Combien d’entreprises ont, ces dernières années, été qualifiées de « Netflix du livre » ? Trop, certainement, en regard des réussites mitigées liées au principe d’abonnement. Pourtant, musique, cinéma, séries : tout se prêterait, une fois basculé dans le monde numérique, à des offres d’abonnement… L’espoir est-il encore de mise ?

Qui veut sous-scribe à l'offre ? pixabay licence
Forbes émet une hypothèse bien audacieuse : d’ici à 2030, l’ebook par abonnement serait aussi populaire que les offres Spotify ou Netflix. Quelques retours historiques s’imposent : si l’ebook émerge fin 90, le premier service d’abonnement fut Oyster, propulsé en 2013. A contrario, Netflix a produit son offre de streaming en 2007, s’appuyant sur une base de clients adeptes de la location de DVD.
À tout le mieux, on peut citer ensuite l’apparition de Scribd, largement critiqué pour son offre pirate, malgré lui, ou encore le lancement de Kindle Unlimited, l’offre d’Amazon, en 2014.
Des joueurs et des offres
Comparons l’incomparable : Netflix revendique 158 millions d’utilisateurs, Spotify 113 millions. KU disposerait de 3 millions d’inscrits, Scribd, autour d’un million. Quant à Oyster, il a fermé en 2015.
Outre-Atlantique, le premier obstacle au développement de ces offres viendrait du manque d’engouement des grands groupes. Au point qu’un récent mouvement de Penguin Random House a pointé l’hypothèse que le géant mondial envisagerait de monter son propre outil d’abonnement. À la manière de Disney, qui a rapatrié tout Marvel depuis Netflix vers sa propre plateforme.
Hachette, HarperCollins, Macmillan, Penguin Random House et Simon & Schuster pèsent collectivement 60 % des ventes de livres, estime Forbes, sur le territoire américain. Et bien entendu, l’absence de leurs titres rend l’offre assez peu attractive. Comment espérer que d’ici 10 ans, l’état de fait puisse changer ?
Réticences partagées
Des petits joueurs comme Spotify ou Apple Music disposeraient de 40 à 50 millions de titres dans leurs catalogues. Parce que les grandes maisons de disque ont choisi de mettre sous licence streaming la quasi-totalité de leur fonds et nouveauté. Sans un même mouvement des éditeurs américains, qu’en serait-il ?
À ce jour, HarperCollins, le plus agressif du Big 5 propose une petite partie de son fonds sur KU et Scribd. Simon & Schuster, idem, avec quelques milliers de titres. Les trois autres joueurs n’ont pas pris part à l’aventure — à l’exception de Macmillan, qui collabore, timidement, avec Scribd.
La question est : pourquoi ? L’octroi de licence d’exploitation découle en premier lieu des droits dont on dispose. Or, contrairement au marché français, les éditeurs américains ont plus souvent face à eux des agents, qui limitent les capacités d’action, au profit de l’auteur qu’ils défendent. Les droits numériques et donc de streaming ne sont ainsi pas toujours détenus par les éditeurs, tant s’en faut.
Parlons d'argent (un peu...)
Toutefois, l’enjeu économique sait se faire entendre : si le Big 5 était convaincu de l’apport financier, il saurait convaincre les agents et les auteurs d’y plonger.
Une maison parisienne, dont le chiffre d’affaires tourne autour de 2 millions € depuis ces cinq dernières années, nous explique : « Nous réalisons près de 10 % de notre chiffre d’affaires numérique avec l’offre d’abonnement. Ce qui représente 19.000 € sur l’année 2019, mais en cumulé, de 2015 à 2018, ne pesait que 6000 €. »
Évidemment, comparaison n’est pas raison entre les marchés d’ici et de là. Mais à regarder les résultats, la part d’abonnement ressemble plutôt à une friandise de fin d’année, qu’à un relais de croissance significatif. Personne ne s'en priverait pour autant.
Didier Borg, fondateur de French Kiss, et porteur du projet Delitoon (plateforme de vente de webtoon, sans abonnement), nous le disait : « Je n’ai jamais envisagé de viabilité au système d’abonnement illimité, sauf pour la musique. Écouter des chansons est compatible avec d’autres activités. En revanche, la journée ne fait que 24 heures, et du Netflix à foison, c’est mensonger. ».
En l’état, la loi sur le prix unique du livre numérique interdit de toute manière un modèle d’abonnement illimité en France. Mais justement : la solution juridique trouvée fait qu’un abonné paye strictement ce qu’il consomme — contrairement aux offres américaines, sur le principe du Eat-All-You-Can… Alors quid ?
Brandir le modèle musical, et convaincre ?
Revenons aux questions financières : la musique n’est pas le livre, mais quand les majors ont basculé vers le streaming, leurs ressources qui plongeaient, ont connu un sursaut. Pas nécessairement les artistes, au demeurant. Mais soit : la croissance que connaît ce secteur après des années de stagnation, voire déclin, est bien là. Le Big 5 ne manquera pas de le remarquer à un moment ou un autre : est-ce suffisant pour autant ?
L’idée que même PRH envisage sa propre offre semble assez improbable pour Forbes — mais d’autres éditeurs, comme Bonnier en Suède, ne se sont pas privés, quand bien même leur offre n’est pas foisonnante. L’idée n’est donc pas à écarter trop hâtivement. En revanche, la tentative de regroupement autour de Bookish, menée aux États-Unis, fut un échec cuisant.
Quant à Cengage Unlimited, offre de l’éditeur scolaire américain, elle a débouché sur de nombreux procès – suivant le principe du « plutôt s’excuser par la suite que de demander l’autorisation au préalable ». Un format d’opt-in brutal et forcé, qui n’est pas sans rappeler le projet ReLIRE de numérisations d’œuvres indisponibles en France…
À la recherche de la chimère !
L’idée serait alors qu’un opérateur, encore inconnu, approche le marché avec une offre disruptive, dotée de fonctionnalités nouvelles, ou non encore exploitées par Amazon. Ou une audience totalement différente : Spotify qui, après s’être ouvert au livre audio, basculerait sur le livre numérique serait un exemple. La diversification de contenus avec le podcast montre d’ailleurs que la firme cherche des pistes…
La solution viendra-t-elle des investisseurs, qui lassés de voir la croissance à un chiffre suivre le fil de l’inflation, décideront d’imposer de nouvelles méthodes à leurs conseils d’administration ? Si l’industrie du livre n’aime pas particulièrement le risque, elle y devient plus sensible à mesure que sa croissance se réduit.
D’ailleurs, le cas d’OverDrive, service de prêt d’ebooks pour les bibliothèques, a récemment été revendu par Rakuten au géant du capital-investissement KKR (Kohlberg Kravis Roberts). Le montant n’a pas été dévoilé, mais comment lire cette information ? Un désengagement du marché de Rakuten, ou une vision d’avenir de la part d’un investisseur ?
2030, apogée de l’abonnement, bien malin qui le jurerait… D'ailleurs, en septembre 2016, les prédictions de Youboox étaient que 25 % du marché de l’ebook découleraient de l’abonnement, d’ici début 2020. Pour la France, tout reste en tout cas à démontrer.
Commentaires
Thelxepeia, le 18/02/2020 à 10:57:20
Répondre
Benjamin6, le 18/02/2020 à 21:40:47
Répondre
Thelxepeia, le 20/02/2020 à 09:59:41
Répondre
Poster un commentaire