Chaque année depuis 2008, le Prix de l'Inaperçu est destiné à récompenser deux livres des rentrées précédentes n'ayant pas bénéficié de suffisamment de visibilité dans les médias traditionnels. Pour cette édition 2015, les lauréats sont les romanciers Michel Goussu et Lutz Seiler.
Le 04/06/2015 à 16:02 par Clémence Chouvelon
Publié le :
04/06/2015 à 16:02
Michel Goussu a été primé pour Le Poisson pourrit par la tête, aux éditions Le Castor Astral, pour la catégorie Francophone :
Le poisson pourrit par la tête est une plongée dans l’univers de l’entreprise, où l’arbitraire des procédures kafkaïennes fait naître des situations absurdes, parfois tragiques, souvent empreintes d'une poésie décalée. Si la souffrance au travail s’est trop largement imposée en ces temps de crise et d’idéologie néomanagériale, elle est toutefois peu présente dans la littérature contemporaine. Michel Goussu nous y plonge à travers un récit initiatique à la fois poignant et plein d’humour. Son regard acéré ne laisse passer aucun des détails où se niche le diable néolibéral, mais son style, vif et imagé, permet au lecteur de s’attacher à des personnages touchants, victimes ou bourreaux, souvent les deux, et de suivre leur évolution au fil d'un récit qui évite le piège du pamphlet pour accéder à une véritable dimension romanesque. Avenir Futur pourrait être votre entreprise. Ses salariés ne sont pas des traders cyniques et glamours, mais des ingénieurs, des chargés de projet, des petites mains qui font tourner la boutique : vous et moi. Et la souffrance au travail, cinq jours sur sept et au-delà. Propagée par les managers et les dirigeants comme un virus par des porteurs sains, cette épidémie de burn-out est devenue un enjeu de santé publique. Le poisson pourrit par la tête dépasse le tabou et décrit de l’intérieur le quotidien absurde d’un cadre de la finance ordinaire. Chacun élabore une stratégie de guérilla taoïste contre les procédures irréelles d’une hiérarchie dépassée. Michel Goussu décrit avec un humour tendrement désabusé des personnages perdus, alternativement victimes et bourreaux, mais toujours en quête de reconnaissance et de rédemption.
Quant à Lutz Seiler, il est récompensé pour Le Poids du temps, traduit de l'allemand par Uta Müller et Denis Denjean, aux éditions Verdier, dans la catégorie Étranger :
Les nouvelles de Lutz Seiler, dont une bonne moitié relèvent de l’autofiction, ont toutes pour toile de fond l’Allemagne de l’Est où l’auteur a grandi, et dont il restitue l’atmosphère avec un art de la narration exceptionnel. Ses héros sont issus comme lui-même de cette classe ouvrière censée être l’objet de toutes les attentions du régime, mais dont le quotidien restait inévitablement banal, avec ses joies et ses misères cachées. Les mots qui n’ont pas été dits, ceux qui l’ont été mais qu’on a mal interprétés ou qui sont restés incompréhensibles, et aussi les oublis et les négligences en tous genres, les coups de téléphone donnés trop tard, les bonnes intentions non suivies d’effet, sont au cœur de ces nouvelles qui disent comment, dès l’enfance, toute destinée se charge de culpabilité. Comment le temps, la plus immatérielle des choses, pèse sur les épaules des êtres, dont même la force apparente cache toujours une irrémédiable fragilité.
Les deux ouvrages se sont distingués parmi d'autres nominés, dont Amara Lakhous pour Querelle autour d'un petit cochon italianissime à San Salvario chez Actes Sud, Anatomie d'une nuit d'Anna Kim aux éditions Jacqueline Chambon, Prime-time de Jay Martel, aux éditions Super 8, Je ne suis pas une garce de Liu Zhenyun aux éditions Gallimard, L'Affaire des Vivants de Christian Chavassieux, aux éditions Phébus, Sous les couvertures de Bertrant Guillot aux éditions Rue Fromentin et L'infini livre de Noëlle Revaz aux éditions Zoé.
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