Livre Paris s'est annulé, offrant aux éditeurs des solutions de remboursement très attendues. À Angoulême, le Festival de la BD décidait récemment de ne pas maintenir son événement de juin. Pourtant, le groupe Le Monde, piloté par Louis Dreyfus, projette de bâtir un salon littéraire, à La Villette. Les publications du groupe, Télérama et Le Nouvel Obs y sont associées, avec France Inter. Le tout, du 4 au 6 juin. Le ciel leur serait-il tombé sur la tête ?
Le 07/04/2021 à 09:30 par Nicolas Gary
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Publié le :
07/04/2021 à 09:30
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« Une volonté commune de se réunir autour de la littérature et de la bande dessinée », annonce MOT pour MOTS — MOT pour Le Monde, L’Obs et Telerama. Avec France Inter, on en deviendrait éMOTIF…
Les trois responsables des rubriques, Jean Birnbaum pour Le Monde, Jérôme Garcin pour L’Obs et Fabienne Pascaud pour Télérama n’en démordent pas : dans leur présentation du projet, ils réaffirment l’engagement de leurs médias respectifs pour le livre et la lecture. Et de cette fédération, au sein du même groupe de presse, est donc né le salon.
Salon, et non festival, comme le laissent comprendre les tarifs proposés. L’événement se concentrera sur trois jours à Paris, et simultanément, dans 250 librairies, avec le concours du Syndicat de la Librairie Française. De quoi rassembler toute la filière — éditeurs et libraires, indique la présentation officielle. L’entrée sera gratuite, au sein de la Halle Nord de La Villette.
Au menu, 40 discussions thématiques, avec auteurs de BD et de romans. Des stands éditeurs, pour les dédicaces, ainsi qu’un studio radio – le partenariat avec France Inter facilite les choses. Laurence Bloch, directrice de la station le souligne : « La rencontre entre un auteur et ses lecteurs est une alchimie subtile, magique, puissante, loin des déterminismes sociologiques ou identitaires. Il n’y est question que de liberté, d’affinité, d’émancipation et de passion. Elle est du même ordre pour la Radio et ses auditeurs, et c’est la raison pour laquelle la Radio et le Livre vont si bien ensemble se nourrissant et s’épaulant l’une l’autre. »
Évidemment, le tout s’accompagne d’un site internet consacré à cette édition, avec un programme, des captations, et des inscriptions pour le public. Un tiré à part complète l’offre éditoriale et commerciale. Pour un exposant, compter entre 15 et 27.000 € pour un espace de 18 à 36 m2. Des offres commerciales complémentaires, entre 20 et 50.000 €, permettent d’accroître son engagement et son investissement.
Les quatre médias visent ainsi la création d’un événement littéraire pérenne, visant « la promotion de la filière de l’édition et du livre », mais également, par l’intervention des librairies, de couvrir un maillage territorial plus large.
Contactée, Laurence Zimmermann-Malka, Commissaire générale du salon, et responsable des salons pour le groupe Le Monde, a conscience des annulations en cascade officialisée par les grands événements.
« Nous sommes bien plus humbles : ce ne sera ni le salon Livre Paris ni celui de la BD d’Angoulême. Nous souhaitons le baser avant tout sur des rencontres littéraires. » Et d’ajouter : « Nous nous basons sur notre optimisme, pour préparer l’événement. On espère, après les promesses du président Macron de ces derniers jours, qu’il sera possible de jouer sur la réouverture progressive annoncée pour la mi-mai. »
Lors de son allocution, le locataire de l’Élysée nous a bien précisé que seuls certains lieux culturels retrouveraient une activité. Et encore, suivant l’agenda progressif qui doit être établi entre la mi-mai et le début de l’été. Et ce 2 avril, devant l’Hôtel de Ville de Paris, une manifestation réunissant artistes, professionnels du spectacle et organisations syndicales dénonçait déjà des paroles, paroles, paroles…
La Villette propose plusieurs zones d’exposition, avec des jauges qui ne seront pas très importantes, précise-t-elle. « C’est aussi l’occasion de partager l’événement avec des librairies dans toute la France. Comme elles ont obtenu de rester ouvertes, cela poussera un écho au niveau régional. »
Selon le président du directoire, Louis Dreyfus, ce sont bien 250 librairies qui participeront à l’engouement. Le Syndicat de la Librairie Française nous indique avoir été sollicité par Le Monde afin d’associer « les librairies indépendantes à cette manifestation [...]. Le SLF relaie donc la manifestation auprès des libraires. » Les trois médias disposent d’un public qui « recoupe en large partie la clientèle des librairies ». En outre, « ce choix du Monde prolonge le soutien qu’il a apporté aux librairies indépendantes durant la crise de 2020 grâce à la mise à disposition gracieuse d’espaces pour la campagne de communication en faveur des librairies indépendantes ».
