Le Salon Connexions, organisé par le réseau des médiathèques de la communauté d'agglomérations Evry-Centre-Essones, fut l'occasion de se rassembler autour du jeu, sous toutes ses formes et sur tous les supports. Jean Maillet, écrivain, musicien, spécialiste de l'étymologie et concepteur de jeux était présent, pour débattre et fêter le dixième anniversaire de sa propre création ludico-textuelle, Etymos.
Le 09/12/2013 à 16:54 par Antoine Oury
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09/12/2013 à 16:54
Etymos est un jeu de mots, à double sens : il s'appuie sur l'étymologie, une science qui passionne Jean Maillet depuis de nombreuses années. Pour ce jeu de plateau, il propose aux joueurs de s'affronter autour de la connaissance de la langue française, avec des questions réparties en 5 catégories. « Noms propres devenus noms communs », « étymologies surprenantes », « locutions », « français galvaudé » et « quid hoc ? », pour retrouver des mots désuets, mais classieux.
Sorti début 2003, le jeu a plutôt bien rencontré son public, et le stock est pratiquement écoulé aujourd'hui. Bernard Pivot, le « Monsieur Orthographe » médiatique, a même commandé à Jean Maillet des ouvrages pour sa série culte des « Dicos d'or »... Le jeu a également été honoré de la médaille d'or du concours Lépine, le 1er prix du salon aquitain de l'Invention, ainsi que la médaille de bronze au Mondial de l'Invention, à Paris.
Si le concept central du jeu se laisse assez facilement cerner (il s'agit d'une sorte de jeu de l'oie), les questions s'avèrent plus délicates, et demandent surtout un minimum d'attention. « Un nom qui dérive de celui d'une ville des Pyrénées-Atlantiques, bien connue pour son jambon... », lit Jean Maillet. La partie prendra fin avec la première réponse lâchée : « Bayonner ! » En réalité, le terme à trouver était « baïonnette », qui répond plutôt aux critères du terme 'nom'. Bon... C'était dimanche matin...
L'entretien fut plus concluant.
Jean Maillet, vous avez été professeur au début de votre carrière, pensez-vous que le jeu doive être associé à l'apprentissage ?
Jean Maillet : Pour moi, un jeu doit toujours avoir un côté éducatif, cela me semble évident. Même si le jeu est concentré autour de la notion de plaisir, il faut utiliser cette notion pour agrandir son horizon et avoir de plus en plus de connaissances, et muscler son esprit pour la critique.
A contrario, l'enseignement doit être ludique. J'ai été professeur d'anglais pendant 20 ans, et l'enseignement des langues, c'est évidemment une discipline particulièrement adaptée au jeu. Mes classes d'anglais, au collège ou au lycée, se transformaient souvent en scènes de théâtre, avec la création par les élèves de petites saynètes. Le professeur, dans ce cas de figure, sera un meneur de jeu, mais il faut bien entendu qu'il y participe.
Dès l'enfance, on habitue les élèves à associer apprentissage et contrainte : « Fais tes devoirs, après tu pourras t'amuser. » J'aimerais que l'on dise : « Fais tes devoirs, tu vas t'amuser. » L'enseignement devrait intégrer beaucoup plus de jeu à toutes les formes de pédagogie. Je ne vais pas rappeler d'où vient le mot travail, dérivé du latin tripalium, un instrument de torture à trois pales, mais je crois qu'exercer sa profession ou suivre son apprentissage pour le plaisir permettrait d'y aller avec plus d'enthousiasme. De plus, concentration, facultés d'analyse, de synthèse se retrouvent dans le jeu, et sont nécessaires à l'apprentissage.
Vous avez créé votre propre ensemble musical, Mensa Sonora. Avez-vous retrouvé la même notion de jeu dans l'apprentissage de la musique ? Après tout, l'expression dit bien « jouer de la musique »...
Le verbe jouer est intransitif, on joue « à la marelle », « aux jeux vidéo ». Mais, dans le cas de la musique, on joue « du violon », « du piano »... C'est un emploi différent du mot jouer, qui correspond à l'acquisition de techniques. L'idée d'activité ludique disparaît un petit peu, parce que le musicien doit en effet acquérir un savoir-faire, mais également un savoir tout court, relatif à l'histoire musicale qui l'a précédé.
Évidemment, et surtout pour l'auditeur, la musique reste un divertissement, et c'est aussi ce qu'elle est, mais je trouve que l'on a tendance à la réduire un peu trop à cette seule fonction, à mettre des « fonds sonores ». Depuis l'Antiquité et jusqu'à l'époque baroque, la musique était considérée comme un art libéral, parce qu'elle libérait l'homme de son état d'animalité.
Jean Maillet
À quoi sert l'étymologie ? Que peut-elle nous apporter ?
L'étymologie est une science humaine, elle constitue un aspect de la linguistique, avec la phonétique, la sémantique... Elle apporte une meilleure connaissance du monde qui nous entoure : une langue est un moyen d'exprimer le monde, et connaître la racine et l'évolution d'un mot permet de le rendre plus « épais » dans sa signification. C'est particulièrement parlant pour la toponymie, la science des noms de lieux.
