Alors que la saison des prix littéraires est désormais bien avancée, un état des lieux permet de réaliser un constat sinon déplorable, du moins troublant. Passant en revue quinze sélections de prix littéraires, ActuaLitté a pu découvrir que l’on comptait 112 ouvrages d’hommes, contre 76 de femmes.

On avait déjà la preuve d’un sexisme terrifiant dans le monde du Nobel de littérature : en 2011, s’établissait le constat que seules 12 femmes avaient été récompensées contre 93 hommes. D’ailleurs, cette même année, le Goncourt avait retenu 15 ouvrages d’hommes pour 3 de femmes… Pas brillant brillant…
C’est en découvrant la liste, pour le coup accablante, de la sélection BD opérée par la Fnac et France inter que certains ont commencé à voir rouge :
Dites @antoinedecaunes @Fnac et @franceinter , une seule AUTRICE de bande dessinée nommée parmi tous ces auteurs hommes ?
— Christelle (@sewarde) October 17, 2019
Cela fait bien peu !!!! #collectifdescreatricesdebdcontrelesexisme #prixFnac #PrixFnacBd #bandedessinee #bd https://t.co/jfWaLlrBJ9
« 20 albums de bande dessinée sélectionnés et une seule autrice dans tous ces noms. Alors que la profession s’est féminisée largement depuis quelques années. Voilà comment on représente la bande dessinée aujourd’hui. C’est lamentable », relève Christelle Pécout, du comité de pilotage du SNAC BD.
Si cette récompense frappe très fort, un relevé attentif des sélections opérées par des Renaudot, Interallié ou autres Goncourt et Médecis, fait encore plus mal.

Chez les quatre grands prix de l’automne, seul le Femina parvient à une égalité de traitement, avec 8 romans de femmes et 8 d’hommes retenus. Le Goncourt en propose 7 et 8, mais chez le Renaudot, on tombe à 5 romans de femmes contre 11 d’hommes, et 3 de femmes pour 11 d’hommes dans l’Interallié.
A contrario, le Prix du Premier roman réalise presque un exploit en ayant, pour sa première sélection, retenu 3 ouvrages d’hommes, contre 10 de femmes. « Dans la deuxième et dernière sélection, il n’y a plus que des femmes... », indique par ailleurs Gérard de Cortanze, président du Prix du premier Roman.
Et de poursuivre : « Le jury du prix du premier roman choisit les livres qu’il ne sélectionne ni en fonction du sexe des auteurs ni en fonction des éditeurs. Il se trouve que ne restent plus sur notre liste que des livres écrits, selon le choix de chacun, par des auteures, des autrices ou des auteurs.... beaucoup sont remarquables. On peut déjà annoncer que les vainqueures — ou, comme la langue française est riche : vainqueresses, vainqueuses, victrices — des catégories roman français et roman étrangers seront deux femmes. »
Au bout du compte, sur les 188 romans retenus par les prix de la rentrée pris en compte, seuls 76 sont écrits par des femmes, soit tout juste 40 %.
« Évidemment, à regarder ce tableau, c’est un carnage, avec une énorme disparité. Logique qu’en définitive, les femmes soient les grandes lésées des prix littéraires », déplore un observateur. Un des éléments critiques, d’ailleurs, que la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse avait pointé dans son plan d’action Égalité présenté en mai 2018. « Parce que la littérature jeunesse est un milieu féminisé, le premier réflexe est de le penser épargné par le sexisme. Il n’en est rien. Les chiffres que nous découvrons sur les différences de rémunération entre auteurs et autrices jeunesse, le manque de représentation dans les prix littéraires, les femmes identifiées comme ayant moins accès aux bourses de création... », insistait Samantha Bailly, alors présidente de la Charte.
Quels livres envoyés aux jurés ?
Interrogé par ActuaLitté, Guillaume Nail, actuel président de la Charte, rebondit sur ces données : « Ce constat s’opère également dans le monde de la littérature jeunesse, et bien entendu, nous déplorons le manque de transparence en amont. »
En effet, insiste-t-il, « il serait certainement significatif, pour mieux comprendre ces disparités, de savoir quelles sont les sélections réalisées par les maisons d’édition, qui soumettent leurs ouvrages aux prix littéraires. Existe-t-il une discrimination qui aboutit à ce que ces prestigieuses récompenses ne retiennent qu’une immense majorité d’ouvrages écrits par des hommes ? »
Le constat s’opère année après année, la presse s’en faisant régulièrement l’écho. Anne-Marie Garat, membre du prix Femina et lauréate elle-même de la récompense, le soulignait d’ailleurs chez France Culture en évoquant les rencontres de programmes littéraires.
« C’est à “l’insu de leur plein gré”, sûrement ! Il y a quelque chose de tellement ridicule lorsqu’on fait un pas en arrière et qu’on regarde ces statistiques et ce qu’elles trahissent. [rires] Ils devraient avoir honte. Il y a quelque chose quand même de notre culture, de notre civilisation, de notre société, qui ne fonctionne pas bien ! C’est l’homme blanc quinquagénaire qui règne en maître dans les jurys comme ailleurs. »
L’exemple du Femina 2019, loin d’être à brandir comme un absolu, montre qu’il est au moins possible d’inverser les tendances, décriées depuis des lustres.