« Le ministre de l’Intérieur, Monsieur Collomb, fait payer aux festivals de France et de Navarre, le remboursement de frais de sécurité de plus en plus hallucinants en termes de montants ! » L’indignation de Jack Lang était à la mesure d’une terrible réalité : aujourd’hui, la sécurité d’une manifestation coûte. Cher. Parfois au point de plomber les finances...
Le 04/07/2018 à 16:56 par Nicolas Gary
Publié le :
04/07/2018 à 16:56
FIBD d’Angoulême
Le sujet qu’évoquait l’ex-ministre de la Culture portait avant tout sur les manifestations musicales et spécifiquement les Eurockéennes. Et pourtant, la réalité est bien là. Policiers et gendarmes, mis à disposition des organisateurs d’événements pour garantir la sécurité, se retrouvent en effet facturés. Charge aux festivals de rembourser ce que l’État leur fournit.
« Parfois, c’est supportable, pour d’autres, c’est la mort. Et même pour ceux qui résistent [i.E. Les Eurockéenes] c’est, paraît-il, je n’arrive même pas à le croire, 800 % d’augmentation des dépenses de sécurité. Je ne comprends pas que Gérard Collomb, qui a été un bon maire pour la Culture [à Lyon, NdR], soit un aussi désastreux ministre de l’Intérieur, pour les Arts. »
Tout part d’une circulaire, qu’il faut « modifier absolument, et tenir compte de la réalité économique et culturelle », concluait Jack Lang au micro de France Inter.
Directeur des Eurockéennes, Jean-Paul Roland a par la suite confirmé dans la presse les coûts en matière de sécurité, passant de 30.000 € à 254.000 €. Or, si le ton monte à Belfort, voilà un moment que les manifestations littéraires font grise mine.
Le directeur de Lire en poche, organisé par la ville de Gradignan (Gironde), Lionel Destremau, avait tiré la sonnette d’alarme l’an passé dans nos colonnes : les coûts de sécurité imposés aux manifestations deviennent difficile à soutenir. Le président du Centre national du livre, Vincent Monadé, proposait à l’époque une idée frappée du bon sens : que les manifestations littéraires puissent alors bénéficier du fonds de soutien mis en place après les attentats du 13 novembre – or, problème, ce dernier est réservé au spectacle vivant.
« Je plaide officiellement pour que les festivals littéraires puissent accéder à ce fonds, ou à défaut qu’ils bénéficient de leur fonds propre : la sécurité n’est pas moins importante dans les salles de concert qu’à l’occasion d’un salon du livre », indiquait le président du CNL.
Pour des salons comme Montreuil, dédié à la jeunesse ou Brive, les coûts de la sécurité sont de 80.000 €. Pour Angoulême, l’année ayant suivi les attentats, on évoquait 90.000 €. Or, si la sécurité représente un enjeu « vital et évident, force est de constater la rupture d’égalité entre les arts vivants et la littérature », concluait Vincent Monadé.
Entre temps, le fonds d’urgence que Bernard Cazeneuve avait mis en place en 2016 est vide — les 15 millions € ont été épuisés, et, cette année, seuls 4 millions sont proposés. En 2019, le fonds disparaîtra tout bonnement.
D’autant qu’est venue se greffer depuis la vilaine « circulaire Collomb », datée du 15 mai dernier. Cette dernière instaure bel et bien des critères des remboursements des services d’ordre, suivant différents critères. Comble du cynisme, un petit dessin explicatif détaille le « périmètre missionnel remboursable ».
Et, Audiard s’en tordrait de rire, des pénalités de retard et défaut de paiement sont prévues...
L’autre réalité, que l’on ne doit pas oublier, remonte à 2015 : à cette époque, la préfecture de Paris avait déjà mis en place des modèles de facturation pour certaines manifestations. On parle bien de coûts liés à la présence de forces de police — de gendarmerie, plus précisément.
Mais qu’est-ce à dire ? Que les organisateurs de manifestations ne sont pas pleinement conscients des besoins de protection pour les personnes et les biens ? Voilà qui ferait grincer des dents. Il semble pourtant que dans les différents festivals, depuis des années, sont mises en place des politiques de sécurité pour protéger les festivaliers — même contre eux mêmes.
Reste qu’après les attentats de novembre 2015, de nouvelles mesures de protection furent requises. « Elles ont été mises en place et imposées par l’État, ce que l’on comprend très bien », indique une organisatrice de salon. Mais avec des coûts qui, déjà, pouvaient donner le vertige. « Entre 50.000 et 350.000 € pour des manifestations littéraires, au sortir des attentats : cela impliquait des portiques de sécurité, et un renforcement du nombre d’agents », poursuit-elle.
