ROMAN FRANCOPHONE - Je suis décidément confus d’avoir négligé de me pencher en temps voulu sur le premier roman de Joseph Ponthus intitulé À la ligne, couronné par le Prix RTL-LIRE 2019 et le Prix Régine Desforges entre autres, qu’un confrère m’avait dès sa parution pourtant conseillé de lire. Et j’espère que son auteur ne m’en voudra pas d’exprimer un peu tardivement mon propos. Mea culpa ! Et ce, d’autant que fort peu nombreux aujourd’hui, à ma connaissance, sont les écrivains qui traitent sans se risquer, de la question ouvrière par le prisme de la littérature, hormis peut-être François Bon, Jean-Paul Goux, Dominique Sampiero. On songe aussi à Georges Navel, un maître en la matière, disparu voici plusieurs années déjà. Thierry Metz bien sûr.
Le 07/10/2020 à 14:19 par Jean-Luc Favre
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Publié le :
07/10/2020 à 14:19
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Il faut dire que ce genre dit réaliste n’est pas forcément aisé, car il implique précisément une subordination volontaire au monde ouvrier, entendu par là, une pleine adéquation (immersion) à sa condition psychologique et existentielle. En clair il est préférable d’avoir été ouvrier soi-même pour retranscrire le plus justement possible un mode de vie dont la pénibilité est socialement acquise, mais pas toujours bien comprise et encore moins adroitement formulée, sans tomber dans une sorte de misérabilisme, à la lecture souvent fort ennuyeuse, voire déplaisante, et très éloignée des vraies réalités.
Car en vérité le monde ouvrier fait encore peur dans une société contemporaine qui relègue certains métiers dits peu valorisants, aux abîmes. Des boulots de mongolitos en somme. Terme de l’auteur. Certes on pourra toujours objecter, et ce à l’inverse, que le monde ouvrier peut être à son tour sublimé comme au travers des grands romans d’Émile Zola ou Eugène Sue, à une époque où les conditions de travail s’affirmaient esclavagistes, et où la mortalité des travailleurs demeurait très élevée – mais le temps s’est écoulé depuis, à tel point qu’il demeure difficile désormais d’établir des comparaisons qui s’avèreraient pour le coup inadéquates et nocives.
De ce point de vue Joseph Ponthus qui n’est pas vraiment un novice, diplômé d’hypokhâgne. Tiens ! Tiens ! Et qui débuta sa carrière professionnelle en qualité d’éducateur social – a su non sans brio d’ailleurs, éviter certains pièges « poético-romanesques » qui auraient pu induire le lecteur en erreur, en proposant précisément une lecture tronquée de la question sans toutefois renier un état de fait, partiellement traumatisant, du moins je le suppose, mais paradoxalement éloigné des symptômes sujets à toute vaine discussion.
Et pour une fois, commençons par la fin ! « Si je commence à me dire que c’est la pire chose/ qui puisse m’arriver que ce travail d’usine/ Sûr que je dégoupillerais et pèterais un plomb/ ,Mais non/ C’est comme çà et je ne m’en plains pas/ Sinon parfois de mon dos et de la fatigue/ Et je ris de ce grand absurde ouvrier. » Le ton est ainsi donné à rebours d’un exercice ou d’une composition brouillant le déroulement du temps dans un style particulièrement lisible et accessible à tous, où la ponctuation est quasiment absente, hormis quelques guillemets ou autres points d’exclamation, qui délimitent le champ d’écriture et de lecture, à la manière d’une respiration ininterrompue.
« La question de l’organisation temporelle du récit et de la qualité de temps narratif qui doit être consacré à tel ou tel événement fait partie de la narration », affirme de son côté très judicieusement, l’universitaire Samia Myers, spécialiste de Georges Navel. L’auteur entend bien alors se dédouaner, d’un champ opérant, en s’excusant presque de l’échec social vécu en soubassement d’une réussite plus enviable si tant est que….. L’usine ce n’est tout de même pas l’enfer, tout au plus un purgatoire, vécu au jour le jour, avec une conscience affirmée du moi, qui est tout sauf une parabole sectaire.
