L’événement littéraire de 2019 se nomme donc Michel Houellebecq : d’un côté les désastreuses déclarations d’admiration à Donald Trump, de l’autre, la parution du nouveau roman, Sérotonine. Et au milieu, coule une étrange rivière, qui charrie tout et n’importe quoi. Avec un filtrage façon station d’épuration des eaux, des plus compliqués à mettre en place.

Michel Houellebecq - ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Depuis le 2 janvier, l’Agence France Presse a consacré six articles à Monsieur Michel, sur onze dépêches de sa section Livre. Un signe des temps : surfer sur la possibilité d’un îlot de bonheur, qu’apporterait le roman, habilement dissimulé. Vraiment ? Se bourrer aux hormones – fut-il celui du bonheur – serait notre dernière chance ?
Houellebecq, ou comment perdre le Niort
Il y eut tout d’abord cette polémique qui ressemblait au marché de Brive-la-Gaillarde dépeint par Brassens : le non-respect d’un embargo, qu’avait demandé l’éditeur, par deux médias. Voici qui provoque une foire d’empoigne entre critiques littéraires et journalistes. Les uns contre et les autres pas d’accord : à coups de réseaux sociaux, on se revisite les notions d’éthique du métier.
Éthique et tact, tic-tac, tic-tac... S’égrènent alors les journées qui vont séparer de la sortie du livre en librairie – que les libraires n'avaient d'ailleurs pas vu ni lu encore. Alors que les critiques pleuvent, plus nombreuses que les marrons glacés sur les tables de réveillon, on s’irrite, on s’indigne, et l’on finit, une fois de plus, par prendre Houellebecq au sérieux.
C’est la ville de Niort, cette année, qui fit les faux frais du bal ouvert : qualifiée de cité la plus laide « qu’il m’ait été donné de voir » par le narrateur, sa population s’embrase. Le peuple grogne, s'émeut, s'indigne, et l'on monte les barricades : sus au romancier qui pérore et injurie ! Au point que le maire décide, avec sérieux d’inviter l’écrivain à découvrir les rues de cette ville bafouée.
Avec une note d’humour, indique Jérôme Baloge, le maire, invite même à découvrir une spécialité locale, l’angélique, plante dont « la vertu médicinale est de rendre heureux ». Ah, oui : la sérotonine, l’hormone du bonheur... Et si le choix de Niort et de son angélique, avait un lien avec le titre, en relation avec principe chimique de ladite plante ? Et si Houellebecq l’avait fait exprès ?
Il avait bien copié-collé, en 2010, l'encyclopédie Wikipedia pour La Carte et le territoire, sans respecter la licence qui demande à citer ses sources – et l'éthique, le tact et la morale. D'ailleurs, s'il ne s'était pas trouvé un lanceur d'alerte pour le signaler, personne ne s'en serait jamais aperçu...
Spécialisé dans l'application des mains
C’est qu’on prêtera bientôt au romancier des vertus curatives : d’ailleurs la librairie Le Divan, à Paris (XVe arrondissement), s’est amusée à mettre en scène sa vitrine avec une connotation médicale évidente : des livres sur les médicaments, la médecine, le bien dormir… et le roman en plein centre. « Prescrit par votre libraire », qui certes a rarement fait médecine, mais le bonheur par les livres, si ça existe, c'est bien son domaine, non ?
Pourtant, les lecteurs se sont précipités : la dimension sociale de ses textes le rend sympathique aux lecteurs. Et certains ont, à la manière des fans d’Harry Potter, fait la queue avant l’horaire d’ouverture des librairies, pour être parmi les premiers à avoir Le Précieux. À défaut de revendiquer des pouvoirs de guérisseur, le romancier peut au moins se targuer d’inciter aux comportements quelque peu déphasés. Voire idiots.
Je viens d’entendre à la radio « le Houellebecq se vend comme des petits pains ». Je trouve inquiétant que le livre d’un homme qu’on dit être vraiment un écrivain et pas un fabricant de livres soit lancé comme un produit. Seuls @libe et le Canard ont fait critique et pas promo
— Josyane Savigneau (@josavigneau) January 5, 2019
Candide au pays des pirates
Reste alors l’effet des faits : cette année, malgré le tapage, le roman n’a pas été piraté comme le fut Soumission. Pas faute d’avoir pourtant déclenché une salve d’articles, lorsque les rédactions ont reçu l’information. Quand Soumission s’était retrouvé sur les réseaux près de 12 jours avant la publication, une version scannée d’un livre papier, qui a rapidement été transformée en livre numérique tout à fait lisible.
Et cette fois-ci, rien ? Malgré le battage, l’amour à Trump, la mairie niortaise outragée, les écharpements de journalistes, les chiffres de tirage, les promesses d’une nouvelle aube pour une industrie du livre qui a souffert en 2018 ? Rien ? Non : les pirates ont sagement attendu que les plateformes mettent en vente l’ebook avant d’en mettre la contrefaçon sur les plateformes.
Signe des temps ? Ou une fuite qui n’a pas eu lieu, que personne n’est parvenu à se procurer une version à numériser cette fois-ci ? Qu’importe : cette année, Houellebecq a été piraté comme tous les livres qui sortent, sans empressement ni hardiesse. Le jour de sa sortie. Sans traitement de faveur. Peut-être que les pirates sont finalement plus raisonnables que les autres...
« C’est une sorte d’étranger qui révélerait non l’absurdité du monde (…), mais sa signification oubliée par ceux qui sont immergés en lui », disait Alain Finkielkraut de Houellebecq, sorte de Candide à la recherche du décalage. Attendons les résultats de ventes du premier week-end pour nous décider.
mise à jour 8 février : les données GfK sont tombées. Plus de 90.000 exemplaires écoulés depuis la sortie du roman ce 4 février et jusqu'au 7 février.
Don #serotonine de #houellebecq affiche 90.229 exemplaires vendus depuis sa sortie le 4/01. Avec 1,95 million € de chiffre d'affaires (source GfK). Le #Goncourt en est à 301.638 exemplaires. @Ed_Flammarion pic.twitter.com/UkzNPFdPc6
— ActuaLitté (@ActuaLitte) January 8, 2019