Parrain de l’opération « Mots pour maux » qui se déroulera fin février dans l’ensemble des librairies du groupement Libraires ensemble en faveur de l’association Valentin Haüy, Douglas Kennedy est revenu sur les motifs qui l’ont poussé à accepter ce rôle. L’occasion aussi de parler de son tout dernier titre, second volet des aventures d’Aurore, et de lancer un fervent plaidoyer pour les librairies indépendantes. Morceaux choisis.

Pourquoi avoir accepté d’être le parrain de l’opération “Mots pour maux” ?
Vingt-deux ans après que le diagnostic a été posé, mon fils Max, autiste, est autonome, vit seul, est photographe, diplômé d’un master. Je suis très fier de lui, c’est le plus grand travail de ma vie. Peut-être les écrivains sont-ils tous un peu autistes…
Si vous n’avez pas un enfant autiste, vous n’êtes pas un expert de la question. Le fait est que tout le monde a ses idées préconçues sur l’autisme, sur le handicap en général. La vérité est que chaque enfant est complètement atypique et différent.
Mais au-delà de tout cela, se posent des questions bien plus existentielles : qu’est-ce que la normalité ? Et si l’on est exclu, si l’on n’est pas « normal », peut-être est-on aussi plus intéressant ?
On ne vous attendait pas forcément dans le segment de la littérature jeunesse : pourquoi ce choix ?
Quand j’écris un roman, j’écris toujours à la première personne, et la chose la plus importante c’est la voix, la voix, la voix. Si on a la voix, on a le personnage principal et on a le début du trajet. J’ai commencé à réfléchir à l’écriture d’Aurore juste après La symphonie du hasard. Souvenez-vous : l’histoire commence quand Alice Burns a quinze ans, c’était donc déjà la voix d’une adolescente…
Aurore est une fille qui ne parle pas, communique avec une tablette ; j’ai choisi de lui donner 11 ans, parce que c’est après l’enfance, mais avant l’adolescence, avant la découverte de la sexualité. Comme tout le monde, elle fait face à des problèmes, et pour moi c’était très important. Mais elle se trouve à cet âge charnière, à la fois innocente et très perspicace. Les enfants voient tout et comprennent tout.
Mais pourquoi ce pouvoir magique de lire dans le regard des gens ?
Mais c’est exactement comme moi ! C’est mon truc, quand je regarde quelqu’un, j’essaye de deviner son histoire !
Est-ce un pouvoir magique ou une empathie, une écoute, une concentration plus grandes ?
La série va-t-elle se poursuivre, Aurore va-t-elle grandir ?

Le troisième tome va suivre, oui. J’espère une série, car c’est un grand plaisir et un honneur de travailler avec Joann Sfar. Quant à la faire grandir, pas pour l’instant, si elle grandissait, le ton forcément changerait…
Ce qui me paraît important est de tenter de montrer et d’expliquer pourquoi la vie est si difficile, et même si c’est un polar, avec de l’optimisme. On peut écrire un polar pour enfant en transmettant un message très positif.
Vous êtes le parrain d’une opération par un groupement de libraires indépendants, vous avez une relation privilégiée avec les libraires ? C’est important pour vous ?
C’est essentiel, essentiel ! Je suis né à New York, à Manhattan. J’expliquais l’autre jour à un ami que dans la 57e rue, il y avait pendant mon enfance et mon adolescence 14 cinémas, et deux librairies immenses, dont le Coliseum Books qui était ouvert tous les jours jusqu’à minuit. On y trouvait tous les rayons, de la philo, de la poésie, tout… Tout a disparu.
Ce sont maintenant des banques, des pharmacies, la mondialisation est passée par là. New York était une grande ville littéraire ; il reste 5 librairies indépendantes à Manhattan, c’est une catastrophe. Et c’est très révélateur de notre époque, alors que les librairies indépendantes pour moi sont essentielles. Je suis obsédé par un mot : l’éducation, et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’ai écrit Aurore. L’éducation est la clé de tout.
C’est le prix unique en France qui a sauvé les libraires. En Angleterre, ce sont les éditeurs qui ont lancé une campagne contre le prix unique, le résultat a été désastreux.
Je racontais cette histoire à quelqu’un, parce que je refuse de prendre un café chez Starbucks, parce que d’une part le café a un goût horrible, et d’autre part c’est Starbucks, le MacDo du café. Imaginez : une famille de 4 personnes arrive, 2 capucinos pour les adultes, 2 chocolats pour les enfants, 2 muffins. Résultat ? 25-26 euros. Un livre c’est 17 euros, sans même parler du prix d’un poche ! Franchement, les livres ne coutent pas très cher ! Pourquoi a-t-on dévalué le livre ? C’est une catastrophe !
Et puis, comme tout le monde, j’ai un portable, mais créer une nouvelle génération de lecteurs et lectrices qui ne sont pas en face de leurs écrans me paraît essentiel.
Au final, c’est une question de civilisation, fondamentalement !
Président du réseau Libraires ensemble.