Dans une tribune publiée dans l’Obs, les écrivains Sophie Divry et Aurélien Delsaux reviennent sur l’affaire Matzneff et les liens qu’entretenait l’écrivain pédophile avec certains des jurés. Un an après la polémique, force est de constater que peu de choses ont changé, se pose alors la question légitime : « Pourquoi dans le milieu littéraire, rien ne se passe ? »
L’onde de choc qu’a été l’affaire Matzneff n’en finit pas de se propager. L’année dernière, suite à la publication du Consentement de Vanessa Springora, le jury du Renaudot, s’était trouvé bien embarrassé. Le prestigieux prix avait en effet récompensé l’écrivain en 2013, une décision qui s’apparentait, selon certains, à un cadeau amical de la part président du président du jury Christian Giudicelli.
Suite à la polémique, Jérome Garcin, alors juré du prix, avait rapidement démissionné et le prix Nobel de littérature Jean-Marie Gustave Le Clézio annonçait également son départ. Mais malgré ces secousses, le prix et son endogamie ont tenu bon : Marie-Hélène Lafon et Dominique Fortier étant récompensées cette année par un jury quasi identique — Le Clézio lui-même, toujours assis sur son siège semble avoir oublié ses velléités militantes.
Une situation intenable pour Sophie Divry et Aurélien Delsaux, qui signent une tribune à charge dans l’Obs — journal dont les pages cultures sont, rappelons-le tout de même, dirigées par un certain Jérome Garcin. Les deux écrivains viennent dénoncer un milieu littéraire où tout se sait et rien ne se dit, et ce pour une raison très simple :
« Et quoi ! Il faut faire vendre des livres ! Le Renaudot avoisine les 200.000 exemplaires vendus. Les pédophiles-friendly du jury l’ont bien compris. Ils ont le pouvoir de faire vendre. Ils se croient intouchables. »
Cette tribune n’est pas le premier coup de boutoir médiatique à voir le jour ces derniers temps. À l’approche de la remise du prix, plusieurs articles, en France comme à l’international, ont fleuri pour venir dénoncer la solidarité à toute épreuve du jury germanopratin.
Fin novembre, le New York Times, rien que ça, publiait un papier titré « Malgré l’affaire Matzneff, le milieu littéraire reste muré dans l’entre-soi », un article qui revenait sur la facilité qu’ont les membres des institutions à soutenir les Matzneff ou Polanski.
Le lendemain, Le Monde qualifiait la récompense de « prix d’ami » et soulignait la proximité des membres du jury. Enfin, lundi dernier un article de l’Obs n’hésitait pas à parler de prix empoisonné pour le Renaudot, gageant que le bandeau rouge n’aurait peut être pas un effet bénéfique sur les ventes et l’image des lauréats. C'est toutefois accorder beaucuop de crédit à la connaissance que les lecteurs peuvent avoir des péripéties germinopratines...
La publication du Consentement et son retentissement avaient de quoi faire espérer la naissance d’un mouvement de plus grande ampleur, qui viendrait changer en profondeur le milieu littéraire. Un an plus tard, le Renaudot et son indéboulonnable jury font office d’insulte à cette volonté de lendemains meilleurs. Et les deux signataires de la tribune n’y vont pas avec le dos de la cuillère.
« Le spectacle des prix littéraires d’automne est atteint depuis des décennies par la triple plaie du parisianisme, de la gérontocratie et du patriarcat. »
Sophie Divry et Aurélien Delsaux restent lucides sur le caractère inoffensif du texte seul, et ne souhaitent pas lancer une pétition. IIs en appellent aux auteurs, éditeurs et libraires, pour que les choses changent, enfin : « Nous disons que nous ne sommes pas entrés en littérature pour patauger dans la fange. Nous disons que les 9 jurés du Renaudot actuels sont la lie de l’édition. Il faut qu’ils démissionnent. »
Crédit photo : Hotel du vin CC BY-ND 2.0
6 Commentaires
NAUWELAERS
04/12/2020 à 18:56
Grosse erreur factuelle !
Le jury Renaudot...ne s'est pas du tout trouvé embarrassé l'an passé suite à la publication du livre de Springora «Le Consentement»...paru seulement le 2 janvier 2020 !
Ceci précisé sans prise de position, n'ayant pas la compétence pour le faire (on a accusé moult autres prix littéraires de petits arrangements, avec les éditions «Galligrasseuil» pour ceux qui s'en souviennent !).