« L’évidence de l’écoulement des jours est remise en cause par l’instabilité de l’emploi lui-même. Le type d’occupation qu’exercent les personnages ouvriers dans les écrits d’ouvriers ne permet d’assurer que leur subsistance immédiate », rappelle-t-elle encore « Je dois à l’usine de ne plus éprouver d’angoisse/ Plutôt non/ Je date de mon entrée à l’usine le fait de ne plus/ éprouver de ces foutues crises d’angoisse/ terribles », à grand renfort de psychotropes, anxiolytiques, stabilisateurs, et autres antidépresseurs. Faut-il alors entrevoir dans ces lignes, une possible résilience invitant à la rétroactivité de l’intention et qui n’est pas ici un revers de fortune.
L’auteur en effet n’est pas dupe de ses choix. Il assume en somme sa nouvelle condition, « J’écris comme je pense/ sur ma ligne de production/ divaguant dans mes pensées seul déterminé/ J’écris comme je travaille/ A la chaîne/ A la ligne. » On sent bien cependant en arrière plan une sorte de fatalité, ou de fatalisme dont la répétition est le rythme acquis au quotidien et auquel finalement l’auteur ne peut échapper, quand bien même il tenterait de s’exonérer d’un passé faussement idéalisé.
Ne rêve-t-il pas d’ailleurs de ses collègues titulaires bien au chaud, lui qui n’est qu’un simple intérimaire, devant faire l’expérience malheureuse de la précarité, mais avec une distance singulièrement cynique, en se souvenant par exemple d’une vanne à la « con » et qui de mon point de vue est loin d’être anodine.
Un intellectuel ne sera jamais un bon ouvrier ? Pas sûr justement !
« C’est quoi la différence entre un ouvrier et un intellectuel/ l’ouvrier se lave les mains avant d’aller pisser/ l’intellectuel après/ je ne me lave plus les mains/ pas envie de devenir schizo ».
Certes il y a dans ce propos, une certaine brutalité verbale, que l’auteur a délibérément choisi pour marquer les esprits, mais il y a aussi et certainement le besoin de conjurer le mauvais sort. « On est au XXIe siècle/ J’espère l’embauche/ J’attends la débauche/ J’attends l’embauche/ J’espère. » Affaire de choix là encore, mais plus encore de contrainte, « À l’usine l’attaque est directe », écrit-il encore ! Il faut toujours trier, tracter, soulever, peser, ranger. Et c’est bien à ce niveau que l’espérance se situe, et pas vraiment au ciel.
À l’aide de morceaux de textes, de phrases, de mots, si peu métaphoriques, mais toujours bien ordonnés, qui dévissent la pensée solitaire, en permettant de sortir de l’intranquillité pour finalement « accepter n’importe quel job afin d’enquiller quelques sous ». Et n’en déplaise à Trenet, Brel, Barbara, Nougaro, Christophe Mahé et Véronique Sanson ; cette fois-ci la poésie n’y pourra rien !
« Certains ayant vécu une expérience de mort imminente assurent avoir traversé un long tunnel inondé de lumière blanche/ Je peux assurer que le purgatoire est juste avant le tunnel de cuisson d’une ligne de bulots. »
[NDLR : Cet article, initialement paru le 25/03/2020, a été mis à jour lors de la publication en format poche]
Joseph Ponthus – À la ligne
La Table ronde – 9782710389668 – 18 €
Folio - 9782072881862 - 7.50 €
Paru le 03/01/2019
266 pages
Editions de La Table Ronde
18,00 €
Paru le 13/08/2020
288 pages
Editions Gallimard
7,60 €
1 Commentaire
bakuin
08/10/2020 à 09:56
Merci pour cette belle découverte !