ENTRETIEN - La société Youboox, fondée par Hélène Mérillon, affiche une croissance régulière depuis 2012. Parmi les premiers à se lancer dans l’offre d’abonnement et de streaming pour le livre numérique, l’entreprise travaille à un modèle économique pérennisé. L’abonnement a définitivement apporté à cet acteur un souffle, nous explique la créatrice.
Le 13/09/2016 à 09:54 par Nicolas Gary
Publié le :
13/09/2016 à 09:54
Hélène Merillon
« Notre démarrage fin 2012 s’est effectué avec une offre freemium – lecture gratuite contre l’affichage de publicités –, mais les résultats financiers furent minces. 2014 fut la première année pleine pour l’abonnement, et pour 2015, nous avons atteint 450 k€ de chiffre d’affaires. C’est donc cette voie que nous allons poursuivre : pour cette année, nous devrions dépasser 1 million d’euros de chiffre d’affaires, toujours dans un modèle de partage des revenus avec les éditeurs. »
Contrairement aux entreprises américaines, qui investissent à perte en finançant l’achat de droits, Youboox travaille « main dans la main, à 50/50 avec les éditeurs », souligne Hélène Mérillon. Revendiquant 1 million d’utilisateurs inscrits, l’entreprise a constaté « une constante progression depuis que le modèle d’abonnement est en place et compte aujourd'hui 20 000 lecteurs payants ».
Son développement se poursuit à travers trois axes clairement définis ; les partenariats avec des opérateurs grands comptes en sont le moteur. « La lecture par abonnement est un service valorisant qui intéresse des opérateurs importants : nous leur proposons un écosystème simple, avec des recommandations en affinité avec leurs propres services. » Les autres actions passent par la communication, plus directe, sur la marque.
D’abord, le prix du livre numérique, qui touche les professionnels et le grand public, dans une stratégie d’événementiel. Puis, le network de Booktubeuses : « Nous apportons des services de coaching aux jeunes chaînes, dont toutes les actrices ne sont pas passées à un stade professionnel. Notre principal actionnaire Xtreme Enterprise compte parmi les grands partenaires de YouTube au niveau européen. C’est donc un service technique, autant qu’un pont entre les communautés que nous jetons. »
Enfin la communication par les réseaux sociaux, « pour accentuer encore notre recherche d’abonnés », semble porter ses fruits. « Depuis 2014, notre stratégie a globalement reposé sur ces trois points, mais en 2016, les partenariats ont été réellement consolidés. » C’est ainsi qu’Orange Belgique a signé avec Youboox, pour un service de lecture promu auprès des clients de l’opérateur téléphonique. « Nous avons également des échanges avec les transporteurs et la grande distribution pour fournir une bibliothèque Youboox. Dans certains cas c’est en cobranding, parfois en marque blanche. »
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La lecture en streaming a connu sur l’année 2016 une forte croissance, estime Hélène Mérillon. « Quand l’intérêt des grands comptes se porte sur une technologie comme celle que nous proposons, c’est qu’ils souhaitent la promouvoir, et qu’ils y voient une piste de croissance pour eux. » Les fournisseurs d’accès à Internet, évidemment, ou la téléphonie mobile, deviennent des relais de croissance en puissance. « Nous avons déjà présenté quelques offres, mais les acteurs ne répondaient pas avec enthousiasme. Désormais nous avons une chance de convaincre, sans que la concurrence soit trop forte. Amazon n’a pas besoin d’un acteur tel qu'Orange, Bouygues ou SFR pour des abonnements de lecture : nous avons donc un coup à jouer. »
Ces partenaires pourraient représenter jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires de Youboox, avec des résultats plus importants encore l’an prochain. « Les grands comptes deviennent prescripteurs d’une offre dont ils s’emparent. Ils sont tout à la fois capables de la mettre en avant et d’assurer une véritable évangélisation. Pour moi, c’est un véritable signal et une chance pour le développement de la lecture. »
L’autre feu vert, c’est le blanc-seing que le ministère de la Culture a pu donner, suite à l’opération de médiation, et la mise en cohérence des offres d’abonnements ou de streaming, avec la loi sur le prix unique du livre numérique. « Cela a conduit à ce que des éditeurs encore sensibles sur le sujet se décident à expérimenter : les conclusions de la Médiatrice ont beaucoup rassuré. » Et dans le même temps, cette médiation a mis en suspens ce marché : débutées au premier trimestre 2015, les négociations ne furent validées qu’en 2015, et ont nécessité plusieurs mois de mise en place. « L’impact s’est vraiment ressenti jusqu'à mi-2016. »
Avec une voie largement ouverte désormais. Les modalités de mise en conformité de l'abonnement avec la loi Lang, dont Youboox a été à l'initiative, ont maintenant été appliquées par l'ensemble des acteurs du marché et prévoient que les éditeurs fixent un prix de location pour leurs livres, tout comme ils fixent déjà le prix de vente.
