Invités par la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, plusieurs représentants du secteur du livre ont fait le point sur l'impact de la crise sanitaire, mais aussi évoqué l'après Covid-19, et l'avenir général de la filière.
Le 12/02/2021 à 11:23 par Antoine Oury
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12/02/2021 à 11:23
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Trois représentants d'acteurs de la chaîne du livre se sont exprimés, ce mercredi 10 février, devant la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, à l'occasion d'une table ronde. Christophe Hardy, vice-président du Conseil permanent des écrivains (CPE), Vincent Montagne, président du Syndicat national de l'édition (SNE) et Anne Martelle, présidente du Syndicat de la librairie française (SLF), accompagnée par Guillaume Husson, délégué général.
Également présente, la nouvelle présidente du Centre national du Livre (CNL), Régine Hatchondo, a pu dévoiler les grandes lignes de l'action du « bras armé du gouvernement en matière de livre » pour 2021 et 2022. Les bibliothécaires ont, de leur côté, brillé par leur absence, sans que celle-ci ne soit vraiment justifiée...
C'est un fait désormais connu : le bilan 2020 de l'industrie du livre française aurait pu être bien plus catastrophique. Entre mars et avril, l'édition a perdu 278 millions € de chiffre d'affaires, avant d'en regagner 130 millions, puis de perdre 93 millions en novembre, avant de « rattraper » 120 millions in extremis... Ce petit jeu comptable aboutit à un recul de 2,7 % en valeur et 3,4 % en volume économique.
Pour les auteurs de l'écrit, l'année 2020 est venue « aggraver une situation » déjà marquée par « une précarisation et une fragilité croissantes », rappelle Christophe Hardy, par ailleurs président de la Société des Gens de Lettres (SGDL).
Déplorant la « maltraitance administrative » due aux dysfonctionnements de l'URSSAF Limousin, désormais chargée de gérer les droits sociaux des auteurs, il met en avant le fossé entre l'image symbolique de l'auteur, valorisée en France, et l'importance réellement accordée, notamment par l'administration.
Le départ de la personne dédiée au suivi de la transition entre l'Agessa et l'URSSAF fait craindre une recrudescence des difficultés, avec cette disparition d'un interlocuteur précieux pour les auteurs. Selon lui, une meilleure formation des agents de l'URSSAF permettrait de fluidifier les problématiques, comme les relations avec les auteurs. La rémunération des interventions des auteurs dans les écoles doit aussi faire l'objet d'un examen, car elle favorise actuellement les auteurs qui déclarent leurs revenus en bénéfices non commerciaux (BNC) et disposent d'un numéro de SIRET, au détriment des auteurs qui déclarent en traitements et salaires, « la majorité des auteurs de l'écrit ».
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Disparition des salons et décalages dans les plannings de publication ont fragilisé les revenus des auteurs, et Christophe Hardy souligne la nécessité d'un fonds de solidarité renouvelé, basé sur les revenus de référence de 2019, mais aussi d'un fonds de soutien spécifique aux auteurs.
L'activité des librairies, en 2020, a connu de notables variations, au fil des confinements, couvre-feux et autres fermetures obligatoires : l'activité se rétracte d'un peu plus de 3 % en moyenne sur l'année, et les pertes de chiffre d'affaires, en moyenne, ont atteint 95 % pendant le premier confinement, puis entre 30 et 40 % pendant le deuxième.
Toujours au cours de cette dernière période, les commandes internet ont représenté « 60 à 70 % du chiffre d'affaires », selon Guillaume Husson. Qui note toutefois que sur les 3300 librairies françaises, environ 2000 n'ont toujours pas de site internet — 300 enseignes ont toutefois créé le leur entre les deux confinements.
Le Syndicat de la librairie française s'inquiète des conséquences de la crise sanitaire, d'une part, mais aussi d'un mouvement de fond, durable. « Le salaire moyen d'un libraire avec expérience va de 1600 € à 1800 € brut, et la profession a perdu 1500 emplois en 10 ans : la perte de compétence est un danger pour la filière », indique Anne Martelle, dont les conséquences sur la bibliodiversité sont réelles.
