On déplore une nouvelle victime de la Covid-19 : l’application de lecture Rocambole vient d’être évacuée sans autre forme de procès de tous les stores Android. En cause, une série de fiction — si, si — baptisée Coronavirus. Un texte d’anticipation, publié quelques jours avant le confinement en France.

« Il aura suffi d’un mot pour endommager durablement des mois de travail. Car désormais, aux États-Unis, vous devez être agréé par l’État pour utiliser ce mot », s’agace Julien Simon, responsable éditorial de Rocambole.
Signée Neil Jomunsi, cette série fonctionne comme un thriller — dans la perspective de faire résonner des textes de fiction avec des sujets d’actualité. « Face à la menace d’un virus meurtrier, Paris est placée sous quarantaine. Trois enfants, Lia, Samuel et Anton, se retrouvent brutalement séparés de leurs parents. » Voici ce que raconte Coronavirus.
En somme, mettre des mots sur des émotions difficiles, raconter l’histoire d’une famille — le tout alors que le confinement n’était pas encore envisagé. Du moins, pas officiellement annoncé. Sauf qu’entre la publication des textes et cette fin de mois de juillet, les règles du Google Play ont changé, amplement durcies.
« Sous couvert de lutter contre les fake news, Google refuse d’assumer son travail d’éditorialisation et choisit la pire solution : la destruction nucléaire par algorithme, soit une vraie censure automatisée », reprend-il.
Banni soit qui Covid mal y pense
Boris Duda, cofondateur de Rocambole, ne sait quoi en penser. « Nous avons découvert que l’application n’était plus disponible, ce 29 juillet, suite aux signalements de lecteurs. Par la suite, notre développeur a reçu un message de Google signifiant que l’app était supprimée parce qu’elle proposait un contenu dont le titre était Coronavirus. » Le mot honni...
Cette chasse aux sorcières, bien connue, avait débuté en mai dernier. Parmi les premières victimes, plusieurs applications proposées sur Android — dont l’une, PodcastAddict, qui dans ses programmes parlait de la pandémie.
Notre application @rocamboleapp vient d’être retirée ce matin des Stores Google.
— Rocambole (@Rocamboleapp) July 29, 2020
La raison ? Le titre « Coronavirus » d’une de nos séries littéraires ne plait pas à @Google.
En plus d’être dépubliée, nous venons aussi de perdre tous nos abonnés.
C’est tout simplement HONTEUX.
Hiroshi Lockheimer, responsable d’Android, l’expliquait dans un message d’excuses – Podcast Addict avait fini par retrouver sa place dans le Google Play, ce qui laisse un bon espoir pour Rocambole. « Nous en sommes encore en train de faire quelques réglages dans nos procédures de lutte contre la désinformation, mais cette application n’aurait pas dû être retirée. »
De fait, pointait France Culture, les applications faisant référence à la Covid-19, ou à toute recherche associée, sous quelque forme que ce soit « ne seront approuvées pour une distribution par Google Play qu’à condition d’avoir été été publiées, commandées ou autorisées par les autorités officielles du gouvernement ou des organismes de santé publique ».
Quand on songe qu’il aura fallu attendre le 22 juillet 2020 pour que Donald Trump reconnaisse enfin la gravité de la pandémie — depuis plusieurs jours, les États-Unis enregistrent quelque 60.000 cas quotidiennement — cela laisse songeur. Surtout que même Twitter a censuré le président des USA pour la diffusion d’infox — on y voyait dans une vidéo des médecins assurer que le masque n’était pas nécessaire pour stopper la maladie…
Google, l'anti-fake news
En somme, dans sa lutte motivée contre les fake news, Google sanctionne une application qui propose de lire des histoires, en la rendant inaccessible. Mais pire encore : « Android représente la moitié de notre audience », reprend Boris Duda. « Et tous les abonnés ont été supprimés : c’est rageant pour nous, évidemment, mais pour eux tout autant. »
Avec cet élément à prendre en compte : « Google Android, c’est devenu un énorme vecteur de téléchargements de l’app. En comparaison, iOS fait beaucoup moins. » Et par conséquent, des centaines de lecteurs se retrouvent privés de leur abonnement.
Pour Rocambole, les solutions se comptent sur le bout d'un doigt : faire appel, en remplissant un formulaire en anglais, « qu’une équipe américaine dédiée chez Android prendra le temps, ou non, de consulter et éventuellement de valider pour que nous puissions de nouveau être en téléchargement ».
Et de conclure : « Le plus effarant dans cette manière de faire, c’est que nous n’avons pas même été prévenus, ou alertés d’un contenu qui pourrait ne pas répondre à leurs critères. Nous aurions pu faire les ajustements nécessaires, étudier comment modifier le titre ou le texte… »
Julien Simon insiste : « En attendant, Google a purement et simplement censuré une œuvre de fiction et porté préjudice à une entreprise culturelle française. »
La littérature et les tuyaux
Voilà quelques années, les éditions des Équateurs avaient vécu une censure chez Apple : le livre de Bénédicte Martin, La femme, avait été blacklisté parce que sa couverture présentait une femme aux seins nus.
« Ce sont des algorithmes qui choisissent les livres en fonction de leur titre et de leur couverture. Apple ne regarde même pas le contenu des livres. Il y a une grande déshumanisation de la politique éditoriale d’Apple », résumait Olivier Frebourg, l’éditeur, auprès de ActuaLitté.
Autre époque, autres mœurs, autre pandémie : voilà une dizaine de jours, Google assurait que « depuis le début de l’épidémie de coronavirus, nous nous efforçons de protéger les utilisateurs contre les publicités et publications frauduleuses, dangereuses et nuisibles ». Quitte à, désormais, s’en prendre à des textes de fiction…
Mise à jour 31/07 :
D'après un message de l'application, tout serait rentré dans l'ordre du côté d'Android.
ON NOUS A RENDU ROCAMBOLE !
— Rocambole (@Rocamboleapp) July 31, 2020
L’application a fait son come-back sur les stores Google. Et c’est avec une émotion toute particulière que nous vous remercions aujourd’hui.
La Suite dans ce Thread
mise à jour 1er août - 10h :
Il n'aura manifestement fallu longtemps à Google Play Store pour se rendre compte de sa bourde : en l'espace de 24 heures – quelques 35.000 lectures de cet article également – la mobilisation a fait revenir l'application dans le store. Pour célébrer cela, un mois premium est offert avec le code FREEROCAMBOLE. Enjoy !
illustration : OpenClipart-Vectors CC 0