Mais pas plus d’explications, ni sur l’investissement du SLF ou le nombre de librairies engagées. D’ailleurs, plusieurs libraires membres nous assurent « n’avoir pas vu passer du tout l’information. Et puis, pour faire quoi dans les librairies ? Certes, nous sommes ouverts, mais tout ce qui relève des animations s’opère dans des formats plus que réduits » ! Et ce, même si « le miracle de la librairie se poursuit », avec des ventes pour le mois de mars 2021 qui se présentent meilleures encore qu’en mars 2019.
Difficile de savoir sur quoi reposent donc les éléments communiqués par le président du Directoire à ses équipes.
Début avril, « nous avons reçu des retours assez favorables de structures éditoriales », poursuivait Laurence Zimmermann-Malka. Plusieurs maisons nous confirment avoir en effet reçu le dossier de présentation, mais avec un certain scepticisme. « Nos éditeurs semblent assez réservés vu le contexte sanitaire, le format relativement classique et le budget », nous assure une responsable de communication.
« Le monde de l’édition ne veut plus de manifestation avec des stands, à l’image de Livre Paris à la Porte de Versailles. Pourquoi s’engouffrerait-il à La Villette pour acheter des stands », confirme un observateur.
On sait en effet que le Syndicat national de l’édition, qui avait eu le privilège d’une présentation spéciale, planche sur une révision en profondeur de son événement Livre Paris. « Il ne faut pas oublier qu’au sortir de cette présentation, Antoine Gallimard a quitté son poste de vice-président », nous rappelle, amusé, un proche du dossier. On ignore quelle en serait la cause précise, mais pour ce qui est de la réflexion stratégique elle existe.
« Aucun des grands groupes ne bougera, alors que Livre Paris est totalement repensé. Comment s’investir dans un événement qui y ressemble, avec un vernis culturel plus appuyé ? » D'autant que s'il faut annuler, décaler, réduire la voilure ou les jauges, tout ressemblerait à un premier jet manqué.
« Après si c’est une réussite, ça peut être un coup de maître en l’absence de Livre Paris, pour installer quelque chose, mais l’expérience laisse penser que virus ou pas, les années 1 ne sont jamais des coups de maître : elles comportent toujours un coût d’apprentissage et d’installation. »
On se souvient bien du Forum Fnac, qu’un éditeur nous avait, lors du lancement en septembre 2016, présenté comme la « mort du salon de Versailles ». Une rumeur de décès fortement exagérée…
Quant à annoncer un événement « en pleine pandémie, pour juin 2021, cela ressemble plus à une prise de rendez-vous pour 2022 qu’à une perspective prochaine. Recruter au moins une vingtaine d’exposants en trois mois, pour couvrir l’espace de la Halle Nord, serait déjà difficile en période normale », relève-t-on.
« Au mieux, c’est inadapté, au pire incohérent. Et dans tous les cas, cela tient de la provocation inutile alors que l’on assiste à une vague d’annulations globales des manifestations. Les organisateurs d’événements savent que ce n’est pas possible. »
Dans les rédactions, si certains préfèrent éviter le sujet, d’autres s’interrogent. « On ne sait pas forcément trop quoi en penser, mais en interne, on nous dit de tout faire comme si c’était sérieux », nous glisse un confrère. Le type de méthode qui a fait ses preuves.