Pour améliorer la situation économique des commerces du livre, le SLF propose une suppression du rabais de 9 % pour les achats de livres des bibliothèques, remise jusqu'à présent possible, selon la loi. « Dans les faits, cette remise est obligatoire pour le libraire, s'il veut obtenir le marché public. (...) À ces 9 % s'ajoutent les 6 % de la SOFIA, pour les droits d'auteur. Sur une remise accordée par les éditeurs de 32 %, cela laisse peu pour vivre, au regard du temps passé sur le marché public », souligne Anne Martelle.
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Le coût de cette suppression, d'après elle, serait limité pour les collectivités, avec un surcoût estimé, pour l'ensemble, de 12 millions €. Ce qui suffit toutefois à inquiéter les sénateurs : les collectivités touchées par la crise seront-elles disposées à payer plus cher ? Ces montants en hausse n'auront-ils pas un impact sur le volume des acquisitions ?
Les frais de port ont de nouveau été évoqués, quelques semaines après la proposition de loi de la sénatrice Laure Darcos. Les libraires demandent une obligation de ne pas facturer à perte les frais d'expédition, qui viserait en priorité Amazon, ainsi que la possibilité d'accéder au tarif Fréquenceo.
Enfin, autre doléance récurrente de la librairie, l'inscription dans la Loi Lang d'un montant de remise minimale accordée par les éditeurs aux libraires : 36 %. « Aujourd'hui, les petites librairies ont plutôt des remises de l'ordre de 28 à 34 % », rappelle Anne Martelle.
Tous les intervenants, devant les sénateurs, se sont accordé sur la nécessité de faire de la lecture une cause nationale, Régine Hatchondo en tête. « En 2021, je pense qu'il faut que le CNL se penche de manière pragmatique et concrète sur la problématique de l'élargissement des publics, en particulier les jeunes », indique-t-elle.
Concernant le soutien de la filière, la présidente promet un soutien continu des auteurs et traducteurs, des petites maisons d'édition, des librairies et des festivals.
Le plafond des aides à la modernisation des librairies devrait ainsi être rehaussé, avec 6 millions € de plus en 2021, en complément de la somme du plan de relance, pas entièrement dépensée. Une enveloppe de 10 millions €, 5 millions en 2021 et 5 millions en 2022, devrait également financer de nouvelles acquisitions de documents par les bibliothèques.
Invité-surprise de cette intervention, le Pass Culture a été évoqué par les sénateurs : « Dans les librairies tests, les effets ont été très positifs », remarque Anne Martelle, avec un accueil réel de jeunes qui n'étaient pas clients des librairies auparavant. « C'est vraiment un bon dispositif », assure la présidente du SLF.
Une intervention bien moins enthousiaste de Vincent Montagne a porté sur le salon Livre Paris. Le président du SNE a assuré que l'organisation avait assumé « 100 % du remboursement des exposants qui avaient moins de 25 m2 et 100 % des auteurs qui n'ont pas pu rester au Salon », annulé en 2020.
« Je suis assez déçu que l'État, malgré une discussion avec Franck Riester, n'ait pas assumé plus de 5 % de la valeur économique de ce que représente le Salon du livre, je ne le comprends pas », a souligné le président du SNE. Un choix qui a laissé le syndicat professionnel, coorganisateur de l'événement, dans une situation exsangue, depuis...
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0
4 Commentaires
Marie Brunswick
13/02/2021 à 10:08
Encore une fois, les petites maisons d'édition indépendantes qui ont grandement souffert et souffrent encore de la crise, n'ont pas été représentées dans cette réunion.
Fabienne
13/02/2021 à 15:35
Il suffit de constater que nous ne sommes jamais représentés dans ces débats : le SNE ne nous représente pas, et d'ailleurs est-il même légitime quand il compte parmi ses membres des "éditeurs" à compte d'auteur ? L'autre LIVRE, qui représente une bonne partie des petits éditeurs indépendants, a beau se manifester, envoyer des courriers aux différents ministres, services, n'est jamais convié quand il s'agit de parler de notre avenir. C'est du mépris pur et simple.
Gimeno
14/02/2021 à 11:45
il manque, encore, une grande partie du secteur, non représentée par ces différentes instances...
LOL
15/02/2021 à 09:05
La lecture, une cause nationale ? Alors qu'une immense majorité des gamins sortent de l'école sans maîtriser la lecture... Il y en a qui vont tousser !