EDITO – « Nous ne sommes pas populaires sans raison », bramait la réclame d'une banque dans les années 90. À l’ère des influenceurs, que vaut ce slogan, sinon pour la jolie punchline, facile à rentrer dans le crâne ? On lui opposerait volontiers Hugo : être nécessaire, plutôt que populaire. Et dans une époque de machine, où se retrouve le peuple, dans cette popularité ?

I'm head of the class
I'm popular
I'm a quarterback
I'm popular
My mom says I'm a catch
I'm popular
I'm never last picked
I got a cheerleading chick
Nada Surf - Popular
C’est l’histoire d’un écrivain qui ne vendait pas un livre, pas un seul — et cet état de fait ne découlait ni de son éditeur ni de la qualité de ses œuvres. La faute à pas de chance. Sorte de chat noir littéraire, il avait fini par se résigner à ce que ses mots s’impriment, s’exportent sur les tables de librairies et les cyberétals, pour déboucher sur le recyclage. Au commencement était le verbe ; en fin de parcours, le pilon. I'm popular
I'm a quarterback
I'm popular
My mom says I'm a catch
I'm popular
I'm never last picked
I got a cheerleading chick
Nada Surf - Popular
Aucun lecteur, quelle tragédie ! Fallait-il du courage pour reprendre le chemin du clavier, imaginer scènes, êtres ou destins, qui ne rencontreraient aucun lecteur ?
Heureusement, l'auteur vivait au temps des machines, des robots, de l’intelligence artificielle galopante — donc, des bots, ces logiciels automatisés, susceptibles d’interagir primitivement, avec l’illusion du réel. Bot, aphérèse de Robot. Voici qui était si littéraire…
« Il est venu le temps des influenceurs », braillait le loup Garou, ces personnalités montées en épingle par des réseaux d’algorithmes, qualifiés de sociaux pour tromper la vigilance : l'auteur allait ici trouver sa place. Il deviendrait populaire. Et tant pis pour ses livres : il importait surtout de conquérir le public, de rallier des foules en liesse à sa parole. D’être écouté, liké, raillé, trollé, à défaut d’être lu.
Et si ses personnages écopaient d’un cimetière cybermarin, au moins bénéficieraient-ils d’une postérité dans les puces de milliers d’utilisateurs. Un peu d’électricité, quelques composants dont la bonne volonté était par avance acquise, du silicium en quantité : avait-on même besoin que cette audience soit de chair et de sang ? Demande-t-on à un sex-toy autre chose que de présenter une alternative ?
Il aurait, en guise de courtisans, une horde de bots, ni veules, ni vifs, dévoués codes et RAM à sa gloire éphémère. Des lecteurs factices, sans avis, sans pensée, soucieux uniquement de réagir aux propos du maître. Qui commenteront, interviendront, animeront, comme s’ils étaient doués de pensée — quand bien même ils incarneraient plus l’artificiel que l’intelligence.
Notre auteur tenait sa voie, puisque sa vocation souffrait d’extinction…
Édito inspiré du papier de Wired, sur le réseau Botnet, application iOS ou Android inutile (donc indispensable), composée strictement de bots qui commentent et likent par centaines de milliers, la moindre publication.
Sur le réseau Botnet, le seul humain est l’utilisateur : l’audience se compose d’IA primitives et rudimentaires, qui jaillissent en diables de leur boîte, au moindre message. Avec pour slogan : « Vous êtes célèbre, sur Botnet. »
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