Et quand on évoque ces clients grands comptes, pour battre Amazon, Youboox jette un oeil du côté de la grande distribution. « Nous avons des projets allant dans ce sens. » Tout en restant à l’écoute des demandes que formulent les abonnés. « Nous allons élargir notre catalogue à des livres en langues étrangères, pas nécessairement pour travailler sur des pays anglophones, mais avant tout pour répondre à un besoin. » Un axe important, mais qui touche peu la littérature : livres techniques ou business sont principalement plébiscités. Avec pour conséquence de devoir obtenir les droits anglophones.
La lecture multi-devices
« Dans le même temps, nous continuons d’améliorer notre produit : l’application a été largement optimisée depuis sa première version, toujours dans la perspective d’enrichir l’offre de livres. » Or, la nouveauté prochaine pourrait passer par la commercialisation d’une liseuse ebook. « Nous constatons une véritable attente des lecteurs qui souhaitent disposer d’un eReader. Ce n’est désormais plus très compliqué de proposer un produit pareil… » Pour une lecture en abonnement ? « Oui et également l'achat en complément : nos abonnés souhaitent pouvoir acheter des best-sellers et des nouveautés, en achat unitaire, des livres très récents. Alors ouvrir un club de lecture ou une librairie sont des pistes que nous allons suivre. »
En terme de catalogue, Youboox travaille en priorité avec les éditeurs – l’avantage évident sur Amazon et son abonnement Kindle que peu de structures ont accepté de rejoindre. Si Amazon a constitué son offre sur les oeuvres autopubliées, Youboox les a également intégrées, en partenariat avec certaines structures.
En 2015, la société a par ailleurs fait évoluer ses statuts, intégrant le rôle d’éditeur. « Cela préparait certaines hypothèses vers lesquelles la médiation s’orientait : les acteurs de l’abonnement auraient à devenir éditeurs en proposant de nouvelles éditions. » Solution non retenue, mais Youboox envisage de profiter du statut pour produire des livres blancs, autour de thématiques digitales. « Il s’agit de répondre autant à des problématiques de référencement pour notre marque, que d’apporter et valoriser une expertise. Pas de remplacer les éditeurs, bien au contraire. »
Avec près de 300 millions de personnes, le marché francophone « est au coeur de notre activité : des gens qui aiment la lecture, avant tout. Et nous n’avons que 50 % de nos lecteurs en France : les lecteurs d’Amérique du Nord représentent 20 %, autant qu’en Afrique. Or, pour ce territoire, l’accès aux livres est encore très difficile ».
Selon les chiffres donnés par le ministère de la Culture, 20 % des Français ont lu un livre numérique. « D’ici trois ans, les usages auront dépassé la situation actuelle, où 6 % du chiffre d’affaires en France est numérique. On peut légitimement envisager que le marché représente quelque 800 millions d’euros. Streaming et abonnement devraient représenter au moins 25 % de parts de marché. On est déjà à 50 % dans le marché de la musique, qui existe depuis 8 ans. »
« D’ici à trois ans, pour rester dans la prospective, nous visons un minimum de 20 % de parts de marché. Les projets de développement sont importants, notamment au travers de l’abonnement. Aujourd’hui, il représente 80 % de notre chiffre d’affaires. Les perspectives sont réjouissantes », conclut Hélène Mérillon.
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