnages collent à la peau avec splendeur. Mot à mot, l’atmosphère se façonne à en devenir captivante. Dix ans après La solitude des nombres premiers, un roman émouvant, déchirant, tendre… un compagnon de solitude magnifique, servi avec une pincée nostalgique des années 90.
Le pouvoir de la passion, à en dévorer le ciel.
[Ndlr : cette chronique, initialement parue le 29 aout 2019, a été remise à jour à l'occasion de la sortie poche.]
Paolo Giordano, trad. Nathalie Bauer — Dévorer le ciel
Seuil - 9782021220759 - 22,50 €
Points - 9782757880494 - 8.60 €
Dossier - Rentrée littéraire 2019 : une cuvée de 524 romans à découvrir
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Pour approfondir
Editeur : Seuil
Genre : littérature...
Total pages : 456
Traducteur :
ISBN : 9782021220759
Dévorer le ciel
de Paolo Giordano