Tout cela prenant place dans l’enceinte du périmètre couvert par la manifestation. « Nous faisons tout pour protéger la zone que nous occupons », indique Bertrand Morisset, patron de l’agence Tome 2. « Sauf qu’après 2015, nous avons vu fleurir une présence policière, que M. Cazeneuve imposait avec des coûts pour les organisateurs. »
Une facturation portant sur la présence de gendarmes, de CRS ou de véhicules, « qui n’étaient nullement demandés ». Un comble, soudainement. Et un paradoxe : quand les forces de l’ordre étaient dédiées à la protection d’un politique en déplacement, lors d’une manifestation, pas de facturation. Autrement dit Alain Juppé vient dédicacer, et zou, la police est mobilisée, sans que cela ne coûte aux organisateurs. Juste après son départ, des policiers demeurent pour assurer la protection du public, et là, facture.
Le livre sur la place, Nancy
« Il est tout de même étonnant que les forces de l’ordre, dont le financement découle de l’argent public, deviennent une force de milice que le gouvernement facture aux festivals », relève l’organisatrice d’une manifestation de province. Pire : « La police, dont le ministère de tutelle est celui de l’Intérieur, ne discute pas les tarifs, envoie un devis, et facture », poursuit Bertrand Morisset.
À ce titre, « Jack Lang a dit la vérité, comme il sait si bien le faire : les festivals artistiques sont devenus la vache à lait de l’État ». Surtout que toute manifestation est auditée par une commission sécurité qui dépend de la préfecture, et sans l’accord de laquelle rien ne peut se tenir. « Payer la maréchaussée dont c’est le métier que de garantir la protection des citoyens, c’est une double peine, pour nous, organisateurs, de même que pour le contribuable — puisque ses impôts servent bien souvent à l’organisation desdits festivals », conclut Bertrand Morisset.
Lionel Destremau, de Lire en poche, organisée par la commune de Gradignan, relève que la musique est tout de même bien plus sujette à ces problématiques sécuritaires que les festivals littéraires. « Pour une bonne part des salons et festivals autour du livre, les problématiques sont soit plus réduites (espaces clos type salon du livre de Paris, Montreuil, etc.), ou en plein centre-ville (présence d’une police municipale qui allège les besoins en gendarmerie ou en police nationale), ou dans notre cas par exemple avec un périmètre assez circonscrit », indique-t-il à ActuaLitté.
Un surcoût probablement moindre, donc, mais depuis deux à trois ans, les surcoûts techniques ont surgi : barrières, plots anti-véhicules, ou encore agents de sécurité... Rien de tout cela ne passe désormais en variable budgétaire anodine.
Lire en poche, Gradignan
« La problématique est aussi une question d’anticipation budgétaire, puisque selon l’actualité du moment (attentats ou autres), les conditions de sécurité imposées par la Préfecture peuvent changer du jour au lendemain (pour notre exemple, la demande de portails de détection de métal reçue 4 jours avant le salon l’an dernier). Et l’augmentation qui en découle sur la durée (quand de nouvelles mesures de sécurité sont prises, on ne revient plus en arrière avec un assouplissement possible desdites mesures...). »
Quand les manifestations découlent de collectivités publiques, les municipalités peuvent pallier les dépenses supplémentaires — c’est après tout la mission de polices municipales. « Sauf que dans le cas d’association, cela rogne sur d’autres budgets : artistiques, programmation, invitation d’auteurs, ou communication », relève Bertrand Morisset. « Bien souvent, ces manifestations sont gratuites, ou alors le coût d’entrée ne permet absolument pas de compenser ces dépenses que l’État impose. »
La directive Collomb ne plaît donc à personne : la difficulté à trouver des sponsors, les périodes de vache maigre pour les subventions publiques... nombre de problématiques se posent.
« Comme d’habitude, l’État engage à aller chercher du côté du mécénat privé ou du crowdfunding les solutions financières... alors que nous savons tous que cela a ses limites. Le mécénat se tourne essentiellement vers le social ou le sport, peu sur la culture, et quand c’est le cas, c’est en premier lieu vers du spectacle vivant où l’image des partenaires pourra être la plus visible, rarement vers le monde du livre... », déplore Lionel Destremau.
photos ActuaLitté, CC BY SA 2.0
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