Étudier les nouveaux comportements des internautes, qui au travers d'appareils mobiles se procurent des contenus dématérialisés montre que les usagers se reportent logiquement vers les appareils de mobilité, riche idée. Surtout que, cette semaine, une décision de justice a été rendue, contraignant les fournisseurs d'accès à internet à bloquer des sites de streaming. L'illusion d'un combat qui pourrait être remporté perdure donc...
Le 01/12/2013 à 15:45 par Nicolas Gary
Publié le :
01/12/2013 à 15:45
Ce sont seize sites autour de Allostreaming, que la sanction juridique a frappés précisément, et ce, à l'initiative de l'industrie du cinéma. Le tribunal de grande instance de paris a considéré que le streaming était une atteinte au droit d'auteur, et réclamé que les FAI, autant que les moteurs de recherche fassent le nécessaire pour en restreindre l'accès, voire l'interdire. La procédure, qui avait été lancée en 2011 par cinq associations et la fédération du cinéma, visait différents portails, dont l'activité est déclarée comme « entièrement dédié(e) ou quasiment dédié(e) à la représentation d'œuvres audiovisuelles sans le consentement des auteurs».
Droits fondamentaux contre droit d'auteurs ?
Durant les douze prochains mois, les sites en question seront condamnés à l'obscurité : d'un côté, le déréférencement par les moteurs, de l'autre le blocage par les FAI. Une décision prise au nom de la protection du droit d'auteur, opérée « sur la base des dispositions extrêmement vagues de la loi HADOPI votée en 2009 », considère la Quadrature du net.
Félix Tréguer, membre fondateur de l'association cette organisation de défense des droits des internautes, y voit une « une très mauvaise nouvelle tant le blocage apparaît comme une mesure dangereuse, compte tenu notamment du risque inévitable de surblocage d'usages parfaitement licites ».
Et d'ajouter : « Mais l'encouragement à une coopération entre acteurs de l'Internet et ayants droit pour censurer les sites miroirs susceptibles d'apparaître à l'avenir est encore plus inquiétant. Après la récente décision dans l'affaire opposant Google à Max Mosley, ce jugement vient une nouvelle fois avaliser les formes de censure privée qui se développent partout sur Internet et minent les droits fondamentaux. Les acteurs du Net concernés doivent désormais signifier clairement leur refus de se livrer à des missions de justice et de police privées. »
Le parti pirate, insiste : « Cette dérive des lois et de leur application est une très mauvaise nouvelle compte tenu du risque inévitable de sur-blocage d'usages parfaitement licites. Ce jugement encourage une coopération entre les FAI et les lobbies pour censurer notamment les sites miroirs susceptibles d'apparaître à l'avenir "par tout moyen efficace". Ces moyens efficaces que le juge n'ose nommer sont en l'occurrence le "Deep Packet Inspection" qui fonctionne par un filtrage a priori de toutes les communications et un "scoring" (évaluation de la légalité des contenus de manière automatisée). Il s'agit ni plus ni moins que de l'amorce d'un filtrage et de la mort de la neutralité du net. »
Les moteurs vrombissent, les FAI planent
Attendu qu'une modification du droit d'auteur n'est pas prévue pour demain, et que le gouvernement qui s'y attellera n'est manifestement pas encore au pouvoir, la lutte contre le piratage (ou le partage ?) se poursuivra. Et l'on invoquera encore, et encore, la sacro-sainte défense du droit d'auteur, prétexte souvent fumeux pour dénoncer le manque total de contrôle des majors. Lequel dissimule mal le manque de capacité d'innovation. A-t-on jamais entendu, à ce titre, Amazon, se plaindre de ce que le piratage le privait de ventes ? Ce point est intéressant à remarquer.
Du côté de Google, la décision du TGI a été froidement reçue : « Nous sommes déçus par la décision du tribunal. Nous demeurons engagés aux côtés des ayants droit pour les aider à combattre le piratage sur l'ensemble des outils Google.» C'est que la firme sait, intrinsèquement, que le cas par cas est plus profitable à son propre commerce, que le blocage massif. De plus, les contenus que l'on peut retrouver ne sont pas tous illégaux : YouTube, en serait l'un des meilleurs exemples.
Différentes générations de pirates
mikebaird, CC BY 2.0
La réactivité du moteur n'est d'ailleurs pas à remettre en cause : sur l'année 2013, 200 millions de requêtes sollicitant le blocage d'une page ont été enregistrées, et dans 99 % des cas, la demande aboutit à une modification en quelques heures. Pour autant, si le moteur déréférence, le site n'est pas pour autant supprimé, et les autorités envisagent donc de passer par les FAI pour les rendre inaccessibles. On comprend combien l'enjeu d'une pareille censure portera atteinte à un internet libre, dès lors que le FAI est en mesure d'intervenir de cette manière.