Avec en plus une entrée gratuite, certains se demandent aussi comment MOT pour MOTS gagnerait de l’argent. « Alors que le SNE ne souhaite plus de foire commerciale, on imagine plutôt que le groupe Le Monde se tourne vers 2022. » Et ce, parce que la perspective d’une année où la lecture deviendrait cause nationale est en réflexion.
Les libraires membres du SLF n’avaient en effet pas encore été avertis au moment de la publication de notre article. Une lettre d’information a été déclenchée ce 8 avril, en fin de journée, pour présenter l’événement :
Les trois grands journaux du Groupe Le Monde, avec France Inter, qui, tout au long de l’année, servent la littérature, les écrivains et les mots, ont décidé de donner à leur mission une grande scène et un nouveau grand rendez-vous avec le public.
Les rédactions du Monde, de L’Obs, de Télérama se sont pour la première fois fédérées pour imaginer collectivement cette fête littéraire, partager ce même attachement aux textes, échanger avec les auteurs, célébrer la vitalité de la littérature, sa capacité à nous porter à travers cette période si étouffante, son art de faire émerger, à même la page, une société qui respire mieux, et autrement.
Le groupe Le Monde a d’emblée souhaité associer les librairies indépendantes à cette manifestation, qui est prévue les 4, 5 et 6 juin.
Si les conditions sanitaires le permettent à ces dates, vous serez invités à vous y associer, en organisant à cette occasion une animation au sein de votre librairie.
– Les 4 et 5 juin, dans les librairies participantes, partout en France : signatures et rencontres avec des auteurs, échanges avec les lecteurs sur l’ensemble du territoire...
– Les 5 et 6 juin, à La Villette à Paris : rencontres et des animations, espaces dédiés aux auteurs et aux éditeurs (stands…), rencontres avec les rédactions et les auteurs, événements festifs...
– Communication du SLF
Pour les librairies intéressées, il faudra prendre contact avant le 30 avril, afin de recevoir le kit de communication ou mettre en place des animations dans leur boutique, en lien avec l’événement.
Crédit photo : grande Halle de la Villette, Thomas Claveirole CC BY SA 2.0
5 Commentaires
Ed
07/04/2021 à 14:10
Difficile, difficile. Et j'aime bien que le papier ne parvienne pas à trancher.
L'idée est louable. Le contexte peu propice. J'aurais apprécié d'entendre plus les équipes des rédactions sur le sujet : cela doit avoir quelque chose de piquant.
En revanche, que les éditeurs observent cela avec doute, rien d'étonnant : mettre la main au portefeuille n'est pas un geste spontané.
Bubu
08/04/2021 à 11:56
L'événementiel parisien a la pétoche de perdre la main. Le salon du livre s'est montré particulièrement discourtois envers les événements en région, quand ainsi il s'est déprogrammé pour mars et a choisi mai pour son édition 2021.Mais il y a la Covid, elle a perturbé les ambitions du pompeux salon parisien. Et voilà que par un autre chemin ,l'univers parisien du bouquin veut de nouveau faire parker de lui. Décidément, Paris est bien la terre de la crânerie. Gens du livre établis en region, gens de toutes provenances sociales, ne venez pas à cette manifestation parisienne, sauf à vouloir kollaborer à la suffisance, à l'orgueil parisiens.
Marie
08/04/2021 à 14:11
"Optimisme", c'est le thème du prochain "Book", à paraître après quelques mois de...purgatoire. Pour mémoire, le dernier "Book" avait pour thème "la Bêtise", avec pour couverture la photo de D. Trump.
ERIC METIVIER
08/04/2021 à 18:38
J 'adhere
hugues LETHIERRY
21/04/2021 à 08:17
encourageant!
l'harmattan y ser t il?