« Voilà un an, Editis était place d’Italie, avec une fin d’année marquée en France par de nombreux évènements, très perturbants pour l’activité... » Michèle Benbunan, directrice générale du groupe aux 49 maisons d’édition, boucle une première année dense. Elle revient avec nous sur ces 12 mois passés.
Le 07/12/2020 à 11:27 par Nicolas Gary
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07/12/2020 à 11:27
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Michèle Benbunan : 2019 fut intense. D’abord, le déménagement (92 avenue de France) prévu pour octobre n’était pas prêt. Les équipes de Vivendi ont piloté les opérations avec un nouvel architecte et tout a été repensé pour déménager à temps.
Ensuite, le groupe lui-même. Du fait des cessions et rachats successifs, le management avait misé sur des actions à très court terme. Il fallait transformer en profondeur le groupe pour affronter les défis à venir : l’auteur placé au cœur de la maison, avec un couple auteur-éditeur renforcé et des choix à 360°, des relations plus intégrées avec les éditeurs partenaires, distribution et diffusion orientées pour répondre aux nouvelles attentes.
Editis devait s’attacher à offrir une expérience plus riche à nos éditeurs. Choisir Editis signifie proposer à nos auteurs de nouvelles possibilités.
Tout cela représente beaucoup de travail pour toutes les équipes fortement investies avec moi dans le projet. Cela a abouti entre autres à la création d’une direction dédiée aux possibilités offertes par l’environnement Vivendi. Ce projet a un écho intéressant dans l’actualité avec le rachat du groupe américain Simon & Schuster [par le groupe Penguin Random House, NDLR] : immerger l’auteur et l’éditeur dans un univers varié mêlant audio, audiovisuel et digital fait de plus en plus sens.
Michèle Benbunan : Arnaud de Puyfontaine est président d’Editis et président du directoire de Vivendi : voilà qui atteste de l’intérêt qu’il porte et que le Groupe Vivendi porte à l’édition, aux auteurs, aux éditeurs et à la volonté stratégique de les inscrire au cœur de la stratégie du Groupe. Tout cela mené avec le soutien sans faille de Vincent Bolloré.
Nous multiplions les projets avec les autres entités du groupe, nous ouvrons des portes, lançons des initiatives communes. Certaines ont débuté cette année, mais beaucoup d’autres, de plus grande ampleur, verront le jour en 2021.
En 2020 nous avons créé « du livre à l’écran », qui connaît un taux de réussite remarquable. Un tiers de nos œuvres font l’objet d’un intérêt particulier de producteurs. Avec « derrière l’écran », nous expliquons aux auteurs ce qui intéresse les scénaristes et les producteurs, de sorte que chacun comprenne mieux les problématiques de l’autre.
De même, avec Les Arènes et l’Iconoclaste, nous avons mené l’opération durant la foire du livre de Francfort, « What’s your hot book ? ».
Autre élément, Le Bureau des auteurs : c’est la première fois qu’un groupe d’édition s’implique en propre pour promouvoir ses auteurs comme intervenants. D’ailleurs, nous avons référencé 200 auteurs et 400 thèmes originaux pour le Bureau des auteurs et des demandes émanent y compris d’auteurs qui ne sont pas publiés chez nous, preuve que cette initiative plaît. Un auteur gagne sa vie avec des ventes de livres, mais entre deux ouvrages, le faire exister, lui apporter des sources de revenus, une présence et une solution de prise de parole a toute sa place.
Autour de l’audio, nous travaillons à des rapprochements avec Universal Music : ils parlent de leurs auteurs, nous aussi et nos démarches ne sont pas si éloignées. Iconopop, monté par L’Iconoclaste, l’a d’ailleurs bien compris. Nous regardons également comment faire vivre les univers d’auteurs, entre deux livres avec Gameloft [éditeur de jeux mobiles racheté par Vivendi en 2018, NDLR], car le jeu devient un bon moyen de faire vivre les personnages et l’univers de l’auteur.
Côté Canal +, nous réfléchissons à des moyens de mettre en avant les livres et les auteurs, sujet qui tient à cœur à la direction de Vivendi. 2021 sera donc une année riche en initiatives.
Michèle Benbunan : J’ai entendu cette critique. D’abord, je ne connais pas beaucoup d’auteurs opposés farouchement à une adaptation audiovisuelle de son œuvre. De même, vouloir transformer un romancier en un scénariste est une idée farfelue : certains auteurs peuvent conjuguer les deux, avec talent, mais ce sont deux métiers distincts.
Les auteurs et éditeurs s’intéressent aux nouveaux usages, avec un décloisonnement global. Les formats deviennent des actifs, qui donnent à l’auteur de nouvelles manières d’exister : tout écrivain qui souhaite accéder, et participer, à cette « mise en valeur », cette nouvelle visibilité doit être accompagnée et nous sommes les plus à même de les accompagner. Cela implique des compétences qui n’existaient pas, ou qui n’étaient pas assez exploitées, et que nous pouvons déployer, car nous sommes présents dans tous les univers médias.