Un exemple : la Beuvronne, la Bièvre et bien d'autres rivières sont à l'origine des rivières aux castors, qui étaient pour les Gaulois des animaux fétiches, capables de construire, de s'organiser en société. Le nom gaulois du castor étant bebros, de nombreux noms de rivière en sont dérivés, tout comme le mot anglais pour castor, beaver. Et le mot bièvre, en français, a longtemps désigné le castor. Ce que l'on trouve dans la toponymie, on peut l'étendre à toutes les formes d'étymologie.
Le mot, que l'on associe au domaine des idées, serait finalement souvent dérivé d'image, d'une expérience très pragmatique...
Effectivement, et l'évolution du mot a souvent tendance à amoindrir ce sens premier. D'ailleurs, le mot étymologie dérive du nom grec etymos, qui signifie « vrai ». C'est une des caractéristiques du genre humain que de nommer le monde qui l'entoure. Je parlais tout à l'heure des Gaulois, le premier souci de ces derniers était de nommer le monde aux alentours, c'est typiquement humain. Par ailleurs, les éléments naturels étaient alors considérés comme sacrés, et cet aspect religieux a beaucoup compté dans l'étymologie indo-européenne. Pour évoquer à nouveau des cours d'eau, la Dive ou la Divonne tirent leur nom du gaulois divos, la déesse. Quant au col du L'Autaret, il était probablement un lieu sacré où l'on faisait des sacrifices aux divinités, puisque son nom dérive directement du latin altar, l'autel.
Quel est votre avis sur les nouvelles pratiques vis-à-vis de la langue, les SMS, les tweets, l'arrivée massive d'anglicismes ?
On a longtemps craint que le SMS soit un massacre de la langue française, avec la réduction des mots, les changements d'orthographe... Mais, dès lors que l'on se rend compte qu'il s'agit d'un code, cette méthode d'écriture n'est pas plus dangereuse pour la langue que la prise rapide de notes. De son côté, le tweet est un exercice de l'esprit, en 140 caractères, qui invite à la concision. Là-dessus, je rejoins Bernard Pivot qui écrit dans Les tweets sont des chats : « Le tweet est une école de concision, qui devrait être un passage obligé pour tout étudiant en journalisme, afin d'apprendre à écrire ramassé, économique, bref, maigre, tout en étant clair, intéressant et pertinent. »
À l'inverse, je trouve dommageable l'utilisation de certains anglicismes - pour tweet, pour le coup, nous n'avons pas vraiment d'équivalents - lorsque l'équivalent français est disponible : gazouillis, eh oui. Buzz réduit celui auquel il est associé à un insecte, quand nous avons une aussi belle expression que « défrayer la chronique ».
Les échanges entre langues sont pourtant une tendance naturelle, comme le signale l'étymologie, d'ailleurs...
Oui, sauf que pendant des siècles, ces échanges se sont produits avec une francisation, ou anglicisation, selon la langue qui récupérait le terme, des mots, avec le temps. Entre le Xe et le XIVe siècle, entre Guillaume le Conquérant et la légende du Roi Arthur, il y a ainsi eu un échange énorme de la France vers l'Angleterre, notamment du langage parlé en Normandie, puisqu'il s'agit de Guillaume de Normandie. Le Français normand et picard a traversé la Manche en même temps que lui.
Beaucoup de mots commençant par w-, en anglais, sont ainsi d'origine normande et picarde. Ainsi, le mot war dérive directement de la guerre et de werre. De la même façon, le mot wages vient directement de gages, Guillaume a donné William... D'autres mots ont fait l'aller-retour, comme tunnel, qui nous est revenu sous la forme tonnelle. Ou coat, qui vient du français cote, et nous est revenu sous la forme riding coat, en donnant naissance au mot redingote. Voilà de véritables échanges.
Vous avez écrit un roman, Hypnose ou Un Silence de mort, et plusieurs nouvelles (rassemblées dans Aberrances ou les Mondes adjacents et Les Disciples). La création fait-elle nécessairement appel au jeu ?
L'écrivain créé un monde fictif dans lequel il se propose d'entraîner son lecteur. Et, pour transformer le monde réel en monde fictif, il faut utiliser un jeu de langage, pour piéger son lecteur et le faire entrer dans un monde imaginaire. Un simple mot, parfois, peut faire basculer le lecteur. Nommer, c'est créer : la religion prétend que Dieu a créé le monde en sept jours, mais qu'a-t-il fait, à part nommer ? Par le biais de jeux de langage, l'écrivain, particulièrement dans la fiction, peut piéger le lecteur.
Dans le domaine de la musique, Mensa Sonora, un ensemble de musique baroque, s'attache à faire revivre des sons disparus, par le jeu de la musique, des sons qui s'écoutent, s'interprètent, se disent, se chantent, se prononcent, et surtout s'entendent.
La communication elle-même est-elle un jeu ?
Oui, mais souvent un jeu de dupes. Toute communication suit les règles de la rhétorique, les règles du message. Comment le construire de façon à ce qu'il touche ma cible ? L'art du discours, c'est pouvoir utiliser les méthodes d'expression pour convaincre l'auditeur. Souvent, les messages sont donc des tromperies, en faisant « prendre des vessies pour des lanternes ». À ce titre, les publicitaires ont bien compris que la dimension ludique d'un message permettait de faire en sorte qu'il soit mieux accepté... Et les hommes politiques, j'ajouterais...
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