Fin mars, répondant à la crise sanitaire, Internet Archive montait une Bibliothèque d’urgence. À défaut de prodiguer des soins contre le coronavirus, la plateforme proposait des centaines de milliers d’ouvrages gratuitement. Mais au fil des semaines, les éditeurs ont grogné, pesté, et finalement décidé de porter plainte pour contrefaçon. Un comportement que déplore Brewster Kahle, le fondateur.

À l’occasion d’une conférence de presse via Zoom, d’une trentaine de minutes, le fondateur de Internet Archive a appelé les grands groupes américains à renoncer à leur plainte. « Un procès inutile », expliquait-il ce 22 juillet, considérant que l’interprofession devrait plutôt œuvrer de concert pour « aider les enseignants, les parents et particulièrement les élèves ».
Dérapage incontrôlé
À sa suite, plusieurs autres intervenants plaidaient en faveur du Prêt Numérique Contrôlé — solution hybride par laquelle l’IA a scanné et mis à disposition 1,4 million de titres encore sous droit. Rappelant la vocation de toute bibliothèque — acheter, conserver et prêter — Kahle assimile donc cette approche à celui de tout autre établissement.
Ce modèle repose sur le concept 1 livre = 1 utilisateur, celui-là même qui est en vigueur pour les ouvrages papier. « Le prêt numérique contrôlé est une pratique largement répandue et qui date, pour les bibliothèques. » Et de glisser que depuis neuf années qu'existe Internet Archive, cette solution a avant tout fait des heureux.
Sauf que les éditeurs ne l’ont pas vu de cet œil, décidant de porter plainte, et contraignant la plateforme à fermer sa bibliothèque d’urgence. Les plaignants jurent leurs grands dieux qu'Internet Archive est « impliquée dans une vaste violation délibérée du droit d’auteur ». Rien que cela.
« La plainte s’en prend au concept même d’une bibliothèque qui posséderait et prêterait des livres numériques, remettant en cause l’idée même de ce qu’est une bibliothèque dans un monde numérique », rétorquait pourtant la plateforme. Mais en vain : en période de crise sanitaire, les intérêts financiers priment. Quant à la perspective de dommages-intérêts juteux, elle ne laisse pas l'ombre d'un doute.
Du vol avec effraction en épicerie
Ainsi, le 1er juin, Hachette, HarperCollins, John Wiley & Sons et Penguin Random House, épaulés par l’association des éditeurs américains, portaient l’affaire devant le tribunal de district sud de New York.
L’Association mitraillait d’ailleurs que ce service n’avait rien de public, mais relevait de la piraterie, cherchant « à massacrer le cadre juridique qui régit les investissements et les transactions liées au copyright dans le monde moderne ». Et, pour reprendre l’image de Douglas Preston, le président de la Guilde des Auteurs, il n’y avait aucune différence entre cette méthode et le fait de « jeter une brique sur la vitrine d’une épicerie, de distribuer la nourriture et de se féliciter d’avoir rendu service au public ».
Robin des Bois savourerait certainement l’image : on imagine bien que les plaignants ne sont pas de ce côté de la forêt de Sherwood. Ou bien le bosquet cacherait l'arbre ?
Pourtant, Brewster Kahle l’avait expliqué : les bibliothèques n’enrichissent pas les actionnaires de grands groupes, qui restent les premiers à profiter des revenus générés. Gerald Leitner, secrétaire général de l’IFLA, ajoutait auprès de ActuaLitté : « La bibliothèque d’urgence a apporté une réponse extraordinaire à une situation extraordinaire, et, pour de nombreuses bibliothèques qui n’ont pas pu donner accès à leurs collections physiques, cela a été un réel avantage. »

De quoi se remémorer que depuis l’apparition du livre numérique, un conflit ouvert entre bibliothécaires et éditeurs se poursuit. Les premiers demandant qu’on ne leur impose pas des conditions trop drastiques — surtout financièrement. Quand les seconds tentent, parfois en facturant 3 à 5 fois le prix public d’un ebook, de se nourrir sur le truand. Le tout en prétextant sans honte ni vergogne que le prêt numérique cannibalise les ventes, et qu’il faut bien se récupérer quelque part.
“En aucun cas une menace”
Internet Archive devra présenter ses arguments devant le juge le 28 juillet. Évidemment, aucune indication sur la stratégie qui sera adoptée n’a été communiquée. Dans ce combat, un allié de poids s’est récemment manifesté : Electronic Frontier Foundation, organisation de défense des droits des internautes.
Elle avait annoncé fin juin qu’elle soutiendrait le site dans le procès qui s’annonce. « L’EFF est fière d’être aux côtés d’Internet Archive et de protéger cet important service public. Le prêt numérique contrôlé aide des professeurs, élèves et plus généralement le public à accéder aux livres, à un moment où cela est difficile et plus nécessaire que jamais. Il ne constitue en aucun cas une menace », indiquait Corynne McSherry, directrice juridique.
via Publishers Weekly
crédit photo : ernie114 CC 0
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