Michèle Benbunan : Un confinement place d’Italie aurait rendu le travail impossible, ou peu s’en faut. À l’occasion du déménagement, nous avons généralisé des outils qui se sont avérés essentiels pendant le confinement. Je n’ose imaginer ce que cela aurait été si nous avions maintenu le calendrier initial du déménagement en mars… Quand la sidération du confinement est arrivée, les équipes disposaient d’un environnement bureautique et de solutions collaboratives.
Le chiffre d’affaires s’est effondré de 60 % et tout s’est arrêté. Notre priorité a été de veiller à la santé de tous les collaborateurs. Dans les entrepôts [d’Interforum, NDLR], les équipes ont travaillé sur la base du volontariat, et nous avons veillé à recourir a minima à l’activité partielle, pour maintenir le contact avec tous nos interlocuteurs et préserver l’emploi. Durant cette période, le télétravail et la pandémie ont participé au développement de nos initiatives digitales.
Sur fond de drame sanitaire international, nous avons constaté une forte résilience à la crise, et une grande solidarité des équipes. Les modèles hiérarchiques s’estompent un peu avec le travail en visio... Cela nous a peut-être rendus plus agiles et à même de reprendre avant les autres notre premier office, le 21 mai. Le 21 mai, c’était un pari, les auteurs ont suivi : imaginer des sorties sans savoir comment les librairies reprendraient l’activité ni si les lecteurs seraient présents, c’était osé.
L’histoire nous a donné raison, le secteur de l’édition en général, et Editis en particulier, a montré son incroyable ressort avec la crise du Covid.
Dans le même temps, la librairie s’est lancée dans une reconquête du lectorat. J’ai le sentiment que de nouveaux lecteurs sont apparus durant cette période, et des libraires nous l’ont confirmé. Il est rassurant de considérer que les livres, dans toute leur diversité, ont gagné une seconde jeunesse.
Pour le second confinement, la fermeture des rayons livres des enseignes en plus de la fermeture des librairies ont été une mauvaise nouvelle. Je peux comprendre que, dans un souci d’équité, ce soit une réaction de nivellement qui ait été adoptée, mais cela a été une nouvelle crise pour l’édition et les auteurs. Cela s’est concrétisé par une nouvelle chute, malgré le click & collect généralisé, mais les coûts de ce dernier pour les libraires sont très lourds.
Désormais, nous attendons le mois de décembre, qui, l’an passé, n’a pas été très bon. Je suis assez confiante.
Le Groupe Vivendi a plaidé en novembre en faveur de la réouverture des librairies et pour la réduction des frais de port, partout où cela pouvait aider. La solution adoptée — le libraire est remboursé ultérieurement des frais, pour ramener à 0,01 € le coût d’envoi — manque de simplicité, mais c’est, une avancée dont il faut se réjouir, car expédier un livre à 10 € coûte 2 € de frais de port.
Seuls les grands opérateurs, parce qu’ils vendent autre chose que des livres, peuvent se le permettre. Il devient paradoxal d’imaginer qu’on favorise... ceux qui vendent d’autres produits.
Michèle Benbunan : Amazon vend bien plus que des livres et annonce ne pas gagner d’argent sur les ouvrages parce que les coûts d'expédition sont prohibitifs. L’esprit de la loi Lang concerne l’achat à l’unité. De manière schématique, les accords expliquent que l’on doit avoir une remise qualitative supérieure à la remise quantitative, pour ne pas désavantager celui qui vend à l’unité.
Si l’on va jusqu’au bout de cette logique, alors les frais de port ne doivent pas pénaliser les vendeurs les plus petits.
Michèle Benbunan : Ce que vous soulignez, c’est moins l’absence de changement que le petit nombre de femmes à la tête des groupes. Est-ce pire dans l’édition qu’ailleurs ? Je n’en ai pas le sentiment. Ce secteur est souvent présenté et revendiqué comme un élément à part de la culture. C’est vrai pour ses particularités avec la loi Lang entre autres, mais il est essentiel de l’inscrire encore davantage dans le monde actuel de la culture et des médias, qui lui a beaucoup changé. Est-ce d’affirmer cela qui dérange ?
On m’a aussi « reproché » de n’être pas éditrice. Selon moi, c’est plutôt un atout : on demande rarement au dirigeant d’un groupe de luxe qu’il ou elle soit styliste. Parce que précisément je ne suis pas éditrice, les équipes jouissent d’une garantie d’indépendance. Je n’ai pas à avoir d’avis éditorial : ce n’est pas mon métier. Mon avis personnel n’engage que moi.
Mon métier consiste à monter un écrin favorable aux auteurs et aux éditeurs, et à mettre le couple auteur-éditeur au centre de tout. La refonte du pôle de littérature générale du groupe va dans ce sens, avec la disparition des regroupements de maisons par pôle. Les maisons d’édition sont plus indépendantes et plus autonomes : cela a été le cas de Julliard, c’est aujourd’hui le cas de Bouquins, Seghers, Séguier & Le Cherche midi, Robert Laffont, Plon, Perrin, Presses de la Cité ou encore Belfond et Nil.
