Il n’est pas homme à polémiques, pas plus que politicien. Mais attaqué sur « une regrettable maladresse », Stéphane Bern sort de sa réserve. « Je me ferai toujours le défenseur des bibliothèques », indique-t-il à ActuaLitté. Qu’on se le tienne pour dit.
« J’ai passé ma vie à la BNF rue Vivienne et rue Richelieu. J’y ai conçu mes premiers livres historiques. La salle de lecture y est magnifique et inspirante », se souvient l’animateur et journaliste. Mais voilà : invité de l’émission C à vous, il réagit aux propos de l’écrivain Philippe Besson. « Quand je l’ai entendu, j’ai ressenti beaucoup d’étonnement et un peu de colère : jamais je n’ai eu la volonté d’opposer le patrimoine ancien à celui du XXe siècle. Pas plus que de ne minimiser l’incidence des bibliothèques sur la vie des citoyens. »
Cette malheureuse contradiction intervient quand Besson — à qui l’on doit un roman sur la campagne d’Emmanuel Macron et qui manqua un poste de consul à Los Angeles… – dénonce la politique culturelle menée. Il considérait qu’en abondant des fonds pour le patrimoine, « on regarde davantage vers le passé que vers l’avenir ».
Vieilles pierres et BnF en rollers
Stéphane Bern s’agace à l’idée que l’on accorderait plus de place au patrimoine. Joint par téléphone, il reprend : « C’est la première fois depuis François Mitterrand et Jack Lang que l’on conçoit un tel plan de relance pour le patrimoine. C’est faux, archifaux, de dire qu'encore une fois il n’y en aurait que pour “les vieilles pierres”. »
Et d’ajouter : « En revanche, quand j’entends que le parvis de la BNF sert à faire des sorties en famille pour faire du patin à roulettes, ça me rend dingue. Le malentendu vient de là : alors que je suis celui qui tente de réconcilier les deux mondes, je me sens pris comme un lapin devant les phares d’une voiture. »
Le parvis s’y prête, en effet, mais imaginer que les lieux servent avant tout à cela… « La vérité, triste, est que ceux qui critiquent les efforts faits pour le patrimoine ne sont pas ceux qui défendent la culture populaire et qui plait aux gens. Ces donneurs de leçons m’exaspèrent. »
Une dette reconnue et admise
On peut s’interroger sur la pertinence qui consiste à interroger un ancien soutien public du président Macron — et plus encore, l’entendre dézinguer la politique culturelle menée. « Venir critiquer la politique culturelle, dire qu'elle est médiocre, c’est très fort de café ! »
Mais pour l’animateur radio, « c’est surtout un sentiment d’injustice. Les bibliothèques m’ont permis d’accéder à des études, que je n’aurais pas accomplies vu mon milieu social. Pour elles, j’ai le plus grand respect : ces mercredis après-midi que je passais dans l’établissement municipal, les bibliothécaires qui m’ont conseillé des livres, et qui aujourd’hui offrent tant à nos compatriotes ».
D’ailleurs, « Erik Orsenna, dont je suis très proche, avait produit ce rapport pour Françoise Nyssen quand elle était ministre, sur les bibliothèques. Alors, je comprends qu’il soit mécontent de ce qui en a été fait, mais nous partageons tous deux une image de ce qu’elles incarnent et l’importance de leur mission ». L'association des bibliothécaires de France (ABF) l'avait d'ailleurs signalé dans un courrier interpellant Stéphane Bern.
Il poursuit : « Dans ma famille, il n’y avait pas de télévision : les livres étaient l’unique chose valorisée. Et j’ai eu l’immense chance de recevoir et d’accéder à cette culture livresque, justement grâce aux bibliothèques. Je regrette d’avoir à me justifier, mais que l’on rebondisse sur une bêtise que j’ai dite pour faire de moi ce que je ne suis pas, je ne le supporte pas. » Après une pause, il insiste : « Je redouble d’efforts pour payer ma dette aux bibliothèques ! »
Agir, loin des caméras
D’abord, par ses différentes implications au niveau national. À Briançon, par exemple, où il plaide pour la création d’une médiathèque-bibliothèque. Ou encore le Tribunal de Baugé-en-Anjou, qui dans le cadre du Loto du Patrimoine, sera transformé en médiathèque et salle polyvalente pour accueillir des associations.
Et à quelques centaines de kilomètres, l’ancienne Justice de paix — ces anciens organes juridictionnels fondés en 1790 pour rendre une justice de proximité et supprimés en 1958, remplacés par les tribunaux d’instance et les médiateurs — deviendra une bibliothèque-médiathèque. « Je ne m’en vante pas, pas plus que je n’en tire orgueil, mais j’ai suggéré ces transformations pour ces lieux aujourd’hui fermés. »
Au lendemain de l’émission, rencontrant la ministre Roselyne Bachelot, le sujet de la polémique n’est pas même évoqué. « La ministre sait que beaucoup d’argent ira au patrimoine, parce que derrière ces vieilles pierres, des hommes et des femmes n’ont que cela pour vivre. Elle sait que je ne ménage pas mes efforts, pour que soient restaurés les édifices d’antan et les faire vivre aujourd’hui. »
Le problème ? « Cette immédiateté des réseaux sociaux, qui s’emparent de tout et de rien. Heureusement que plus de personnes écoutent le Téléphone sonne. » Dans l’émission du 18 septembre, Monsieur Patrimoine avait en effet pu revenir sur ses paroles et réaffirmer qu’il n’existait aucune ambiguïté pour lui. « Ce que je crains, c’est que la nuance n’est plus autorisée : plus de droit à l’erreur — et j’ai commis une erreur, dans l’agacement de ce que j’avais entendu durant l’émission sur France 5. »
Thiron-Gardais, musée pour bibliophiles
L’homme qui vit « entouré de dizaines de milliers de livres » travaille aussi, à son niveau, à rendre la culture accessible. Rendre possible, selon ses propres mots, la « culture gratuite à portée de main ». Ainsi, dans sa propriété du Perche, il a acheté à Thiron-Gardais un collège militaire du XVIIe siècle, où s’est déjà ouvert un musée. Il léguera sa bibliothèque personnelle et actuellement « nous préparons le réceptacle et l’archivage des documents, pour que les chercheurs, notamment, aient accès à mes collections de bibliophile. »
Pour encadrer tout cela, une fondation éponyme est mise en place : cette dernière propose déjà un prix littéraire historique, doté de 5000 €, pour encourager les jeunes auteurs à écrire des livres d’histoire.
« Moi, je vis dans la culture des bibliothèques et des médiathèques. Et je ne ferai pas l’erreur de mettre des livres en hauteur et des gens au sous-sol. Ce n’est pas ainsi que l’on rend les livres disponibles pour tous. »