Il aura fallu un immense papier du New York Times pour que Jeff Bezos sorte de sa tanière et de ses vacances. Le grand patron d’Amazon a dû se sentir obligé de réagir, considérant que la description faite n’est pas celle de sa société. À moins que l’identité de la firme n’ait totalement échappé à son créateur ? C’est que le portrait brossé présente une sorte de monstre froid, dédié à l’innovation, et qui compte des dizaines de millions de consommateurs aux États-Unis.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
La presse connaît bien Amazon : sortie des sentiers rebattus de la communication officielle, la firme est avare de commentaires. Cette relation complexe se ramifie aisément au sein même de l’entreprise, affirme le quotidien. Il cite la formule de John Rossman, auteur du livre The Amazon Way : « Un grand nombre de gens qui y travaillent perçoivent cette tension : c’est le meilleur endroit où je déteste travailler. » C’est que la formule Amazon motive autant qu’elle détruit. Mais on ressort manifestement différent de l’expérience professionnelle.
Un employé de la société, en France – c’est déjà tout dire – nous expliquait sous couvert d’un absolu secret, combien les équipes sont pressurisées. Un papier, un crayon, et tout le reste doit venir du cerveau de celui qui est assis. Pas question de dépenser des sommes astronomiques, puisque l’innovation vient de ce que les salariés peuvent concevoir. Et ce qui se conçoit bien, n’est-ce pas, s’énonce clairement...
Clary Parker Jones, consultant, explique combien la structure de la société pousse les équipes « à faire plus, avec moins d’argent, soit pour faire face à la compétition, soit pour se maintenir devant la lame du bourreau ». Si la guillotine est le dernier argument, on croirait volontiers un roman de Stephen King, avec pour titre, Innove ou crève.
On connaît plus souvent la société comme une machine obsédée par sa relation client, mais Bezos l’affirmait déjà en 1997 : « Il est difficile de travailler ici. » Pour certains, cela signifie devenir un Amaboot, un robot Amazon, qui s’est fondu dans le système de l’entreprise, et parvient à s’y intégrer totalement. À s’oublier dans la masse, pour la grandeur de la firme. Un esprit d’entreprise défiant l’imagination.
Le New York Times égrène différents témoignages d’anciens employés, dans les hautes sphères et venus de tous les secteurs de la société. « Amazon, c’est là que les perfectionnistes se rendent pour se sentir minables », affirme Noelle Barnes, qui a travaillé au marketing de la société durant neuf années.
Du monde des données personnelles, aux données des personnes, tout semble n’être qu’une recherche de la performance individuelle, dans une mise en concurrence mondiale, où les empires web se font et s’écroulent d’une nuit à l’autre. Soucieux de son efficacité, Amazon utilise un ensemble d’éléments pour renforcer et stimuler les milliers d’employés en col blanc qu’elle emploie : « La société exécute un algorithme qu’elle améliore continuellement, pour la performance de son personnel », explique Amy Michaels, ancien agent de commercialisation du Kindle.
Et comme pour les clients, plus la firme dispose de données, plus ses employés se sentent obligés de remplir les exigences de la société. Long article, mais passionnant.
Même pas mal, assure le grand patron
Sauf que Bezos n’a pas le même son de cloche : « L’article ne décrit pas l'Amazon que je connais, ou les gens bienveillants d’Amazon avec lesquels je travaille tous les jours. » On pourrait répondre : et pour cause, aucun des leaders en poste n’a répondu. Et le grand patron d’affirmer que les histoires rapportées dans le média, si elles sont vraies, doivent immédiatement faire l’objet de rapports auprès des relations humaines de l’entreprise. « Même si ce sont des cas rares, ou isolés, notre tolérance à un pareil manque d’empathie doit être de zéro. »
Il jure même que lui préférerait « quitter une pareille société », et que, pour accepter de travailler dans le monstre que décrit le NYT, « il faudrait être fou ». Ou bien désespéré, sans emploi, ni ressources : en somme acculé à n’avoir plus d’autre avenir que le travail en usine dans tel ou tel entrepôt ?
Bezos s’en tirera finalement par une pirouette, où ce que décrit le NYT n’est qu’une présentation, résume-t-il, des pires méthodes de management. Et à ce titre, c’est un excellent exemple de ce qu’il ne faut pas faire – comprendre, ce qui n’arrive pas chez Amazon. Et d’interpeller ses collaborateurs, pour conclure : « Heureusement, vous vous amusez, travaillant avec un groupe de partenaires brillants, en aidant à inventer l’avenir, et riant le long du chemin. » (via Geek Wire)
Ce genre de rire ?
DonkeyHotey, CC BY SA 2.0
Pas de commentaires
Pour approfondir
Editeur : Fayard
Genre : entreprise faits...
Total pages :
Traducteur :
ISBN : 9782213677651
En Amazonie
de Jean-Baptiste Malet