Des fonctions qui étaient mutualisées ont été « redescendues » au niveau des maisons d’édition. Les patrons des maisons d’édition en sont ravis, ceux qui étaient déjà à la tête des maisons comme les nouveaux nommés. Ces maisons sont placées sous la responsabilité du secrétaire général (Jean Spiri) et de son adjointe en charge de la Littérature (Cécile Boyer-Runge) qui coordonnent ce qui doit l’être et pilotent les dossiers transverses.
Michèle Benbunan : Donner ou non des informations aux auteurs ne se pose pas : la clarté va de pair avec la confiance. Editis proposera son outil pour les auteurs, prochainement, et qui sera connecté à l’ensemble des droits – la vente directe y compris.
Nous avons, dans l’édition, très peu de visibilité sur nos ventes à un moment précis, parce que nous dépendons de panélistes et n’avons pas en temps réel les remontées caisse. Notre propre visibilité sur les ventes se restreint, et dépend par ailleurs des retours par les points de vente, qui peuvent s’effectuer assez tard.
En regard de la presse, nous sommes en retard. Les remontées des points de vente s’y font quasiment en temps réel, sur près de 70 % des points de vente. Une telle méthodologie offrirait des leviers bien plus efficaces aux éditeurs pour la gestion de leurs stocks et des flux.
Quant au pourcentage de droits d’auteur, l’édition jeunesse est la plus sensible sur ce point, avec le partage des droits entre l’auteur et le dessinateur. Mais Editis n’est certainement pas le moins bien disant sur le sujet. La réalité est souvent plus âpre dans les petites maisons.
Michèle Benbunan : D’abord, l’entrepôt de Ballainvilliers ne nous appartient pas. Média Participations a légitimement l’envie de réintégrer les maisons le plus rapidement possible. 20 % de l’activité a déjà rejoint Média Participations. Nous avons essayé de ne pas déstabiliser les équipes dans ce contexte et cherchons la solution qui soit socialement, économiquement et industriellement la plus acceptable.
Nous espérons qu’en début d’année 2021, ce soit réglé.
crédit photo : Michèle Benbunan © Charlotte jolly de Rosnay
photo siège d'Editis : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
8 Commentaires
Dominique L.
07/12/2020 à 11:49
Les éditeurs indépendants ne sont pas prêts d'avoir une quelconque visibilité dans les médias les librairies (indépendantes !), les Prix littéraire et dans les Salons du livre!
L'édition aux mains du CAC 40, et tout va bien.
koinsky
07/12/2020 à 11:56
Il y a de l'amour du livre dans votre regard, de l'amour du livre et du goût des affaires. Un mélange détonnant. Je dirais donc : Editis = livre & business.
Dominique L.
07/12/2020 à 12:15
Nous sommes dans l'hypocrisie la plus totale. Il n'est question que de stratégie financière, de tableaux de bords de rentabilité et de dividendes reversés aux actionnaires.
Bolloré, Lagardère… de grands littéraires, comme le Qatar et lesz fonds de pension américains !
Mmmmm
08/12/2020 à 07:37
C'est amusant, car elle se revendique d'être tout à la fois : une dirigeante d'un gros groupe, avec tout ce que cela implique dans le monde moderne et donc surtout manier correctement les investissements et elle parle des auteurs, non pas une fois, mais revient perpétuellement dessus.
Les mauvaises langues diront que c'est parce qu'elle n'est pas éditeur ;-P
On note toutefois sa volonté de placer l'auteur au centre et ça, c'est nouveau.
L'avenir dira si on peut la croire. En tout cas, le discours est nouveau et ça donne de l'espoir...
Kujawski
08/12/2020 à 09:24
En parler plus souvent qu'à son tour pourrait révéler une soudaine attention portée aux auteurs (avec à l'appui le fameux "bureau des auteurs"), après des années d'obsession pour la distribution, secteur où sévit une concurrence frappadingue. Mais ce discours vise à récupérer ou attirer des auteurs que la stratégie industrielle et capitalistique d'Editis a tendance à effrayer, plus qu'elle révèle une quelconque prise de conscience à leur égard.
Il ne s'agit en fait que d'une n-ième conquête de parts de marché, et, de la part d'une cadre supérieure d'Editis, d'un discours plus politique, voire politicien, que n'importe-quelle sortie d'un secrétaire général de parti.
Mmmmm
09/12/2020 à 06:22
C'est possible : en tout cas, le discours va dans le bon sens. Laissons-lui le temps de l'appliquer. Il sera toujours temps de trancher ultérieurement.
Franz
07/12/2020 à 13:17
Bof ! Parce que les éditeurs plus petits, ceux du mythique quartier autour de la rue des Saints-Pères ont payé honnêtement leurs auteurs ? Des noms ! Des noms !
Kujawski
07/12/2020 à 16:06
"nouveaux usages, "décloisonnement global", "formats actifs", "l’auteur a de nouvelles manières d’exister", "univers médias" : la nov'langue a de beaux jours devant elle, la création repose sur son déploiement sur les nouveaux supports. Sors de ce corps, Jean-Marie Messier. Démiurge après démiurge, Vivendi reste bien Vivendi.