Il est un fait que l'affaire Matzneff/Springora (de là, le cas Matzneff en général) est un énorme pavé dans la mare littéraire mais tout le monde n'est pas éclaboussé, semble-t-il...
Mais présentons les faits tels qu'ils sont, s'il vous plaît: pas encore de livre de cette auteure et éditrice en 2019,merci...
Donc zéro polémique en 2019 autour du Renaudot: on se rattrape maintenant !
CHRISTIAN NAUWELAERS
Germain Parigot
05/12/2020 à 07:24
Qui est Christian Giudicelli ?
Compagnon de virée de Matzneff, il avoue lui-même l'avoir accompagné à Manille pour avoir des relations sexuelles (traduire : violer, puisqu'il s'agit de prostitution enfantine) sur mineure...
C'est ensuite le président du jury qui a refilé le prix à son petit copain.
Comment voulez-vous ensuite que l'édition n'en sorte pas éclaboussée ? Surtout qu'on pourrait comprendre une erreur, suivi d'une correction. Mais là, on est en plein dans le déni...
NAUWELAERS
05/12/2020 à 11:46
Je vous suis tout à fait sur ce point (Giudicelli), rassurez-vous, monsieur Parigot.
Et je suis écoeuré par le comportement de Matzneff.
Mais dans cette tribune on parle de «fange», d'hommes blancs et vieux...
Ce qui va plus loin que le cas de Giudicelli (qui LUI devrait démissionner: tout à fait d'accord, il est impliqué de façon factuelle, solidaire de GM dans ses écrits bien peu lus d'ailleurs).
On n'a pas à jeter l'opprobre comme un justicier-en solo ou en duo- sur toute une catégorie d'écrivains blancs et seniors...et au-delà, de la population.
Cela s'appelle: jeter le bébé avec l'eau du bain.
Ou: généralisation abusive.
Il y a l'affirmation du duo selon laquelle les jurés ne lisent pas les livres: cela s'appelle vouloir trop en faire car qu'en sait-il, le duo ?
«Qui trop embrasse mal étreint»...
Cette affirmation est gratuite et non prouvable.
Il y a un certain ton dérangeant dans cette tribune même si je comprends qu'il faille absolument des changements.
Les commentaires que je lis sur le web sont principalement négatifs: il faut veiller à ce que l'argumentaire ne soit pas tel qu'il en devienne un peu contre-productif...
Et une remarque: on se fout de la qualité du nouveau prix Renaudot...car non lu certainement !
Ce prix est totalement dévalué dans les faits et le gagner en 2020 est infiniment moins valorisant qu'il y a peu.
On parle dans la tribune de «faire vendre des livres»...
Même avec son prix Renaudot (qu'il n'aurait jamais dû obtenir !), Matzneff ne vendait pas !
Vous voyez, moi je pense qu'il faut toujours examiner les choses avec un minimum de recul et de distance pour essayer -essayer ! -d'avoir une certaine justesse de vue, autant que possible.
Cette tribune a des côtés maladroits et injustes mais il est évident que des changements doivent intervenir.
Sans racisme sociologique implicite mais clair et sans séparatisme: on n'en peut plus et on ne doit pas l'accepter, quelles que soient les pressions.
CHRISTIAN NAUWELAERS
A.D.
07/12/2020 à 16:41
Précision : le texte a d'abord été publié sur le blog lesmonstres.org
Puis l'Obs a proposé de le relayer sur nouvelobs.com
Eve
08/12/2020 à 14:55
Sans entrer dans la polémique du fond de l'article, je demande juste aux journalistes, surtout d'un magazine littéraire, de bien vouloir relire leurs articles avant de les publier pour corriger les fautes de frappe. Juste quelques secondes de plus pour respecter la langue française et surtout les lecteurs. Merci d'avance.
Regis Portal
22/12/2020 à 16:24
Aurelien Delsaux ! Sophie Divry ! Un peu de solidarité que diable ! Pensez donc à cette pauvre Marie Hélène Lafont qui va enfin vendre quelques livres avec son histoire sur les mains calleuses des paysans. Je sais bien que vous vous auriez refusé le prix, au panache, mais bon, en ces temps difficiles vous devriez plutôt demander à un soufreteux du Covid d'aller cracher sur la poignée de la porte de Matzneff, non ? Ça vous permettrait d'un peu moins passer pour des donneurs de leçon.