Comment un éditeur peut-il envisager de limiter l’accès à ses ouvrages volontairement ? Et par conséquent, d’exclure — donc se priver — une partie du lectorat ? Facile : la méthode John Sargent en vient à considérer les bibliothèques non plus comme des partenaires, mais comme des prestataires de services — soumis au bon vouloir de son groupe éditorial.

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Depuis le 1er novembre, Macmillan démontre une fois de plus qu’il est soit mal conseillé, soit incapable de s’adapter à l’ère numérique intelligemment. En effet, sa nouvelle politique autour du prêt d’ebook frise le ridicule – voire franchit le mur du çon.
Un embargo de 8 semaines est imposé aux établissements sur les nouveautés : seul un exemplaire est vendu — oui, en numérique — pour 30 $. Tout exemplaire supplémentaire coûte 60 $ durant cette période. Le tout avec des restrictions difficilement justifiables.
Gagner plus, en sanctionnant plus : absurde ?
Depuis juillet que l’affaire a explosé, l’entreprise a limité les prises de paroles autant que les explications — jusqu’à ce que cette stratégie soit enfin instaurée. Or, que ce soit dans des courriers ou au cours d’interventions publiques, le problème demeure : Sargent, le PDG de Macmillan ne produit jamais de preuves pour étayer son propos.
Le 6 novembre dernier, le PDG intervenait une fois de plus, alors qu’un mouvement national de protestation et de boycott s’est mis en place aux États-Unis. L’occasion pour lui de répéter que le prêt numérique nuit aux revenus de l’éditeur qu’il est — et donc à ses auteurs.
Les directeurs des bibliothèques d’État (COSLA) ont diffusé un message, déplorant encore une fois cette attitude bornée, qui s’appuie sur des analogies douteuses. En effet, pour Sargent, il faut comparer le marché du prêt numérique à celui des blockbusters : leur diffusion exclusive est primordiale au cours des premières semaines. Ce serait alors nuire à la valeur du produit que de sortir en salle un blockbuster et en même temps en location dans les établissements de prêt.
Quand l'édition se fait son cinéma
D’ailleurs, c’est durant ces semaines d’exploitation que le retour sur investissement est le meilleur. « La disponibilité des ebooks dans les bibliothèques, qui peut être considérée comme gratuite, est, de l’avis de Macmillan, le principal moteur de la baisse de la consommation », rapporte le COSLA. Cette idée que le prêt numérique réduirait la valeur perçue du livre est d'ailleurs chère à Sargent.
L’argument mériterait de longs développements pour expliquer au PDG à quel point il se trompe : un court élément suffira. Il sort moins de films que de livres chaque semaine, impossible d’en comparer donc les modèles économiques…
Cependant, cette mentalité d’esprit n’est pas propre à Sargent : les Big Five, les grands groupes éditoriaux américains, la partagent assez bien. En réalité, elle reflète plutôt leur incapacité à monétiser leur fonds de catalogue, plus que leur capacité à en définir la valeur réelle.
De même, la hausse du prix de vente des livres numériques, après le procès mené contre Apple — condamné pour entente sur le prix des ebooks — devrait figurer en première place dans la liste des explications quant au désintérêt des consommateurs.

Le coût d'achat, déjà exorbitant
Que d’hypothèses et de supputations pour bâtir un modèle économique viable et une relation solide avec des partenaires ancestraux des éditeurs. Surtout que le prix de vente des ebooks auprès des établissements publics devient une blague : « Il est peu probable qu’un seul ebook acheté par bibliothèque à un coût trois ou quatre fois supérieur à celui du prix grand public, puisse circuler plus de 2,5 fois au cours des huit premières semaines », relève la présidente du COSLA et bibliothécaire d’État à Hawaii, Stacey Aldrich.
Ah oui : lire 300 pages de roman prend un peu plus de temps que 2 heures de film — et la durée d’un prêt est de deux à trois semaines. Sargent n’a pas dû intégrer ces éléments dans son équation.
Et le COSLA de poursuivre : « Contrairement à l’idée de M. Sargent, selon laquelle la disponibilité dans les bibliothèques a un impact négatif sur les ventes de livres, le COSLA estime que leur présence accroît le lectorat, la notoriété des auteurs, des éditeurs, des libraires et de tout l’écosystème. Et donc, exerce une incidence positive sur les ventes. »
Attendu qu’en plus, de nombreuses bibliothèques ont décidé de ne plus acheter des titres de Macmillan, suite à cette décision, on se demande : comment un éditeur envisage-t-il de gagner plus d’argent, en se mettant à dos une partie de la profession ?
via Publishers Weekly, COSLA
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