Guide pratique des nouveaux usages
Dans le même temps, un document diffusé par l'Hadopi, ce 29 novembre, faisait le jour sur les nouvelles pratiques des consommateurs : il s'agissait de mener « une étude qualitative et quantitative sur les stratégies d'accès, notamment illicites, développées par les internautes pour accéder à la musique, aux films et aux séries TV sur Internet». Seuls les films, séries et musique ont été passés en revue - le livre numérique étant soigneusement tenu à l'écart.
L'étude indique que, de même qu'on assiste à du showrooming dans le monde physique, l'internaute opère en se rendant sur un site légal, pour trouver les idées de ses téléchargements futurs - ils seraient entre 25 et 35 % à le faire une fois par semaine.
Or, si les outils de contournement sont nombreux et de plus en plus connus, l'essor continu des smartphones - et des tablettes - dans la consommation quotidienne implique nécessairement que les utilisateurs cherchent des moyens d'accès depuis leurs nouveaux appareils. Des sites de streaming concçus pour smartphones, des applications permettant l'écoute directe et d'autres pour le téléchargement : les ressources ne manquent pas.
L'accès à la musique se fait à 38 % depuis un mobile, contre 9 et 10 % pour les films et les séries. Pour les tablettes, les chiffres sont respectivement de 17 % pour la musique et 12 % pour films et séries.
Coucou, fait le Hibou(q)
Le livre numérique, officiellement, ne représenterait que 3 % du chiffre d'affaires de l'édition française - ce qui signifie en réalité que seuls les éditeurs membres du Syndicat national de l'édition sont pris en compte. Pour un éditeur 100 % numérique, c'est 100 % du chiffre d'affaires qui est réalisé avec les livres numériques : si leur poids n'est pas aussi important que les grosses écuries du SNE, leurs courbes de croissance n'en demeurent pas moins significatives. La demande augmente considérablement, à mesure que certaines maisons classiques négligent d'avoir une politique tarifaire honnête.
Mais dans le cadre de l'étude Hadopi, il aurait été intéressant de voir comment, au travers de smartphones et de tablettes, on peut se procurer des oeuvres sous droit. Après tout, l'offre de streaming légale est encore assez mince - rappelons toutefois qu'un éditeur comme Publie.net l'avait mise en place depuis plusieurs années déjà, pour son propre catalogue. Une offre mince, mais surtout inadaptée : un abonnement pour qui offre l'accès intégral à un catalogue ne rend pas compte des usages. On ne consomme pas du livre comme l'on consomme de la musique.
Milan Kundera, ici en version piratée, refuse la numérisation de ses livres...
À ce titre, l'expérience menée par Scribd est très instructive : l'idée n'était pas de vendre de l'illimité aux lecteurs, mais une sélection - et pourquoi pas, à l'avenir, une éditorialisation de l'offre. Aujourd'hui, Scribd propose 20 titres par mois, pour 8,99 $, et manifestement l'offre fait mouche. A contrario des solutions actuelles qui reposent sur un modèle « Eat All You Can » : on ne goinfre pas un lecteur, à moins de vouloir l'écoeurer.
Votre enfant a des facilités - votre téléchargement aussi
Dans un autre registre, si télécharger de la musique ou des films sur un smartphone/une tablette se démocratise, l'opération reste coûteuse... en bande passante : les forfaits ne sont pas extensibles et si, pour se procurer des fichiers musicaux de 5 ou 6 Mo, cela reste accessible, un film de 700 Mo devient surréaliste. Sans même parler de la vidéo en streaming. Or, un livre numérique ne pèse rien, en termes de téléchargements. Et les solutions de lecture sont suffisamment riches pour que sitôt enregistré, l'ebook soit ouvert et lu.
Hadopi note que les internautes ont une « impression de facilité concernant les pratiques illicites » et relève deux points :
Un accès illicite aux œuvres que les interviewés considèrent comme simple et rapide, ne nécessitant pas des connaissances techniques particulières (pas réservé à des « spécialistes » / « experts » en la matière).
De sorte qu'auprès de cette cible de consommateurs illicites fréquents, on observe une forme de banalisation des pratiques illicites (« tout le monde le fait »), avec une forme de mise à distance du risque de se faire prendre sur le mode : il y a toujours « pire que soi ».
Or, la lecture numérique s'opère nécessairement par des appareils qui disposent d'une connexion - oublions les lecteurs ebook, assez peu pratiques pour surfer, mais envisageons une seconde ce qu'une tablette peut apporter d'ouvrages en quelques secondes, avec une connexion, même 3G. Et même tarif pour un smartphone : ces outils de lecture sont peut-être rudimentaires, mais non moins essentiels pour des livres numériques, homothétique ou pas.
Si pour les besoins de l'étude, les livres ont été exclus, parce que correspondant à des pratiques et des populations spécifiques, on attend avec impatience l'enquête qui interrogera réellement le livre numérique, et sa consommation par les canaux dits illicites, au travers des appareils de mobilité...
D'ailleurs, que devient Portail Protection Livres, la solution de délation mise en place par le SNE ?
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